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Décryptage - Les "nouveaux OGM", que l'UE veut déréguler, représentent-ils un risque?

Le Parlement européen a voté pour la dérégulation du marché des NGT ("nouvelles techniques génomiques") dans l'agriculture, ces "nouveaux OGM". Soutenus par la Fédération Wallonne de l'Agriculture (FWA) qui les voit comme une aide, c'est au contraire un non-sens pour les scientifiques et ONG qui dénoncent des risques. Contamination de plantes sauvages et de cultures bio, ou encore dépendance des agriculteurs à ce type de semences... des études pointent de réels dangers. On fait le point. 

Ce mardi, les agriculteurs ont une nouvelle fois manifesté leur colère à Bruxelles. L'occasion de parler des NGT ("nouvelles techniques génomiques"), considérés comme les "nouveaux OGM". Si pour certains, les NGT seraient une aide pour les agriculteurs, d'autres appellent à la prudence et à ne pas agir trop vite. Le mois dernier, le Parlement européen a voté en faveur de la dérégulation du marché de ces "nouveaux OGM". Mais est-ce une bonne idée?

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D'un côté, la Fédération Wallonne de l'Agriculture (FWA) considère les NGT comme le futur d'une agriculture durable, une innovation qui aiderait les agriculteurs à faire face au dérèglement climatique, mais aussi à certaines maladies et insectes ravageurs.

De l'autre, les agriculteurs biologiques et les ONG de défense de l'environnement, comme Nature & Progrès, considèrent les NGT comme des nouveaux OGM, et mettent en garde contre les risques de contamination des plantes sauvages et d'autres types de cultures, mais aussi sur la dépendance que cela engendrerait pour les agriculteurs. Une carte blanche contre la dérégulation des NGT a même été publiée par le média Le Soir, signée par de nombreux scientifiques et experts du pays. 

Mais concrètement, les NGT, qu'est-ce que c'est? Y a-t-il des risques pour l'environnement? Et qu'est-ce que ces "nouveaux OGM" impliquent pour l'agriculture?

Les NGT, c'est quoi? 

On en entend beaucoup parler en ce moment, mais les NGT, ces "nouveaux OGM", sont loin d'être nouveaux. Développées après la mise en place de la législation européenne sur les OGM (organismes génétiquement modifiés) en 2001, ces nouvelles techniques génomiques (NGT) permettent de modifier le matériel génétique des plantes. 

À la différence des OGM qui sont obtenus par transgénèse, c'est-à-dire l'introduction d'un ou plusieurs gènes d'une autre espèce, les plantes issues des NGT sont obtenues grâce à la "mutagenèse dirigée". Concrètement, ça veut dire que les semences sont modifiées génétiquement, mais sans introduire un gène d'une espèce différente. Il s'agit généralement soit d 'inactiver un gène, soit de transférer un ou des gènes issus d'une même espèce afin de la renforcer.

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Les NGT, à quoi ça sert?

La principale différence entre les anciens OGM et les NGT est donc qu'il n'y a pas d'introduction de gènes d'autres espèces. Mais à quoi vont servir ces plantes NGT? Pour la Fédération Wallonne de l'Agriculture (FWA), ces nouvelles techniques génomiques vont permettre à la plante "d'être beaucoup plus résistante à tout ce qui est sécheresse, ravageurs, et maladies car on met en valeur un de ses gènes". Par exemple, une plante plus résistance à la sécheresse permettrait de moins irriguer les cultures, explique Marianne Streel, présidente de la FWA.

Elle ajoute: "Les NGT représentent une belle alternative à tout ce qui est usage de produits phytosanitaires. La FWA pense que l’agriculture plus durable ne passera que par l’innovation. Et les NGT en font partie. Il faut voir les NGT dans un système agricole afin de répondre aussi bien aux maladies qu’aux ravageurs qu'au dérèglement climatique".

Mais tous ne sont pas de cet avis, notamment les ONG de défense de l'environnement comme Nature & Progrès, mais aussi d'autres représentants d'agriculteurs comme la Fugea ou BioWallonie. Virginie Pissoort, responsable plaidoyer pour l'asbl Nature & Progrès dénonce: "Une bonne partie du monde agricole n’en veut pas. La FWA est pour, c’est un gros syndicat, mais ce n’est pas le seul, et c’est principalement le syndicat de gros agriculteurs. Il faut prendre en compte la diversité du monde agricole et les risques de contamination"

Pour Nature & Progrès, "à partir du moment où le progrès a de sérieux impacts, on ne peut pas avancer tête baissée. Les agriculteurs bio sont pour le progrès mais pas pour la manipulation génétique qui comporte des risques"

Les NGT sont-ils des OGM? 

