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Elle a oeuvré pendant des mois au procès des attentats de Bruxelles: voici les coulisses de la cour d'assises et son jury populaire

Dix accusés, près de mille parties civiles, des dizaines d'avocats et autant de récits bouleversants. La cour d'assises de Bruxelles s'est retrouvée sur le devant de la scène pendant plus de sept mois pour juger les attentats du 22 mars 2016, qui ont fait 35 morts et des centaines de blessés. Décryptage de cette juridiction pénale intermittente qui se distingue par son jury populaire.

Ce venredi soir, le ministre fédéral de la Justice a d'ailleurs fécilité la cour d'assises pour son travail. "Le procès est une réponse de notre État de droit à l'une des pages les plus sombres et les plus horribles de notre histoire récente", a déclaré Vincent Van Quickenborne, qui n'a pas commenté la décision sur le fond.  Durant le procès, les citoyens qui faisaient partie du jury ont été "une force motrice", note M. Van Quickenborne. "Un mot de remerciement et d'admiration convient ici pour leur sens civique, leur engagement personnel, le temps et l'énergie qu'ils ont personnellement investis. Une expérience qu'ils garderont avec eux pour le reste de leur vie, dans tous ces aspects positifs et moins positifs". Le ministre a également exprimé ses remerciements à "la magistrature et à tous les acteurs des différents niveaux de justice et de police".    

Enfin, le vice-Premier ministre note également que les victimes méritent "notre attention particulière". "Pour la première fois, nous avons utilisé des ressources à leur échelle telles que la webradio, ce qui a permis aux personnes impliquées de suivre le processus à distance".

Le tirage au sort

30 novembre 2022. Des centaines de citoyens et citoyennes poussent les portes du Justitia, l'ancien QG de l'Otan à Haren où s'est installée la cour d'assises de Bruxelles. Tous ont été convoqués et pourraient être tirés au sort pour juger les attentats terroristes les plus meurtriers de Belgique. À moins qu'ils n'affichent une raison valable pour en être dispensés. Au final, 36 personnes ont été sélectionnées: 12 jurés effectifs et 24 suppléants. N'est pas juré qui veut. Pour ce faire, il faut avoir entre 28 et 65 ans, être inscrit sur la liste des électeurs généraux de la circonscription de la cour, jouir des droits civils et politiques, savoir lire et connaître la langue utilisée à l'audience.

Permettre à chacun d'expliquer

Quelques jours plus tard, le 5 décembre, le procès des attentats de Bruxelles s'ouvre sur le fond. Les procureurs Paule Somers et Bernard Michel procèdent alors à la lecture de l'acte d'accusation. Enquêteurs, juge(s) d'instruction, témoins des faits et de moralité, experts et accusé(s) sont ensuite entendus à tour de rôle. C'est l'oralité des débats. Un des enjeux du procès des attentats du 22 mars 2016 a été de faire venir à la barre les victimes, marquées dans leur chair et dans leur âme par ce qu'elles ont vécu. Certains survivants ou proches des victimes des explosions à l'aéroport de Zaventem ou dans le métro à Maelbeek ont préféré ne pas venir témoigner et se retrouver confrontés aux accusés, présents dans le box.

Les plaidoiries

Les plaidoiries viennent ensuite clore les débats. S'enchainent tour à tour le ministère public qui livre son réquisitoire, les avocats des parties civiles et ceux de la défense, le tout rythmé par des discours tantôt en verve, tantôt pugnaces. Au terme de ces échanges, les représentants des parties ou des intéressés ont la possibilité de répliquer brièvement, tandis que les accusés peuvent prendre une dernière fois la parole.

Le jury se retire pour voter la culpabilité

Au Justitia, directement après avoir entendu le dernier mot des accusés, le jeudi 6 juillet vers 21h00, le jury s'était retiré pour juger de la culpabilité ou l'innocence des dix hommes poursuivis pour les attentats djihadistes du 22 mars 2016.

Coupés du monde, dans un lieu tenu secret gardé par des policiers, les sept femmes et cinq hommes qui composent le jury effectif ont répondu à près de 300 questions relatives, pour chacun des accusés, à la participation aux activités d'un groupe terroriste et à des assassinats (et tentatives d'assassinat) dans un contexte terroriste. Les jurés ont ensuite voté sur la culpabilité, en plaçant leur vote papier dans une urne. Ne participent à cette délibération que les 12 jurés effectifs, rejoints pour la rédaction de la motivation du verdict de culpabilité ou d'acquittement par les trois magistrats professionnels (le ou la présidente et les deux juges assesseurs).

La décision du jury doit se former pour ou contre l'accusé, à la majorité, au risque d'être considéré comme nulle. En cas d'égalité des voix, l'avis favorable à l'accusé prévaut, explique à l'agence Belga Adrien Masset, professeur extraordinaire à la faculté de droit de l'Université de Liège.

