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Dans un laboratoire pharmaceutique syrien, Rachid Al-Fayçal et son équipe travaillent d'arrache-pied pour produire la plus grande quantité d'hydroxychloroquine, un médicament antipaludique sur lequel les autorités misent pour soigner les patients contaminés par le nouveau coronavirus.
Il n'y a pas encore de preuves avérées que ce dérivé de la chloroquine soit efficace pour prévenir ou soigner la maladie de Covid-19, mais les médecins syriens, comme d'autres à travers la planète, l'utilisent désormais dans le pays en guerre.
Le laboratoire privé de M. Fayçal, près de Homs (centre), fait partie des six établissements pharmaceutiques qui fabriquent le médicament en Syrie, pays qui a officiellement recensé 45 cas de contamination, dont trois décès.
"La demande s'est intensifiée après la crise du coronavirus. Nous avons importé la matière première et avons commencé à le produire", indique le sexagénaire.
Il explique que son laboratoire détient depuis 2016 la licence pour la fabrication de ce médicament, autrefois produit "en petite quantité en fonction des besoins du marché", notamment pour soigner le lupus.
Dans une pièce voisine, des employés masqués assis autour d'une table rangent des tablettes de pilules dans leurs petites boîtes.
En une semaine, l'usine a fabriqué 12.000 boîtes de 30 comprimés, mais l'objectif est d'atteindre les 40.000 boîtes dans les prochains jours.
"Cette quantité couvre la demande et même plus", garantit M. Fayçal.
- Sanctions occidentales -
A ce jour, le nouveau coronavirus a tué plus de 250.000 personnes à travers le monde et aucun vaccin n'a été mis au point.
Dans plusieurs pays, certains médecins utilisent les antipaludiques pour traiter les patients, assurant avoir des résultats probants. Le président américain Donald Trump est même allé jusqu'à qualifier la molécule de "cadeau de Dieu" contre la pandémie.
Mais les autorités médicales d'autres pays ont aussi mis en garde contre son usage en l'absence d'études cliniques à grande échelle prouvant son efficacité et averti des risques de complications cardiaques.
Tout comme l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a insisté sur l'absence de preuves scientifiques confirmant l'efficacité des antipaludéens et souligné l'existence d'effets secondaires potentiellement létaux.
En attendant, six laboratoires détiennent la licence de fabrication d'hydroxychloroquine en Syrie, d'après Sawsan Berro, responsable au ministère de la Santé.
Début avril, le ministre de la Santé Nizar Yaziji avait indiqué que la chloroquine était un des médicaments adoptés dans le protocole thérapeutique du pays pour faire face au virus, selon la page Facebook du ministère.
Mais la synthèse du médicament reste un défi dans le pays en guerre depuis 2011, frappé de plein fouet par les sanctions économiques américaines et européennes.
Ces sanctions touchent "les secteurs qui participent à la fabrication des médicaments", comme les importateurs de "matière première", les fournisseurs de "pièces détachées pour les machines des laboratoires", mais aussi les "transferts financiers", déplore Mme Berro.
- Exportations? -
Face à ces difficultés, Rachid Al-Fayçal dit avoir longtemps hésité avant de se lancer dans l'aventure.
"Nous sommes dans un pays assiégé", dit-il, faisant référence aux sanctions contre la Syrie. "Les transactions financières sont très difficiles, tout comme les importations et les exportations."
Hésitant à révéler les détours empruntés pour s'approvisionner en matières premières, il reconnaît cependant que c'est le "plus grand risque" qu'il a jamais pris dans sa vie. "J'aurais pu perdre beaucoup", avoue-t-il.
Malgré tout, le responsable du contrôle de qualité de son laboratoire, Abdel-Karim Darwich, se prend à rêver de pouvoir un jour lancer des exportations.
"Si les conditions le permettent, nous sommes prêts à exporter le surplus" de production, affirme-t-il à l'AFP.
Ces derniers jours, la demande en hydroxychloroquine a explosé en Syrie, le prix d'une boîte dépassant les 100 dollars sur le marché noir. Le prix officiel est fixé à 6.800 livres syriennes (moins de dix dollars).
"Nous sommes fiers de produire un des médicaments les plus demandés au monde et au prix le plus bas", se targue M. Darwich.