Mais les NGT sont-ils considérés comme des OGM? Pour Marianne Streel, présidente de la FWA, "les NGT ne sont pas des OGM, ce n’est pas du tout la même chose". Elle explique: "Il y a une différence entre les deux: un OGM, on prend un gène d’une espèce différente qu’on introduit dans une autre espèce, alors que les NGT, on prend un gène d’une même espèce pour faire évoluer l’espèce"

Malgré cette différence, les plantes issues des nouvelles techniques génomiques (NGT) restent des plantes modifiées génétiquement, au même titre que les OGM. Dans un arrêt rendu en 2018, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) reconnaît même que les produits issus des nouvelles techniques génomiques (NTG) sont des OGM et que la réglementation applicable aux OGM leur est par conséquent applicable. 

Depuis, la Commission européenne semble avoir changé d'avis puisqu'elle ouvre la voie, avec sa proposition de loi, à la dérégulation du marché des NGT. "On ne sait pas comment les NGT vont faire évoluer le panorama de l’agriculture. Nature & Progrès n’est pas contre les NGT, mais c’est nouveau et il faut se donner le temps d’évaluer et de voir comment ça va influencer les champs et les produits, et l'impact sur la santé avec des aliments dont on a modifié les gènes. C’est précisément parce qu'il il y a cet inconnu qu’on recommande une prudence", explique Virginie Pissoort, responsable plaidoyer de l'asbl Nature & Progrès. 

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Concrètement, que va changer la dérégulation du marché des NGT? 

Avec la loi adoptée par le Parlement européen, la majorité des plantes issues des NGT serait alors considérée comme équivalente aux plantes conventionnelles, et ne subirait pas les restrictions qui encadrent les OGM actuellement, comme l'évaluation des risques. Et c'est ce point qui inquiète scientifiques et ONG de défense de l'environnement, mais aussi agriculteurs. "Aujourd’hui, on est dans une course! Les OGM nouveaux et anciens sont libéralisés dans certains pays, et il y a une volonté en Europe de ne pas perdre cette course", estime Virginie Pissoort.

La loi adoptée par le Parlement européen distingue deux types de NGT:

  • Les NGT-1 qui regroupent les plantes génétiquement modifiées qui ont subi au maximum vingt modifications. Ce groupe NE seraient PLUS soumis aux contraintes des OGM classiques ;
  • Et les NGT-2 qui, eux, ont subi un plus grand nombre de changements, et qui demeureraient donc soumis aux mêmes contraintes que les OGM classiques.

Mais avant que le texte législatif ne soit définitivement accepté, il reste le Conseil de l'UE et ses Etats-membres qui décideront du consensus final autour de ce sujet très sensible. C'est pourquoi il n'y a pas encore de texte de loi écrit ou voté par les Etats membres.

Les NGT, une solution? 

Pour Nature & Progrès, supprimer l'évaluation des risques aux NGT représente "un enjeu majeur pour le consommateur". Virginie Pissoort explique: "Le consommateur européen n’a pas le profil d’un consommateur américain: l'origine est importante et il y a une réticence à manger des éléments modifiés en laboratoire, d'après plusieurs études. Le régulateur européen doit être attentif aux craintes des citoyens, or il se base sur le discours de l’industrie, sur des affirmations, sans qu’il n’y ait aucune certitude", explique-t-elle.   

Les arguments avancés par les défenseurs des NGT, comme la Fédération Wallonne de l'Agriculture, sont que ces "nouveaux OGM" sont une solution car ils permettront de réduire l'utilisation de produits chimiques. "Mais on disait pareil avec les anciens OGM et c’est tout le contraire qui s'est passé… On crée des semences résistantes aux produits phytosanitaire, alors il faut en asperger de plus en plus. C’est ce qu’on voit aux USA avec les anciens OGM. L’Europe n’est pas obligée d’avancer dans cette voix-là", explique Virginie Pissoort de Nature & Progrès. 

Depuis plus de 20 ans, là où les OGM de première génération sont cultivés à grande échelle, aux USA, en Argentine et au Brésil, on observe au contraire une augmentation de produits phyto, comme le démontrent plusieurs études. Ces "OGM-pesticides", conçus pour offrir une résistance à certains insectes et/ou une tolérance complète à des herbicides spécifiques, n’ont donc pas permi de diminuer l’utilisation des herbicides et insecticides. "Les anciens OGM nous donnent raison d’avoir ces préoccupations-là. Ça a favorisé la monoculture, les plantes sont plus résistantes aux produits phyto et il y a une dépendance des agriculteurs à ce type de semences", dénonce Virginie Pissoort. 

