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Boeing s'est vu infliger jeudi un carton jaune par un régulateur fédéral américain, qui lui reproche de n'avoir pas tenu compte des réalités en vol des pilotes lors du développement du 737 MAX, dont deux accidents rapprochés ont fait 346 morts.
Appelant à des changements dans le processus de certification des avions aux Etats-unis, le régulateur des transports américain, le NTSB, estime dans un rapport que Boeing et l'agence fédérale de l'aviation (FAA) ont mal évalué la réaction des pilotes aux alertes en vol en cas de dysfonctionnement du système anti-décrochage MCAS, mis en cause dans les accidents du 737 MAX.
Quand il est activé, le MCAS met brutalement l'avion en "piqué" (nez vers le sol). C'est ce qui s'est passé dans les vols 302 d'Ethiopian le 10 mars dernier et 610 de Lion Air le 29 octobre 2018.
"Nous avons observé dans ces deux accidents que les équipages n'ont pas réagi de la façon dont Boeing et la FAA pensaient qu'ils le feraient", avance Robert Sumwalt, le patron du NTSB. "Ces hypothèses (de Boeing et la FAA) avaient été utilisées pour concevoir l'avion et nous avons constaté un fossé entre ces suppositions qui ont servi à certifier le MAX et la réalité, où les pilotes étaient confrontés à de multiples alarmes et alertes en même temps", fustige-t-il.
Les crashs d'Ethiopian Airlines et de Lion Air ont entraîné l'immobilisation au sol depuis plus de six mois de toute la flotte des 737 MAX à travers le monde.
Boeing travaille actuellement à des changements exigés par les régulateurs, dont la formation des pilotes, pour obtenir son retour en service.
Lorsque Boeing a développé le MAX, il s'est appuyé sur l'hypothèse suivante: si le MCAS s'activait de façon impromptue, les pilotes pouvaient le désactiver aussitôt en déconnectant les compensateurs électriques.
Seul hic, le constructeur aéronautique n'avait testé la défaillance du MCAS que comme problème isolé, et ne s'était pas demandé si son activation ne pouvait pas causer en même temps d'autres dysfonctionnements dans le cockpit.
- Cascade d'alertes et alarmes -
Dans les accidents d'Ethiopian et de Lion Air, selon les conclusions préliminaires des enquêteurs, une erreur de la sonde d'incidence (AOA) a provoqué l'activation du MCAS, laquelle à son tour a entraîné une cascade d'alertes qui aurait submergé les pilotes, d'après le NTSB.
Boeing et la FAA "n'ont pas exploré toutes les possibles alertes pouvant survenir dans l'environnement du pilote ni les signaux auxquels les pilotes feraient face", a dit Dana Schulze, une des responsables du NTSB. "Selon des recherches menées sur plusieurs années, de multiples alertes et signaux (dans le cockpit) ont un impact potentiel sur les pilotes, qui ne vont peut-être pas réagir de la façon dont on pensait qu'ils le feraient".
"Les réponses des pilotes aux actions imprévues du MCAS n'étaient pas cohérentes avec les hypothèses émises par Boeing lors des évaluations du système de contrôle de vol pendant la conception du 737 MAX en cas d'aléas", avance encore le NTSB.
Le régulateur recommande à la FAA, l'autorité de l'aviation civile, de demander à Boeing et d'autres fabricants de prendre en compte, lors de la conception de logiciels, les effets du déclenchement de plusieurs alertes et alarmes en même temps dans le cockpit lorsqu'ils déterminent comment les pilotes pourraient réagir rapidement à un dysfonctionnement.
Le régulateur recommande également à la FAA de développer "des méthodes et outils robustes" pour valider les hypothèses liées aux réactions des pilotes face à des problèmes de sécurité importants lors du processus de certification de la conception d'un avion.
En résumé, les constructeurs aéronautiques devraient développer des technologies qui permettraient d'identifier un problème durant le vol. Ces technologies diraient également aux pilotes quelle est la procédure à suivre.
"Nous nous engageons à travailler avec la FAA pour examiner les recommandations du NTSB", a réagi Boeing, à qui un comité interne a conseillé, mercredi, de changer sa conception des cockpits et de prendre des mesures pour gagner en efficacité sur la sécurité.
La FAA "va examiner attentivement les recommandations et celles d'autres (autorités) au moment où nous évaluons les modifications proposées par Boeing au 737 MAX", a avancé de son côté un porte-parole du régulateur aérien.
Lundi, une autorité indépendante, chargée d'enquêter sur des informations fournies par des lanceurs d'alertes, a accusé la FAA d'avoir fait de fausses déclarations au Congrès concernant la formation des inspecteurs évaluant les pilotes du MAX.