Accueil Actu Belgique Société

Une photo remporte un prestigieux concours... alors qu'elle est fausse: l'intelligence artificielle qui l'a créée suscite la polémique

L'intelligence artificielle n'a visiblement pas fini de créer la controverse. Récemment, un prestigieux concours de photographie (les Sony World Photography Awards) ont récompensé une œuvre de l'artiste allemand Boris Eldagsen.

Edition numérique des abonnés

Mais fraîchement primé, le photographe a décidé de refuser sa récompense. Il a révélé que son œuvre intitulée “Pseudomnesia: The Electrician” avait en fait été générée par une intelligence artificielle. Le jury a d'abord accusé l'artiste d'avoir eu un comportement "délibérément" trompeur, avant de se rétracter dans un communiqué ultérieur. Après avoir expliqué lors d'interviews vouloir provoquer un débat sur la place de l'IA, Eldagsen a déclaré la semaine dernière que "les images générées par l'IA et les photographies ne devraient pas concourir ensemble dans un prix comme celui-ci".

Une possibilité infinie de brasser la quantité d'images disponibles sur le web

De nombreux photographes craignent que l'intelligence artificielle ne menace leur métier en permettant à n'importe qui de générer des images stupéfiantes à partir d'un texte descriptif. Le développement très rapide des générateurs d'image a déjà donné lieu a plusieurs actions en justice, car ces outils sont "entraînés" avec de gigantesques bases de données d'oeuvres trouvées sur Internet, et souvent protégées par le droit d'auteur. Déjà l'année dernière, le monde de l'art s'était interrogé après qu'une image générée par l'intelligence artificielle a gagné un prix dans le Colorado. 

Concrètement, l'intelligence artificielle est un système qui a appris à associer les images aux textes. "Il y a une quantité invraisemblable d'images labellisées qui existent sur le web. Il suffit de se servir de ces images", nous explique Hugues Bersini, directeur du laboratoire d'intelligence artificielle de l'ULB. Avant d'ajouter : "Vous avez une possibilité infinie de brasser la quantité d'images qui sont disponibles sur le web. C'est le cas en matière d'images, de musiques. Vous pouvez aussi faire des transferts de tyle en faisant une image à la manière de Van Gogh ou de Gauguin". 

Un usage intéressant d'un point de vue narratif

Le monde artisitique est-il menacé par un tel développement ? "Il va y avoir ceux qui vont réussir à utiliser les outils de la meilleure des façons. Ce seront les artistes de demain. Ça ne veut pas dire qu'ils seront complètement substitués par les intelligences artificielles. Certains artistes vont en faire un usage plus intelligent que d'autres. Quand vous avez un outil qui peut vous produire autant de choses, c'est un extraordinaire booster de créativité. Il faut utiliser ces technologies mais il faut en faire un usage intéressant d'un point de vue narratif", estime Hugues Bersini.

Luk Vander Plaetse est photographe à Bruxelles. Lui aussi observe le développement de l'intelligence artificielle ainsi que son arrivée dans sa profession. "Toutes les images se ressemblent. Pour moi, il y a une texture qui est la même. Dans l'image de Boris Eldagsen, il y a des défauts de développement, des coulées. Comme si le révélateur n'avait pas fonctionné sur un tirage argentique d'époque. Mais tout cela a l'air relativement lisse, le grain manque", indique le photographe. 

Quand l'intelligence artificielle s'invite dans la musique

Pour Luk Vander Plaetse, l'intelligence artificielle peut être considérée comme un réel outil dans la photographie. "Avant, on n'avait pas photoshop. On l'a utilisé en complément, pour aller un peu plus loin dans sa photographie et son travail. Ça rendait les choses faciles certes mais ça apportait aussi quelque chose en plus, que l'on n'avait pas avant. Pour la photographie commerciale, on pourrait par exemple travailler les fonds avec l'intelligence artificielle", éclaire-t-il. 

Edition numérique des abonnés

L'intelligence artificielle s'invite aussi dans le domaine musical. Récemment, un faux titre des chanteurs canadiens Drake et The Weeknd a enregistré des millions d'écoutes en ligne, poussant la maison de disques Universal Music à en demander le retrait et soulevant la question de la propriété intellectuelle.

Edition numérique des abonnés

Pour Piet Maris, responsable du collectif d'artistes Choux de Bruxelles, l'outil ne menace pas le métier d'artiste. "Tout est déjà en cours. Le secteur doit agir mais la solution n'est pas de tout mettre à l'arrêt. La technologie continue à se développer mais il aut bien encadrer l'utilisation de ce genre d'intelligence", confie Piet Maris. Avant d'ajouter: "La musique, ça reste authentique. Il s'agit toujours de casser les conventions, ce qu'une intelligence artificielle n'arrivera pas à faire je pense". 

En effet, encadrer ces nouveaux usages semble inévitable comme le rappelle Hugues Bersini, directeur du laboratoire d'intelligence artificielle de l'ULB. "Les juristes ont intérêt d'apprendre comment ça marche. En matière de droits d'auteur, on est un peu perdus parce que c'est très difficile de retrouver l'originale. Quand vous mêlez tous ces images : qui a fait quoi ? qui a fait comment ? C'est très difficile de trouver la source, de savoir à quel degré on a utilisé une source et qui en était l'auteur", explique-t-il.

Avant de conclure : "Il n'y a plus que l'intelligence artificielle qui va pouvoir vous dire que c'est de l'intelligence artificielle. Il y a une espèce de compétition entre ce qui est produit par l'intelligence artificielle et les intelligences artificielles qui arrivent à détecter que ça a été réalisé par une intelligence artificielle. Sinon c'est impossible. A partir de ce moment-là, on pourra détecter le vrai du faux". 

À lire aussi

Sélectionné pour vous