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Les NGT, sans dangers? Des experts appellent à la prudence et demandent une évaluation des risques

De nombreux experts et scientifiques tirent la sonnette d'alarme concernant ces NGT. Parmi eux, l'Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) en France qui plaide dans son dernier rapport pour une évaluation des risques pour la santé et l’environnement de ces nouvelles plantes, au cas par cas. "L’Agence estime que le référentiel actuel d’évaluation des risques sanitaires et environnementaux des plantes génétiquement modifiées n’est que partiellement adapté à l’évaluation de ces nouvelles plantes", peut-on lire dans le rapport. 

Pour l’Anses, "certains risques identifiés pour les NTG ne sont pas radicalement différents de ceux découlant des techniques de transgénèse (ndlr, utilisée pour les OGM) mais le niveau d’exposition aux plantes obtenues pourrait être beaucoup plus important si l’on considère la diversité des applications possibles". En conséquence, l'Agence souligne l’importance de la surveillance après la mise sur le marché de ces "nouveaux OGM" et recommande la mise en place d’un mécanisme global de suivi pour surveiller l’apparition d’effets sanitaires et environnementaux, mais aussi pour observer l’évolution des pratiques culturales associées à ces plantes. 

Une telle surveillance permettrait à la fois de compléter les connaissances, encore limitées, sur les plantes et produits issus de NTG et de renforcer la sécurité sanitaire et environnementale liée à l’utilisation de ces produits, écrit l'Anses dans son rapport. "Modifier la réglementation pour tenir compte des NTG engage des choix de société car différents impacts économiques et sociétaux sont aussi dans la balance. Ce travail d’expertise de l’Anses permet d’identifier toutes les questions qu’il faut se poser afin de garantir une mise en débat la plus ouverte et éclairée possible", explique Brice Laurent, directeur Sciences sociales, économie et société à l’Anses.

Les NGT pourraient-ils avoir l'effet inverse et nuir aux écosystèmes?

Si à l'origine, les plantes issues de NGT sont créées pour devenir plus résistantes, et ainsi aider les agriculteurs, cela pourrait bien avoir l'effet inverse, comme ça a été le cas avec les anciens OGM qui nuisent à l'environnement. 

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Une étude de l’Agence fédérale allemande de conservation de la nature évoque déjà différents impacts potentiels des plantes issues des NGT sur les écosystèmes. Elle indique par exemple que développer des plantes résistantes à différents stress (maladies, ravageurs, sécheresse…) pourrait aussi les rendre invasives.

Selon la même étude, améliorer certains traits esthétiques des fruits ou légumes, comme en empêcher le brunissement, pourrait en contrepartie affaiblir leur résistance à des pathogènes. Dans ce dernier cas, cela entraînerait indirectement l’augmentation de la quantité de pesticides à utiliser pour pallier ces faiblesses.

L'un des risques des NGT est la contamination de plantes sauvages et des cultures Bio

Même si les plantes obtenues par des NGT ne seront pas autorisées en agriculture biologique parce que le secteur est formellement contre, ces "nouveaux OGM", tout comme les anciens, peuvent contaminer les cultures biologiques et les plantes sauvages. Une dissémination incontrôlable peut avoir lieu via la pollinisation ainsi que d'autres facteurs naturels. 

"Les pollinisateurs naturels et le vent provoquent une dérive et une circulation de semence dans l’air, dans les terres, etc. La contamination existera dans tous les cas de part ces facteurs naturels. En Belgique, et en Europe aussi, les parcelles ne sont pas grandes et se touchent avec d’autres types de cultures, comme des cultures bio. Il faut être prudent", met en garde Virginie Pissoort de Nature & Progrès. 

Le pollen d’une plante NGT pourra ainsi être transporté et rencontrer une plante cultivée, voire sauvage, sexuellement compatible, qui transmettra les gènes modifiés à sa descendance. Et ainsi de suite... Des contaminations de ce type ont déjà eu lieu dans le passé dans plusieurs pays avec les anciens OGM. 