En cas de majorité simple (sept oui contre cinq non), les trois magistrats professionnels sont amenés à voter. Ces derniers se rallient à la majorité ou à la minorité.  

La décision du jury

Le 25 juillet dernier, le jury populaire de la cour d'assises de Bruxelles a, au terme d'une délibération de près de 20 jours, reconnu les accusés Oussama Atar, Mohamed Abrini, Osama Krayem, Salah Abdeslam, Ali El Haddad Asufi et Bilal El Makhoukhi coupables d'assassinats et tentatives d'assassinat dans un contexte terroriste ainsi que de participation aux activités d'un groupe terroriste. Sofien Ayari et Hervé Bayingana Muhirwa ont, eux, été reconnus coupables uniquement de participation aux activités d'un groupe terroriste en tant que membres.  

En cas d'acquittement, le procès s'arrête là. "Je suis soulagé. Tous les juges qui m'ont acquitté ont eu le courage de leur ambition, d'une justice véritable, juste tout simplement", avait réagi Smaïl Farisi, à l'issue du verdict de la cour d'assises de Bruxelles qui l'a blanchi au procès des attentats du 22 mars 2016. Son frère Ibrahim avait également été innocenté.

Déterminer les peines des coupables

En revanche, si la culpabilité est retenue, la procédure se poursuit avec les débats sur la peine. Toutes les parties au procès des attentats ont ainsi retrouvé les travées du Justitia le lundi 4 septembre. Le ministère public et la défense ont exposé chacun leurs arguments sur la peine, le premier dans son réquisitoire et la seconde en plaidoirie.  

Lundi 11 septembre, les douze jurés et les trois juges se sont retirés, une nouvelle fois, dans un endroit tenu secret, afin de déterminer la juste peine à infliger à chacun des huit coupables. Le vendredi 15 septembre, l'arrêt a été lu à voix haute aux accusés.

Oussama Atar, Osama Krayem et Bilal El Makhoukhi ont été condamnés à la prison à perpétuité. Mohamed Abrini a lui été condamné à une peine de 30 ans de prison tandis qu'Ali El Haddad Asufi a écopé de 20 ans de réclusion. Quant à Hervé Bayingana Muhirwa, il a été condamné à 10 ans d'emprisonnement.    

Aucune peine n'a par contre été prononcé à l'encontre de Salah Abdeslam et Sofien Ayari. Le collège, formé du jury populaire et des trois magistrats professionnels, les ont en effet renvoyés à la peine prononcée pour la fusillade de la rue du Dries, soit 20 ans de prison.

Aucune déchéance de nationalité n'a par ailleurs été prononcée par la cour d'assises.

Pas d'appel, seulement la cassation

Contrairement à ce que prévoit la justice française, il n'est pas possible d'interjeter appel contre un arrêt de la cour d'assises en Belgique: seule la possibilité d'un pourvoi en cassation existe. Celui-ci n'a toutefois pas trait au fond de l'affaire mais concerne des erreurs de droit ou de procédure. Il doit être introduit dans les 15 jours suivant l'arrêt.  

Si la plus haute juridiction du pays donne raison au requérant, elle casse et annule l'arrêt rendu par les juges du fond. Il faut alors rejouer toute la pièce en changeant toutefois une partie du casting, puisque, à tout le moins, les jurés et les magistrats sont renouvelés. La Cour de cassation peut aussi décider de ne casser que la peine. L'affaire est alors renvoyée aux assises mais les débats se limitent à la peine, sans devoir refaire l'entièreté du procès.

Il n'est pas si rare que la Cour de cassation casse un arrêt. En Belgique, cela a notamment été le cas dans l'affaire Habran, un dossier fleuve de braquages sauvages avec meurtres de convoyeurs, prises d'otages et séquestrations. La juridiction avait entre autres annulé l'arrêt de la cour d'assises de Liège pour les quatre condamnés qui s'étaient pourvus, estimant que cette décision n'était pas motivée.

Dans l'affaire Cools, l'arrêt condamnant Richard Taxquet a également été cassé par la Cour de cassation. L'instance avait en effet suivi la décision de la Cour européenne des droits de l'homme - qui avait été saisie par Richard Taxquet - et estimé que l'accusé n'avait pas bénéficié d'un procès équitable en raison de l'absence de motivation de l'arrêt rendu par la cour d'assises de Liège. Richard Taxquet devait dès lors être rejugé devant un jury populaire pour avoir organisé l'assassinat du ministre d'État socialiste mais le procès avait été avorté, la cour ayant estimé les poursuites irrecevables en raison du dépassement du délai raisonnable. L'arrêt Taxquet de la Cour européenne des droits de l'homme a fait jurisprudence et marqué la Justice belge puisqu'il rappelle l'importance de la motivation du verdict de culpabilité.

En Belgique, les arrêts rendus par la cours d'assises ne représentent que 0,007 % de toutes les décisions rendues en matière pénale par les cours et tribunaux, a indiqué à Belga le procureur fédéral, Frédéric Van Leeuw.

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