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Lorsqu'elle chante au Village Vanguard, elle est américaine, quand elle se produit au New Morning, on la veut Française: quelle que soit sa fibre patriotique, Cecile McLorin Salvant est devenue de part et d'autre de l'Atlantique la nouvelle coqueluche du jazz vocal.
A 29 ans, cette femme aux deux passeports et aux origines multiples, mélange harmonieux de sophistication et de naturel, a décroché trois Grammy Awards aux Etats-Unis pour ses trois derniers albums, reçu le Prix Django-Reinhardt 2017 de l'Académie du jazz du meilleur musicien de jazz français de l'année, puis une Victoire du jazz l'année suivante.
"On dit souvent que ma mère est guadeloupéenne. Et, parce que je suis une personne noire, que ma mère est métisse et mon père noir haïtien, on préfère focaliser sur ma culture caribéenne, avec laquelle j'ai beaucoup plus de distance qu'on ne croit", a confié à l'AFP Cecile McLorin Salvant.
"Mais ma mère n'est qu'un quart guadeloupéenne, et on ne sait pas que j'ai failli avoir un prénom occitan, que mon grand-oncle a essayé de m'apprendre des mots occitans et que j'ai passé tous les étés de ma vie à Saint-Antonin-Noble-Val, dans une vieille maison avec ma mémé du Tarn-et-Garonne", raconte, amusée, cette musicienne.
Son identité, cette femme aux grandes lunettes à monture blanche, l'a trouvée dans le jazz, un terreau idéal pour l'épanouissement de sa voix et de sa personnalité.
Née à Miami, Cecile McLorin Salvant baigne très tôt dans la musique. "Mes parents écoutaient de tout, Cesaria Evora, de la musique folklorique, du gospel, du classique, de la musique sénégalaise, argentine, espagnole, portugaise, française...", se souvient-elle.
- Le jazz, par hasard -
Dès l'âge de cinq ans, elle s'assoit devant un piano, puis fréquente à partir de huit ans la chorale.
En 2007, elle part à Aix-en-Provence étudier le chant lyrique et... le droit. C'est là, remarquée par des professeurs, qu'elle bifurque fortuitement vers l'apprentissage du jazz et du baroque.
Tout s'est enchaîné très vite ensuite, Cecile McLorin Salvant, imposant sa personnalité et sa qualité d'interprète.
Dans "The Window", son cinquième disque déjà, elle poursuit son travail de réinterprétation de chansons souvent anciennes puisées dans le réservoir inépuisable de la chanson populaire américaine, mais aussi française.
"Je trouve ça plus facile d'aborder une chanson avec beaucoup de recul. Quand je prends une chanson des années 20, j'arrive à la voir en dehors du temps", explique-t-elle. "Avec la distance, on s'aperçoit mieux si elle a gardé toute sa puissance, tout son sens".
Elle apporte à ces chansons une fantaisie, une théâtralité, un art de la mise en scène, pour leur redonner tout leur sens. "S'il y a une chose très importante pour moi, c'est qu'on comprenne les paroles", souligne celle qui choisit une chanson "parce qu'il y a dedans un élément inattendu, qui m'attire, me fait rire ou me surprend et autour duquel je construis mon interprétation".
Du lyrique, elle a conservé cette élasticité vocale lui permettant de passer d'un registre à l'autre comme une libellule. Du baroque, elle a gardé cet art de la diction, de l'articulation du mot. Du jazz, elle aime les imperfections qui rendent cette musique vivante.
"Elle possède une voix d'une justesse absolument renversante avec une élasticité rare, ce qui fait qu'elle l'utilise comme un instrumentiste de haut vol le ferait", estime François Lacharme, président de l'Académie française du jazz.
"On ne tombe sur une telle chanteuse qu'une seule fois sur une, voire deux générations", s'enthousiasme le trompettiste et chef d'orchestre américain Wynton Marsalis.
En duo avec le pianiste du disque Sullivan Fortner, Cecile McLorin Salvant ouvrira sa "Fenêtre" lors d'une série de concerts en France et en Belgique (Liège) jusqu'à fin mai. Coutances (Jazz sous les Pommiers) et Paris (New Morning) sont au programme. Après un retour aux Etats-Unis en juin et juillet, la plus transatlantique des chanteuses de jazz retrouvera la France cet été, notamment à Marciac.