Au Canada par exemple, le colza génétiquement modifié est utilisé depuis 1995. La culture de colza bio y est devenue quasi impossible car les risques de contamination sont trop élevés... La résistance aux herbicides, qui est le trait du colza OGM, s’est étendue à une grande partie des cultures canadiennes. Sauf quelques exceptions, les agriculteurs de colza bio sont maintenant dans l’incapacité de garantir des produits sans OGM, notamment parce que le coût pour prévenir et gérer une contamination leur est dû.

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Et il se passe la même chose en Espagne, le leader des OGM dans l'UE. Depuis une vingtaine d’années, les Espagnols ont vu disparaître le maïs biologique dans les régions de Catalogne et d’Aragon, devenues les eldorados du maïs génétiquement modifié. Dans ces deux régions, la coexistence est donc devenue impossible à tenir pour les agriculteurs car la contamination par OGM représente une perte économique trop importante quand leur production ne peut être vendue estampillée du label bio. 

Une contamination qui pourrait aussi se produire avec les NGT puisqu'il s'agit de graines génétiquement modifiées. Et comme le révèle l'étude allemande, ces plantes ultra-résistantes pourraient en conséquence devenir invasives... 

La contamination par erreur humaine

A cette contamination par des facteurs naturels (pollinisateurs, vent, etc.), on peut ajouter la contamination par erreur humaine... Et ça aussi, c'est déjà arrivé plusieurs fois avec les anciens OGM. 

Aux Etats-Unis par exemple, l’entreprise Scotts a conduit des essais en champs entre 1999 et 2005 pour des graines génétiquements modifiées. Lors de ces tests, des graines ont été disséminées en dehors de la zone prévue et l’entreprise n’a pas notifié l’erreur aux autorités... En 2004, les autorités américaines ont retrouvé cette herbe, modifiée pour être résistante au glyphosate, à plusieurs kilomètres des lieux initiaux du test. Aujourd’hui, la contamination est encore en cours en Oregon car la nature de la plante, résistante au glyphosate, rend difficile toute maîtrise de sa diffusion.

Autre exemple plus récent: en janvier 2022, des plants de colza OGM interdits dans l'UE ont été identifiés près du port de Rouen en France. Une usine qui importe légalement du colza OGM canadien pour le transformer en huile a laissé échapper des graines lors du transport. L’Anses a fait des prélèvements qui ont confirmé la présence de colza génétiquement modifié non autorisé dans la zone... 

Les NGT auront-ils le même effet que les OGM sur les agriculteurs? L'importance d'interdire la brevetabilité des semences issues des NGT 

Mais Virginie Pissoort, responsable plaidoyer pour l'asbl Nature & Progrès, pointe un autre problème lié aux plantes issues de NGT: la brevetabilité des semences. "Les semences génétiquement modifiées entrent dans la catégorie des inventions protégées par des brevets. C’est l’industrie qui détermine les royalties à payer pour les commercialiser et pour pouvoir les utiliser. Il y a donc un risque de concentration de l’industrie semencière, qui maitriserait toute la chaîne, et donc de dépendance des agriculteurs", met-elle en garde.

Une préoccupation largement évoquée lors des négociations entre les Etats membres, et ce serait pour cette raison que le Conseil européen n’a pas obtenu une majorité. Mais, problème: "La réglementation des brevets n'est pas dans les mains de l'UE", explique Virginie Pissoort. Les mesures concernant la brevetabilité relèvent de la Convention de Munich (office européen des brevets) dont les signataires ne se limitent pas seulement aux membres de l’Union européenne. "Et même si on ne peut pas commercialiser les NGT pour l’instant, il y a déjà des centaines de demandes de brevet qui ont été faites", dénonce la responsable plaidoyer de Nature & Progrès. 

En outre, il n'y a rien qui indique que la brevetabilité des semences NGT sera bien interdite: "Ça avance beaucoup trop vite! On ne peut pas dire que le problème des brevets sera résolu, car on a aucune certitude", ajoute-t-elle.  

L'UE veut un quart des terres en bio d'ici 2030, un projet mis à mal par les NGT? 

Si les plantes obtenues par des NGT sont présentées comme des solutions aux effets du réchauffement climatique, elles perpétueraient en réalité une agriculture conventionnelle intensive qui prône l'utilisation de produits phytosanitaires et la course aux rendements.  

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Alors que la Commission européenne souhaite qu’un quart des terres agricoles du continent soit converties en agriculture biologique d'ici 2030, sa proposition de loi menace directement ce modèle nécessaire pour la transition agricole, notamment à cause du risque de contamination des cultures par les NGT.

Reste à voir quelle orientation le Conseil de l'UE donnera une fois que les Etats membres se seront mis d'accord... 

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