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Décryptage - Quelles règles doivent suivre les policiers lors de l'interpellation d'un suspect? Peuvent-ils faire usage de la force?

Sur des images que nous nous sommes procurées, on peut voir un policier frapper un homme menotté à l'aéroport de Charleroi. Nous vous en parlions hier. La justice prend cette affaire très au sérieux. Mais à quelles règles sont soumis les policiers lorsqu'ils privent un suspect de liberté? Peuvent-ils faire usage de la force? Que faire si on est victime d'abus? 

Nous vous en parlions ce mardi, des faits de violence de la police envers un homme visiblement interpellé ont été constatés à l'aéroport de Charleroi. Sur des images que nous nous sommes procurées, qui datent du 26 janvier dernier, on peut voir des hommes de la police fédérale, section aéronautique, maîtriser un détenu menotté, mains dans le dos. Après quelques secondes, sans raison apparente, un des policiers agrippe la tête de l'individu et porte des coups à son visage.

Le parquet de Charleroi a confirmé les faits hier après-midi: "Nous avons été avertis par la hiérarchie du policier, un dossier a bien été ouvert pour coups et blessures, un procès-verbal a été dressé." Quant au policier en question, il serait écarté pour le moment du service opérationnel et cantonné à une activité administrative.

2.690 plaintes reçues par le Comité P en 2022 pour des faits d'abus de la police 

En 2022, le Comité P, à savoir l'organe de contrôle de la police, a reçu 2.690 plaintes concernant des abus de la part de la police belge. L'année "record" du nombre de plaintes déposées au Comité P reste 2020 avec 3.112 plaintes reçues. "Ce qui correspond à l’année ‘Covid-19’ durant laquelle le Comité P a été confronté à une augmentation importante de plaintes s’inscrivant dans ce contexte, ceci de manière individuelle, lors de contrôles par exemple ou à la suite de manifestations de grande ampleur", peut-on lire dans leur rapport annuel

Mais à quelles règles sont soumis les policiers lorsqu'ils interpellent et privent de liberté un suspect? Pour en savoir plus, nous avons discuté avec Thierry Belin, secrétaire national du SNPS (Syndicat national du personnel de police et de sécurité), et Eddy Quaino, délégué permanent au CGSP pour la police. 

Quelles règles doivent respecter les policiers? 

Premièrement, les policiers belges sont soumis à la Loi sur la fonction de police (LFP) entrée en vigueur le 1er janvier 1993. C'est cette loi qui encadre la fonction policière dans notre pays, et qui prévoit notamment dans quel cadre la police peut faire usage de la force, avec ou sans arme. 

Lorsqu'un policier prive de liberté un suspect et qu'il y a donc interpellation, "il y a certaines règles", explique Thierry Benin, secrétaire général du SNPS. "Ça dépend du type d'interpellation, il y a différentes mesures que l'on peut prendre comme mettre des menottes mais ça dépend de la situation", complète Eddy Quaino, délégué permanent au CGSP pour la police. 

L'interpellation ne se passe pas toujours comme prévu, car cela dépend de l’attitude de la personne, précise Eddy Quaino: "Quand tout se passe bien, on les prévient, 'on va vous enfermer, écartez vos bras'. Il y a ensuite le principe de fouille de sécurité si la personne est interpellée". 

Peuvent-ils faire usage de la force? 

Mais la police est plus souvent confrontée à des gens récalcitrants, ajoute le délégué CGSP. "Et là, on doit faire usage de la contrainte. Ça ne veut pas forcément dire violence, mais la réponse doit être proportionnelle à une situation. Si la personne se rebelle: on doit dire qu'il y a eu rébellion, faire un pv, et évidemment faire usage de la contrainte par la force. Et là, ça devient compliqué car ça dépend vraiment de l’état de la personne, si elle est sous l'influence de drogue, etc.", développe Eddy Quaino.  

Dans tous les cas, la réponse policière doit être proportionnée, et modérée, comme le prévoit la loi sur la fonction de police de 1993. Légalement, les policiers peuvent avoir recours à la force pour neutraliser une personne. Cet usage de la force doit être légitime, et peut se faire avec ou sans arme. Cela va de "la simple empoignade, à la clef de bras, jusqu'au fait de la tuer".

Pour pouvoir faire usage de la force, le policier doit avoir un motif légitime (analysé au cas par cas). L'usage de la force physique doit aussi intervenir en dernier recours, conformément à l'article 38 de la loi. De plus, les policiers agissent de manière progressive et proportionnelle face à la menace. Enfin, si cela est possible, les moyens de contraintes sont précédés d'un avertissement, donné à voix haute ou par tout autre moyen possible.

Afin d'avoir la bonne réponse face à une personne violente, "il y a toute une série de techniques qui sont enseignées par les académies de police lors du cours de la maîtrise de la violence sans arme à feu et avec arme", précise Eddy Quaino. 

Quelles techniques les policiers belges peuvent-ils utiliser?

