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"C’est aberrant": le corps d’Yvette, décédée dans un home, transporté plusieurs fois entre Bruxelles et Charleroi pour respecter une loi "absurde"

Un entrepreneur de pompes funèbres est scandalisé par une situation "surréaliste". Il a dû transporter la dépouille d’une dame de Bruxelles à Charleroi avant de devoir la ramener à Bruxelles. Un aller-retour pour obtenir le certificat de décès obligatoire d’un deuxième médecin. Une exigence de la commune bruxelloise où elle est décédée. La famille de la défunte dénonce aussi un "chipotage" qui ne devrait pas exister. Comment expliquer cette "absurdité"?  

"On prive une famille d’un recueillement, je trouve cela scandaleux", déplore un entrepreneur de pompes funèbres à Charleroi. Révolté, Denis Fontaine a contacté notre rédaction pour dénoncer une situation "archaïque" et "surréaliste". 

Récemment, une dame âgée est décédée dans une maison de retraite située à Woluwe-Saint-Lambert, en région bruxelloise. Yvette a perdu la vie dans la nuit de vendredi à samedi. Un décès attendu par la famille, étant donné son état de santé. "Elle souffrait d’une maladie incurable", précise sa sœur Annette.  

Ses proches font appel au service de Denis Fontaine pour organiser les funérailles. "La famille est originaire de Charleroi. Ils m’ont donc demandé d’aller chercher sa dépouille à Bruxelles. Le médecin de la maison de retraite avait déjà certifié sa mort naturelle", explique l’entrepreneur de pompes funèbres. 

En cas d’inhumation, quand le défunt est enterré au cimetière, un certificat de décès signé par le médecin qui a constaté le décès suffit.   

Un médecin est passé à Charleroi pour obtenir la deuxième attestation

Mais, en cas d’incinération après une mort naturelle, le choix signifié pour Yvette, il faut un deuxième rapport établi par un médecin désigné par l’administration communale. "C’est logique puisqu’évidemment, après l’incinération, on ne pourra plus rien vérifier. Deux médecins, c’est la loi en Wallonie, en Flandre et à Bruxelles", précise Denis Fontaine. En cas de mort suspecte ou violente, il faut obtenir un permis d’incinérer du procureur du Roi. 

"On va donc chercher cette dame et on la ramène chez nous au funérarium. J’envoie les papiers nécessaires à la commune. Et je fais passer le médecin à Charleroi pour obtenir la deuxième attestation", relate l’entrepreneur. 

"En Wallonie, un médecin d’une autre commune peut signer ce deuxième certificat de vérification, celui qu’on appelle le médecin assermenté par la commune. Donc, si un décès se passe à Arlon et que c’est une mort naturelle, je peux déplacer le défunt jusqu’à Namur, où le médecin confirmera la mort naturelle. Et on pourra incinérer. On fait ça partout et régulièrement. Ce sont les communes qui s’arrangent entre elles par rapport aux honoraires du médecin", assure-t-il. 

La commune de Woluwe-Saint-Lambert m'a obligé à ramener le corps de cette dame

Mais dans le cas d’Yvette, la situation se complique. "L’employée de la commune de Woluwe-Saint-Lambert me répond en disant que je dois ramener le corps de cette dame à Bruxelles pour que leur médecin puisse voir sa dépouille", déplore Denis Fontaine, en dévoilant l’email reçu par l’employée de l’état civil. Interloqué, il lui demande de justifier cette exigence. "Elle m’a envoyé la circulaire bruxelloise relative au transport des dépouilles mortelles. Il y est stipulé que les pompes funèbres ont le droit de faire passer un médecin d’une autre commune à condition que ce soit une des 19 communes de Bruxelles. Donc, on peut aller partout à Bruxelles, mais dès qu’on dépasse la frontière bruxelloise, on ne peut pas", s’insurge l’entrepreneur. 

Le président de la fédération wallonne des pompes funèbres le confirme. "Dès que vous quittez la Wallonie pour transporter une dépouille à Bruxelles ou en Flandre, cela pose problème. Le médecin assermenté par la commune n’est pas reconnu dans une autre région. On est donc obligés d’attendre", affirme Jean Geeurickx.

L’employée de Woluwe-Saint-Lambert est d’ailleurs catégorique. Pour pouvoir délivrer les permis, il faut que le médecin de la commune bruxelloise constate lui-même le décès. 

"J’ai contacté tout le monde, le bourgmestre, le chef de l’état civil, etc. pour éviter de devoir ramener le corps à Bruxelles. Je fais ça pour la famille, que je défends. Ils sont privés des derniers moments avec un défunt. Vous imaginez si un enfant décède un vendredi, il faut attendre le lundi, voire le mardi si le lundi est férié, pour pouvoir récupérer le corps", déplore Denis Fontaine. 

