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C'est censé être l'une des armes-clé pour endiguer la pandémie et relancer l'économie: depuis un mois, les autorités américaines parlent du besoin d'engager une "armée" d'agents pour suivre et isoler les gens exposés au coronavirus. Mais leur recrutement commence à peine et leur tâche s'annonce dantesque.
Interrogé par une commission parlementaire, le directeur des Centres de prévention et de lutte contre les maladies (CDC) Robert Redfield a répété mardi que le "traçage" -- qui consiste à appeler toute personne ayant été en contact avec une personne testée positive et lui demander de se mettre en quarantaine -- était "essentiel pour stopper les chaînes de transmission (du virus) et empêcher une propagation soutenue".
Depuis la mi-avril, le gouverneur de New York, l'Etat le plus touché par le nouveau coronavirus, évoque l'embauche de 6.000 à 17.000 agents de traçage.
Pour l'ensemble des Etats-Unis, les experts estiment les besoins à 100.000 agents au minimum, même avec les applications qui se développent pour tracer automatiquement les mouvements de la population par géolocalisation.
Or, dans la plupart des Etats américains, qui doivent chacun élaborer leur programme de traçage, l'embauche de ces agents démarre tout juste.
Avec le chômage qui explose, les candidats se comptent déjà par milliers, mais le traçage à New York ne devrait pas commencer avant début juin, date annoncée par la mairie pour achever la formation de 1.000 agents.
"Beaucoup de choses doivent être en place avant que le traçage puisse commencer", explique à l'AFP Andrew Chan, professeur de santé publique à l'université de Harvard.
Il faut des agents en nombre, mais aussi des tests en quantité suffisante pour dépister rapidement toutes les personnes exposées au virus et leur proposer des lieux où passer leur quarantaine si leur domicile ne s'y prête pas.
"L'absence d'une stratégie fédérale cohérente", note l'expert, a créé "un patchwork d'efforts" entrepris par les 50 Etats américains, loin du processus centralisé qui facilite le partage d'informations instauré en Corée du Sud ou envisagé en France.
Cela engendre "beaucoup de chaos et de confusion", dit-il.
- "Ne pas faire peur"
Une fois les agents opérationnels, l'ampleur de la tâche peut être décourageante.
Dans l'Etat du Massachusetts, pionnier dans l'organisation du traçage, les "traceurs" ont constaté que "la conversation n'est ni simple ni rapide lorsqu'ils contactent quelqu'un qui a été testé positif", souligne M. Chan.
"Il faut du temps pour atténuer leur angoisse liée au résultat positif et en détailler les conséquences", développe-t-il.
D'autant que dans cet Etat, comme dans beaucoup d'autres, les minorités noires et hispaniques sont les plus touchées. Certains parmi elles parlent peu l'anglais et risquent un chômage immédiat en cas de quarantaine.
Julian Drix, enquêteur depuis mars dans le petit Etat voisin de Rhode Island, le confirme: beaucoup des personnes "tracées" sont sans-papiers, redoutent tout contact avec les autorités, et nécessitent de recourir à des interprètes ou des agents bilingues encore insuffisants.
"Cela prend plus de temps pour obtenir les infos et établir la confiance (...) On ne veut pas leur faire peur", dit-il, soulignant que beaucoup d'agents travaillent "10 à 12 heures par jour, six à sept jours par semaine".
Le travail peut paraître "si titanesque que cela peut être un obstacle au lancement du traçage", relève M. Chan.
Quels que soient les obstacles, et la question non résolue du financement du traçage par des Etats dont les rentrées fiscales ont fondu avec la pandémie, "il n'y a pas d'alternative", souligne Marcus Plescia, responsable médical de l'ASTHO, association qui regroupe les responsables sanitaires des Etats américains.
"Si on ne met pas en place le traçage à grande échelle, le virus va revenir en force", estime-t-il. Et lorsque les agents seront opérationnels à travers le pays, coopérer avec eux et accepter la quarantaine deviendra "une obligation sociétale", même si cela causera forcément "des frustrations".