"Ça va du placement de menotte à la conduite de personne arrêtée, au placement d’une personne arrêtée. C'est une série de techniques qui sont reprises dans différents modules de formation qui sont validés par l’académie nationale de police", ajoute-t-il. "Comme des techniques de self défense pour placer les menottes par exemple, une clé de bras ou quelque chose comme ça", précise Thierry Benin du SNPS. 

La première technique enseignée aux futurs policiers, c'est l'assertivité. C'est elle qui doit toujours être privilégiée. Si elle ne suffit pas, dans les cas où l'individu n'obtempère pas, une demi-douzaine de clefs de bras ou de cheville sont enseignées dans les écoles de police.

La technique de l'étranglement n'est pas enseignée en Belgique puisqu'elle a été bannie il y a plusieurs années des techniques d'intervention policière. Les policiers ne peuvent donc pas compresser les voies respiratoires des individus. 

Par contre, dans certaines écoles, on leur apprend une technique de "compression vasculaire". Les policiers sont entraînés à placer leurs mains sur les veines du cou pour réduire la pression sanguine. La prise est relâchée dès que l'individu obtempère et la pression sanguine redémarre directement. Les policiers évitent d'aller jusqu'à l'évanouissement. Cette technique n'est pas mortelle.

"L'usage de la force est utilisé en cas de légitime défense. La réponse doit être modérée et proportionnelle à l'attaque", rappelle Thierry Benin. Il développe: "Si une personne jette un œuf, je ne dois pas sortir mon arme par exemple. Ou si nous sommes appelés par une personne, dont le compagnon est violent, et que la situation ne se calme pas, on doit le priver de sa liberté et faire usage de la force". 

Comment sont-ils formés?

En Belgique, le personnel des polices locales et fédérale représente un total d’environ 48.000 personnes. Parmi ces membres, on distingue 1.325 agents de police, 34.280 inspecteurs, et 2.912 commissaires. La formation n'est évidemment pas la même selon le grade. 

Dans les 11 écoles de police du pays, la maîtrise de la violence est l'un des éléments centraux de la formation des agents et des inspecteurs de police. "Le concept de "maîtrise de la violence" permet au policier confronté à une situation de danger ou potentiellement dangereuse de pouvoir l'aborder et la contrôler avec un maximum de sécurité et de la résoudre de la manière la moins violente possible", peut-on lire dans la circulaire de 2006 relative à la formation des policiers

Pour les agents, qui ont des compétences de police restreintes en matière de circulation, la formation dure 6 mois. Le module sur la maîtrise de la violence est d'au minimum 30 heures et maximum 40 heures, comme le prévoit l'arrêté royal du 20 novembre 2001.

Pour les inspecteurs de police, qu'on retrouve tant dans les zones de police locale que dans les services de police fédérale, leur formation dure 1 an. Le module sur la maîtrise de la violence doit prévoir un minimum de 130 heures de formation et maximum 140 heures. "La formation est théorique et pratique et apprend notamment comment intervenir, comment placer les menottes, comment blesser le moins possible, le respect des droits de l'homme, etc", précise Thierry Benin. 

Pour devenir commissaire de police, cela peut se faire soit par promotion interne pour ceux qui exercent déjà comme inspecteurs, soit via une formation préparatoire d'1 an. Formation qui est complétée par un programme d’une année supplémentaire où la maîtrise de la violence est exercée.

Formation "obsolète"? 

Tout au long de leur carrière, le personnel de la police peut suivre des formations pour compléter ses compétences. Il y a également des formations obligatoires, notamment en terme de maîtrise de la violence. Dans le milieu de la police, on l'appelle le "GPI 48". C'est le brevet qui est décerné aux policiers à la suite d'une formation et d'un entrainement "en maîtrise de la violence des membres des services de police". Ce brevet est obligatoire, les modalités sont prévues dans la circulaire du 17 mars 2006.

Cette circulaire prévoit notamment la formation continue pour acquérir la compétence par rapport à une arme à feu. Pour conserver leur brevet, les agents de police doivent participer à 4 journées d'entraînement par an et une journée d'évaluation. Pour les inspecteurs de police, inspecteurs principaux, et les commissaires, la formation monte à 5 journées par an et une journée d'évaluation. 

Pour la CGSP, "ces 4 journées sont insuffisantes pour faire en sorte que les policiers aient un entrainement suffisant", dénonce Eddy Quaino. Pour lui, mais aussi pour le syndicat, le gouvernement doit adapter la circulaire de 2006 à la société d'aujourd'hui: "Les policiers ont le même enseignement qu’il y a 20 ans. Ça ne va pas! Il y a eu certaines évolutions sur les techniques mais ce n'est pas suffisant. La formation a été mise en place dans les années 2000, et aujourd’hui, la violence urbaine et sociétale a évolué", urge-t-il. 

