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Le cinéaste britannique Ken Loach a dû se défendre d'être antisémite et négationniste après des accusations portées par des universitaires et des représentants de la communauté juive de Belgique, auxquels le Premier ministre belge Charles Michel est venu ajouter sa voix.
La polémique a éclaté à l'approche de la cérémonie, ce jeudi en fin de journée, au cours de laquelle Ken Loach s'est vu remettre, avec d'autres personnalités, les insignes de "Docteur Honoris Causa" de l'Université libre de Bruxelles (ULB).
Cet après-midi, l'ULB a décerné les insignes de docteur honoris causa à sept personnalités en plus de Ken Loach: Christiane Taubira, Ahmet Insel, Siegi Hirsch, Monique Capron, Agnès van Zanten, Christian Debuyst et Jan Van Impe.
Le Premier ministre belge se mêle au débat
Mercredi soir, Charles Michel a alimenté cette controverse au cours d'une visite à la Grande synagogue de Bruxelles. Le dirigeant libéral a regretté à mots couverts, au nom du combat contre l'antisémitisme, ces honneurs rendus au cinéaste, double Palme d'Or à Cannes. "Notre fermeté doit être totale. Aucun accommodement avec l'antisémitisme ne peut être toléré. Quelle que soit sa forme. Cela vaut aussi pour ma propre alma mater (ndlr: son université)", a affirmé M. Michel.
Une allusion à l'ULB (où Charles Michel, avocat de profession, a étudié le droit) et donc à cette cérémonie de jeudi très contestée par des associations juives.
Une interview du cinéaste pose question
En cause, selon l'ULB, des propos tenus par Ken Loach dans une interview en septembre 2017 à la BBC, en marge d'un congrès du parti travailliste au Royaume-Uni.
A la question de savoir si nier l'Holocauste était acceptable, le cinéaste engagé à gauche avait répondu: "Toute l'histoire est notre patrimoine commun à discuter et à analyser. La fondation de l'Etat d'Israël, par exemple, fondée sur le nettoyage ethnique, est là pour que nous en discutions".
Dans une tribune signée par 650 personnalités mardi dans le quotidien belge L'Echo, Ken Loach est accusé de "falsifier l'histoire à des fins politiques" en évoquant la collaboration de certains dirigeants sionistes avec les Nazis à Budapest en 1944, sujet central d'une pièce de théâtre dans les années 1980.
Ken Loach tacle Charles Michel
Face à l'émotion suscitée chez nous, l'ULB a dû préciser cette semaine qu'elle rendait hommage à l'"oeuvre militante" du cinéaste, ses positions politiques "relevant de sa liberté d'expression et n'engageant pas l'université".
Le réalisateur britannique a répondu aux désapprobations exprimées par des associations juives et le Premier ministre Charles Michel. Ken Loach a tout d'abord réaffirmé son rejet du négationnisme. "Je trouve un peu choquant d'avoir à faire cette déclaration sur ces allégations parce que toute ma carrière et tous les films que j'ai fait visaient à défendre les droits humains, à défendre les lois internationales, la justice sociale... Et je connais fort bien l'histoire du négationnisme. C'est le terrain de l'extrême droite et je n'ai rien à voir avec cela. L'antisémitisme et le racisme sont dans toutes les sociétés. Ils sont la peur de l'étranger, du marginal, et ils se traduisent par de la haine. C'est profondément répugnant et inquiétant", a-t-il affirmé.
Sur la controverse au Royaume-Uni, il a formulé quelques reproches au parti travailliste. "Ces deux dernières années, les dispositions antisémites dans les partis de droite étaient deux fois plus importantes qu'au parti travailliste. Ces deux dernières années, quand Jeremy Corbyn était leader, l'antisémitisme de la plupart des partisans du parti travailliste est monté, en d'autres termes il a eu une influence en minimisant le racisme et l'antisémitisme. C'est le seul point que je dirais à propos de cela. C'est un homme qui a toujours défendu les droits humains".
Le réalisateur n'a pas voulu s'exprimer directement sur les déclarations du Premier ministre parues dans la presse. Il s'est cependant permis d'ironiser sur le sujet: "J'ai compris qu'il avait étudié le droit dans cette université. Est-ce qu'ils enseignent mal ou n'a-t-il pas réussi ses examens? Parce qu'un bon avocat sait qu'on examine d'abord les preuves avant de parvenir à une conclusion. Monsieur Michel, regardez les preuves et revoyez vos propos", a-t-il lancé.
Il a ensuite demandé si le Premier ministre n'avait pas soulevé des questions sur les violations du droit international commises par Israël ou encore sur l'occupation des terres palestiniennes à l'occasion d'un événement célébrant les 70 ans de l'Etat d'Israël.
L'ULB dit avoir examiné "avec rigueur et indépendance" les déclarations de Ken Loach
"Je suis certainement d'accord" avec M. Michel lorsqu'il affirme, comme il l'a fait mercredi à la Grande Synagogue de Bruxelles pour les 70 ans de l'Etat d'Israël, qu'aucun accommodement avec l'antisémitisme ne peut être toléré, a répondu M. Englert, recteur de l'ULB, interrogé sur La Première (RTBF).
Charles Michel avait ajouté que cela valait aussi pour son "alma mater" (université), qu'est l'Université libre de Bruxelles (ULB). "Je n'ai pas de conseil ou de critique à faire au Premier ministre. Il fait ce qu'il estime devoir faire, mais l'université est très attentive à la défense de ses valeurs et à son indépendance. Les arguments d'autorité ne sont pas des arguments que l'on peut accepter dans une université du libre examen", a ajouté M. Englert.
Il assure que son institution a examiné les déclarations controversées du réalisateur "avec rigueur et indépendance" pour conclure qu'aucun négationnisme ni antisémitisme ne pouvait être reproché à Ken Loach. Le recteur de l'ULB a souhaité retourner la question. "Pensez-vous que les universités de Birmingham, d'Oxford, de Liverpool Hope et l'ULB flirtent avec l'antisémitisme ? ", elles qui ont mis à l'honneur le cinéaste britannique ou s'apprêtent à le faire.
M. Englert a aussi mis en garde contre la volonté de certains de profiter de la controverse pour "en faire un match politique", et réaffirmé l'attachement de son université à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la xénophobie, entre autres. Il s'est dit attristé d'une division "que nous n'avons pas voulue" au sein de son université.