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Les plaies du passé colonial français refont surface à Avignon

Dans la première histoire, c'est le père tunisien qui a été rayé de la carte familiale, dans la deuxième, c'est le grand-père algérien.

A Avignon, deux pièces coup de poing, l'une autobiographique, l'autre fictive, mêlent l'intime et le politique pour raconter comment des traumatismes historiques comme la bataille de Bizerte ou le massacre d'Algériens à Paris en octobre 1961, ont fait éclater irrémédiablement des familles mixtes.

Présentée parmi les 1.600 pièces du foisonnant festival "off" d'Avignon, "Final Cut" est racontée et jouée par Myriam Saduis qui en est également l'héroïne. Elle qui s'appelait Saâdaoui avant que sa famille maternelle - des Italiens qui ont quitté la Tunisie en 1958 pour la France - n'éradique son père tunisien de sa vie.

Dans la pièce non dénuée d'humour, la plupart du temps seule en scène, elle raconte comment elle découvre pour la première fois le visage de ce père à travers des négatifs de photos gardés par sa mère.

- "Ne pas être assignée"

"Pour moi, c'était comme une métaphore du colonialisme français. Il y a tout un déni, des +négatifs+ dans la mémoire collective qui attendent d'être révélés", affirme à l'AFP la metteuse en scène et actrice de 56 ans établie en Belgique.

"Une fois qu'on les a révélés, on pourra les ranger dans un album et passer à autre chose", ajoute-t-elle.

Après plusieurs années de psychanalyse, elle se dit en paix avec ce passé traumatisant.

C'est en 1961, avec la bataille de la base navale tunisienne de Bizerte encore occupée par les troupes françaises, que son père et sa mère, alors enceinte d'elle, décident de partir pour la France. Mais ils sont rattrapés, le 17 octobre de la même année à Paris, par la répression sanglante d'une manifestation pacifique à l'appel du FLN algérien contre un couvre-feu imposé par Maurice Papon.

"Mes parents se trouvent projetés dans un contexte où le racisme est à son comble, où mon père par le seul fait d'être un Arabe est regardé de travers", explique Myriam Saduis.

Elle relate comment en vertu de la loi de 1972, sa mère décide de franciser son nom, lui permettant de "ne pas être assignée +fille d'immigré+". Puis comment cette mère, elle-même persécutée par sa famille pour avoir aimé un Arabe, a fait expulser de France le père.

Ce n'est qu'à l'âge de 40 ans, à la mort de sa mère, que la metteuse en scène rencontre pour la première fois sa famille paternelle en Tunisie (ses proches ont assisté bouleversés à une représentation de la pièce à Tunis).

Soulignant l'importance de la décision d'Emmanuel Macron d'ouvrir les archives de la guerre d'Algérie, elle estime qu'"on assiste à une prise de parole d'enfants et de petits-enfants d'ex-colonisés".

"Et ces paroles commencent à être entendues", citant Alice Cherki, auteur de "La frontière invisible", ou Alice Zeniter, prix Goncourt des lycéens en 2017 pour "L'art de perdre" sur son grand-père harki.

- L'intime abîmé par le politique -

Dans "Quais de Seine" de la Roumaine Alexandra Badea, c'est un autre couple, Irène, pied noir et Younes l'Algérien, qui atterrit à Paris en pleine guerre d'Algérie, avant d'être séparé dans la foulée du 17 octobre 1961.

"Ce qui est bouleversant, c'est que ça s'est passé ici, dans les rues qu'on traverse, sur ce pont", dit-elle à l'AFP en référence au pont Saint-Michel où une stèle commémorative est érigée.

La pièce est le deuxième volet d'une trilogie, qui avait déjà traité le massacre à Thiaroye, près de Dakar, de soldats sénégalais par l'armée française en 1944.

Dans un va-et-vient scénique entre passé et présent, une jeune fille, Nora, est à la recherche de ses origines. Derrière, un écran qui s'allume et s'éteint au gré des scènes, ses grands-parents s'aiment puis se déchirent.

"Une fille m'avait racontée l'histoire de son grand-père algérien dont on lui a jamais parlé", explique Alexandra Badea. "Ce qui m'a intéressé, c'est comment le politique abîme l'intime", ajoute la dramaturge.

"Il faut se confronter à ces histoires en les nommant, sinon elles continuent de générer de la frustration, de la non-reconnaissance, de la violence", dit-elle.

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