La société évolue, et avec elle la violence s'accentue: "Le nombre de faits de violence envers les policiers est en augmentation. C'est le quotidien du policier", dénonce le délégué CGSP police. En moyenne, il faut compter 12.462 faits de violence par an, avec une pointe en 2020 à 13.343. Les faits enregistrés pour 2022 sont au nombre de 10.633, mais la police admet que "ces chiffres ne sont pas complets". Parmi ces faits, on compte 1.057 infractions contre l’intégrité physique/coups et blessures à l'encontre d'un policier, 859 infractions contre la sécurité publique/menaces, 253 violences verbales en état d’ivresse ou encore 1.675 faits d'autres violences. 

Pas assez de centres d'entraînement pour les policiers: un vrai problème selon les syndicats

La formation en ce qui concerne la maîtrise de la violence est donc insuffisante selon le syndicat policier. Mais il y a également un autre problème pointé du doigt par Eddy Quaino et les syndicats policiers de manière générale: le manque d'infrastructures d'entraînement pour les policiers. On les appelle "les centres d'entraînement pour la maîtrise et la gestion de la violence". 

"On est en déficit de structure d’entrainement policier. C'est une vraie problématique car pour que l'entraînement policier soit optimal, il faut qu'il puisse s'entraîner. Ce qu’on préconise, c’est d’entrainer plus régulièrement les policiers car pour pouvoir réagir dans des circonstances où la personne est violente, ou récalcitrante, il faut avoir les outils nécessaires", explique Eddy Quaino. 

Ces centres regroupent plusieurs infrastructures pour permettre aux policiers de continuer à s'entraîner au cours de leur carrière, et ainsi perfectionner leurs techniques. "Dans la région de Louvain, le centre d'entraînement est très bien. Il y a un dojo pour s'entraîner à la maîtrise de la violence sans arme à feu, un hall aménageable pour réaliser différentes simulations, et tout un tas d'autres choses dédiées à l'entraînement policier", développe-t-il. 

Il existe également un centre de la police fédérale à Jumet. Mais de nombreuses provinces belges ne disposent pas de centre, comme à Liège par exemple, ce qui oblige les policiers liégeois à se rendre au centre de Louvain.

Cela fait des années que les syndicats réclament des investissements dans les infrastructures. Mais le dossier ne semble pas beaucoup bouger... Pourtant, "ce sont des outils qui devraient être promotionnés car la formation policière est quelque chose d’extrêmement importante pour faire face à la poussée de la violence", urge Eddy Quaino. 

Comment dénoncer si on est victime d'abus? Vers qui se tourner?

Si vous pensez être victime d'abus de la part d'un membre du personnel de police, vous pouvez directement déposer plainte auprès du comité P. Il est conseiller de déposer plainte en ligne via le lien www.comitep.be.  Si vous n'avez pas la possibilité de déposer plainte via internet vous pouvez toujours écrire au Comité P et envoyer votre courrier à l'adresse suivante: Comité P, rue de Louvain 48/7, 1000 Bruxelles. 

Si vous souhaitez être épaulé dans vos démarches, vous pouvez vous tourner vers Police Watch, qui est l'observatoire des violences policières en Belgique. Fondé par la Ligue des droits humains, il permet d'apporter une aide aux victimes tant sur l'écoute que sur les démarches à suivre. La permanence téléphonique de Police Watch est disponible du lundi au vendredi entre 10h00 et 12h00 sauf le jeudi, au 0492/60 33 39. Il existe également des conseils sur leur site internet

Le Délégué général aux droits de l’enfant reçoit les demandes ou les plaintes de tout enfant ou jeune qui estime que ses droits n’ont pas été respectés. Il est accessible du lundi au vendredi, de 8h30 à 17h30, par téléphone au 02 223 36 99 ou par mail à dgde@cfwb.be.

Vous pouvez également vous tourner vers Infor Jeunes qui vous apportera des conseils et une écoute attentive. 

En pratique, lors d’une intervention vécue comme abusive, voici les premiers réflexes à adopter:

  • Si vous êtes blessé, se rendre chez le médecin pour faire constater les blessures dans un certificat médical
  • Trouver des témoins de la scène s’il y en a et essayer d’obtenir des photos/vidéos. 
  • Écrire le plus rapidement possible ce qu'il s’est passé.
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Commentaires

3 commentaires

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  • les gens en ont marre croyez moi !! beaucoup savent et apprécient peu que les crapules ont plus de droits et moins d'emmerdes que leurs victimes et les policiers !!!

    abdoule carolo
     Répondre
  • Les malfrats se permettent tout. Les policiers doivent mettre des gants. Alors pourquoi mettre les forces de l'ordre sans défense devant de fouteurs de désordre sans limites ? Dans ces conditions, qu'ils restent au chaud au bureau. En cas de besoin urugent, ils mettront 2 h pour intervenir.

    Michel Scavée
     Répondre
  • "Trouver des témoins de la scène s’il y en a et essayer d’obtenir des photos/vidéos. " Filmer les gens dans la rue, c'est illégal, encore plus s'il s'agit de policiers ! Certains malfrats ont le don de pousser les policiers à bout, parfois rien que par la parole. Actuellement, les "justiciers" aiment accuser et critiquer les policiers sur les réseaux en diffusant des vidéos tirées de leur contexte et il est dommage que ça reste impuni.

    roger rabbit
     Répondre