Au moment d’un deuil, c’est un chipotage qui ne devrait pas exister

Avant de prendre une quelconque décision, l’entrepreneur appelle la famille d’Yvette pour leur expliquer la situation. "Je leur ai dit que, pour une question administrative, je devais déplacer son corps. Je ne pouvais rien leur cacher. La famille était très fâchée", assure-t-il. 

"Monsieur Fontaine m’a prévenue que ma sœur devait être vue par un deuxième médecin légiste à Woluwe-Saint-Lambert, en plus de celui à Charleroi. Il a fait beaucoup de démarches pour tenter d’éviter cette contrainte, mais il n’y avait pas moyen de discuter, ni d’arranger les choses. Il a dû ramener le corps et a tout pris à sa charge", confirme Annette. "Au moment d’un deuil, c’est un chipotage qui ne devrait pas exister", estime-t-elle. 

Le lundi, l’entrepreneur des pompes funèbres apporte donc la dépouille d’Yvette à Woluwe-Saint-Lambert. "On avait rendez-vous à midi au cimetière communal. Le médecin est arrivé, a vu le corps dans le véhicule et on a pu repartir. On se fout du monde en Belgique, ce n’est pas possible. Cette petite dame a donc dû faire l’aller-retour Bruxelles pour rien", souffle-t-il. "On est vraiment avec des systèmes archaïques où tout le monde se rend bien compte que cela ne fonctionne pas, mais personne ne bouge et n’agit. Et moi cela m’énerve très fort", ajoute l’entrepreneur. 

C’est vraiment stupide et révoltant, je le reconnais

Le bourgmestre de Woluwe-Saint-Lambert confirme l’absurdité de cette situation. "C’est vraiment stupide et révoltant, je le reconnais", admet Olivier Maingain. "Quand j’ai vu la demande, j’ai interpellé le service pour voir si on ne pouvait pas l’accepter. Mais le service m’a dit : "Surtout pas, vous allez prendre une responsabilité personnelle en tant que bourgmestre si vous ne respectez pas la loi". On voudrait faire confiance à un médecin d’une autre commune en Wallonie, mais légalement on ne peut pas", répond le maïeur.

D’après lui, c’est une question de responsabilité en cas de contestation éventuelle. Le médecin légiste communal doit notamment attester que le corps est prêt à être incinéré sans souci. "Il vérifie qu’on a retiré le pacemaker par exemple. Si ce n’est pas le cas, cela peut bloquer des systèmes d’incinération. Cela peut avoir des conséquences graves. La société d’exploitation du crématorium pourrait mettre en cause la commune. C’est ça le problème", révèle Olivier Maingain. "C’est très hypothétique mais, juridiquement, c’est comme ça. C’est du formalisme absurde, je suis le premier à le dire. Mais, comme autorité, on est chargé d’appliquer la loi et on ne peut pas l’ignorer", ajoute le bourgmestre. 

Selon Olivier Maingain, ce genre de souci est rarement dénoncé. "Ce problème arrive une fois par an. C’est surtout problématique pour les personnes qui décèdent le weekend. Le médecin légiste de la commune, lui, ne passe que le premier jour ouvrable suivant, à savoir le lundi. Et souvent les familles souhaitent rapatrier le corps dans leur commune de résidence pour permettre un recueillement, une veillée mortuaire"

La famille aurait peut-être dû reporter les funérailles

Denis Fontaine épingle d’ailleurs des répercussions éventuelles pour les familles. "Si je n’avais pas reçu les papiers de la commune en ramenant le corps, la famille aurait peut-être dû reporter les funérailles. Je ne voulais pas leur faire subir ça". 

"Cela aurait pu compliquer les choses. On aurait peut-être dû annuler la crémation alors que toute la famille était prévenue. Certains viennent de Liège, d’autres de Bruxelles. Ce n’est vraiment pas le moment de s’ennuyer avec ce genre de souci. C’est la Belgique dans toute sa splendeur", regrette Annette.

Un accord entre les régions comme solution 

"Il est grand temps que les choses changent", estime l’entrepreneur. D’après Olivier Maingain, une coopération entre les régions pour l’expertise des défunts permettrait de résoudre le problème. Cet accord tarde toutefois à se concrétiser. "Il est actuellement en préparation. Je vais interroger la région bruxelloise à ce propos car c’est vrai que cela simplifierait la vie. Je ne suis pas pour compliquer le travail des pompes funèbres et des familles", assure le bourgmestre.

"On demande cet accord depuis longtemps. Ce n’est pas très compliqué", souligne de son côté le président de la fédération wallonne des pompes funèbres.   

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