Accueil Actu

Johann Le Guillerm, maître de l'"architexture"

C'est un peu l'homme qui murmure à l'oreille du bois, du fer, du papier. Performeur atypique, Johann Le Guillerm entretient depuis 30 ans le secret de son "dialogue avec la matière", avec des spectacles aux confins du cirque et de l'art contemporain.

Inclassable, autodidacte, l'artiste de 50 ans est un magicien de la scène, mais ses numéros n'ont rien d'un prestidigitateur.

Dans "Secret (temps 2)", spectacle réinventé sans cesse depuis 7 ans et repris à La Villette, il grimpe sur un mille-feuilles de planches en bois qu'il fait "déferler" au rythme de ses pas, construit des mikados géants avec une dextérité saisissante ou fait "danser" une barre en fer (après l'avoir pliée et dépliée autour de son corps), dompte une tornade sortie de nulle part ou fait jouer un oiseau en papier sur ses deux mains.

"C'est un dialogue avec la matière; je ne la domine pas, je l'écoute, je m'adapte à elle à chaque instant et peut-être elle a une pensée pour moi, qui sait", affirme à l'AFP cet homme aux yeux bleus sans cesse écarquillés.

"La technologie ne m'intéresse pas beaucoup; je préfère sentir la matière, ce qu'elle montre d'étonnant, c'est sa magie que j'essaie de reproduire", précise-t-il.

- "Regard à 360 degrés" -

Avec son allure de saltimbanque un peu punk - deux tresses, torse nu, pantalon taille haute en cuir et bottes de cowboy -, le Sarthois fait figure d'électron libre dans le paysage du cirque contemporain où il défend une philosophie et surtout un jargon qui lui est propre.

Il se définit comme un "praticien de l'espace des points de vue" (les spectateurs autour de la piste pouvant interpréter différemment ses spectacles), il a fondé un "observatoire du minimal" où il fait ses recherches depuis 20 ans et a conçu le mot "architexture".

"C'est entre la texture et l'architecture", dit-il. C'est-à-dire des structures en bois qu'il construit à la main sans vis, sans clous ni colle, pour en faire des enchevêtrements autoportés qui évoquent un dôme, un échafaudage ou une toile d'araignée.

Durant le spectacle, il émet des bruits de sa bouche en fixant la matière, comme s'il lui parlait.

Fils d'une céramiste et d'un sculpteur, il fait partie de la première promotion du Centre national des arts du cirque (CNAC) à Châlons-en-Champagne mais s'éloigne rapidement du cirque traditionnel et même contemporain.

"Je garde exactement le principe du cirque comme la piste, le chapiteau, mais je montre des pratiques qui n'existent dans aucun autre corps de métier" et qui ont peu à voir avec les circassiens traditionnels (jongleurs, trapézistes, etc), poursuit-il.

"Ca ne m'intéresse pas de transmettre un message précis, tout ce que je montre peut changer d'interprétation selon le point de vue" du spectateur, précise encore le performeur.

Touche-à-tout - il a mis au point des performances inspirées du culinaire avec le chef étoilé Alexandre Gauthier, ou des mathématiques -, il est dans une quête constante de cette "multiplicité des points de vue" à travers ses spectacles qui ont voyagé dans toute la France.

Dès 2001, il s'engage dans le projet Attraction pour porter "un regard à 360°" car "notre monde évolue depuis toujours avec un regard frontal", dit l'artiste qui se produit seul en scène avec l'aide d'une poignée de régisseurs.

A chaque projet, il reprend quelques numéros pour les renouveler et leur donner une nouvelle vie quelques années plus tard.

Ses spectacles s'échappent parfois des chapiteaux: lors de la Nuit Blanche en 2014, il crée "La Transumante", construisant et déconstruisant tout au long de la nuit des sculptures faites de 130 poutres de bois de trois mètres de long, tenant ensemble par la seule pression des bâtons.

A la Maison des métallos, l'ovni circassien va inviter le public en novembre à se saisir d'outils qu'il a créés pour multiplier les points de vue... sur les sons.

Si cela fait belle lurette qu'il ne se définit plus comme circassien, il garde toutefois deux superstitions de ce monde: il refuse de s'asseoir au bord d'une piste de cirque face au public et pressent un malheur si... un oiseau est retrouvé coincé sur le toit du chapiteau.

À lire aussi

Sélectionné pour vous