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Dans les bidonvilles de Nantes, les "vies oubliées" de travailleurs roumains

Sur une piste bordée de détritus et de carcasses de voitures, un jeune garçon fonce en VTT, avant de déraper devant l'une des étroites maisons en bois d'un bidonville nantais, où 350 personnes vivent loin des regards.

Il y a encore quelques mois, sa mère, Daniela Costantin, devait descendre cette longue route crevassée, bidons à la main, pour aller chercher de l'eau à chaque repas et avant les bains. Depuis, l'ONG Solidarités International a installé une arrivée d'eau potable.

Dans un film documentaire sorti mi-juin, sixième volet d'une série intitulée "De vos propres yeux", l'association raconte les "vies oubliées" et la "galère quotidienne" d'habitants de bidonvilles nantais semblables à celui des Costantin, où s'est rendu l'acteur Roschdy Zem pour "rendre visible" une "population constamment ignorée".

A Nantes, entre 2.500 et 2.800 personnes, presque tous d'origine roumaine et pour certains issus de la minorité rom, vivent dans quelque 58 camps, selon Solidarités International, faisant de la Loire-Atlantique le deuxième département comptant le plus de bidonvilles, derrière la Seine-Saint-Denis.

"C'est parce qu'il y a ici beaucoup de travail dans les champs, les vignes, les abattoirs", explique à l'AFP Brice Guillaume, coordinateur de l'ONG.

Travailleurs agricoles, Daniela et Ovidiu Costantin ont construit leur maison avec des matériaux récupérés à la décharge voisine.

Dans ce vaste bidonville divisé en cinq "platz", au sol jonché de canettes écrasées, les maisons sont faites de bois et de tôle. Des conduits de poêles à bois bricolés dans des chauffe-eau abandonnés dépassent de certains toits.

- "Enfants analphabètes" -

"Ici on a un travail et assez d'argent pour vivre", affirme Daniela Costantin, 39 ans. Elle marque une pause, puis soupire: "Mais nos enfants sont analphabètes."

A 10 et 13 ans, les benjamins de la famille Costantin sont allés à l'école "quelques semaines" depuis le début de l'année. Ils sont encore scolarisés près du bidonville dont ils ont été expulsés, il y a plusieurs mois, et n'ont aucun moyen de faire le trajet tous les matins.

Selon la Dihal (Délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement), 70% des enfants vivant en bidonvilles et squats en 2021 n'avaient jamais été scolarisés, l'étaient de manière discontinue ou se trouvaient en décrochage scolaire.

Dans un bidonville un peu plus proche du centre-ville, Catalina Ritzi, 32 ans, explique en souriant que grâce à l'école, ses enfants lui apprennent chaque semaine quelques mots de français.

Assise dans sa poussette, sa petite dernière, âgée d'un an et demi, a les pieds bandés et un pansement à l'arrière de la tête.

Elle vient de passer un mois à l'hôpital après s'être glissée dans une baignoire brûlante où sa grande sœur de 14 ans s’apprêtait à verser un saut d'eau froide.

"Heureusement ici il y a de bons médecins. En Roumanie c'est tellement compliqué d'être bien soigné", souffle la mère de famille.

Elle a rejoint son frère et sa belle-sœur il y a un an dans ce petit bidonville de 45 habitants, l'un des trois où Solidarités International, subventionnée par la métropole de Nantes, a déjà installé des WC raccordés.

- Rendre digne -

Dans son dernier rapport, publié en mai, le Collectif national droits de l'homme Romeurope réclame une loi "contraignante" pour résorber les bidonvilles de manière "digne et durable", tout en y améliorant d'abord les conditions de vie.

"Leur suppression nette et à marche forcée est irréaliste et irréalisable. La priorité est de les rendre les plus dignes possible", soutient Anthony Ikni, délégué général de Romeurope.

A trois ans et demi, le neveu de Catalina n'est pas encore scolarisé, mais baragouine déjà français: "Bonjour, un beignet s'il vous plait", lance fièrement le petit garçon, qui connait aussi le mot "boulangerie".

Ses parents, qui travaillent dans une entreprise de ménage, ont fait une demande de logement social il y a un an.

"Si nous n'avons pas de réponse en octobre, nous repartirons en Roumanie", soupire Madalina Constantinescu, 24 ans.

Le bidonville, "l'été ça va, mais l'hiver c'est trop dur", raconte la jeune femme. "On est venu pour donner une meilleure vie à nos enfants. S'ils ne sont pas heureux, ça n'a pas de sens."

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