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A Avignon, le "non" d'Antigone face à l'exploitation de l'Amazonie

Chez Milo Rau, art et politique vont de pair: le metteur en scène, qui présente "Antigone en Amazonie" au Festival d'Avignon (Sud de la France), voit cette pièce comme "un acte de solidarité" avec les paysans sans terre au Brésil.

Le point de départ de cette création a été une performance en Amazonie, dans l'Etat de Para (nord du Brésil), où lui et son équipe ont reconstitué en avril un massacre en 1996 de militants du Mouvement des paysans sans-terre (MST) lors d'une marche pour la réforme agraire.

"Il y a eu tout une controverse sur les réseaux sociaux au Brésil où on nous a accusés de +fake news+, alors qu'on avait reconstitué un massacre qui s'était vraiment passé", affirme à l'AFP le metteur en scène suisse, connu pour confronter le théâtre et le réel.

"Des parlementaires, des généraux dans l'armée et de l'agro-industrie ont réclamé l'interdiction de la pièce au Brésil; or à ce stade, il n'y avait pas de pièce!" fait-il remarquer.

- "Cathartique" -

Cette performance fait partie intégrante de la pièce qui a déjà tourné en Europe et qui clôt la trilogie des mythes antiques de Milo Rau, après Oreste à Mossoul -où il transpose la tragédie d'Eschyle dans le Nord irakien dévasté par la guerre et les exactions de l'Etat islamique- et Le Nouvel Evangile (créé dans un camp de réfugiés en Italie).

Celui qui a été déclaré persona non grata en Russie après la mise en scène d'une version fictive du procès du groupe contestataire et féministe Pussy Riot et choqué la Belgique en faisant participer des enfants dans une pièce sur l'affaire Dutroux, affirme qu'Antigone en Amazonie est, de toutes ses pièces, "celle qui a eu le plus d'impact".

"C'était émouvant, cathartique et un bel acte de solidarité que de montrer la souffrance de ces gens", dit-il, en référence aux paysans sans-terre.

"Si la réalité est choquante, pourquoi l'art ne devrait pas l'être ? Si on a tué des gens en Amazonie, pourquoi ne pas le montrer?", demande le directeur sortant du NTGent (à Gand, Belgique) et directeur désigné du festival de Vienne (Wiener Festwochen).

La reconstitution du massacre, qui a été filmée, ne sera visible que sur vidéo. Si l'Antigone de Sophocle dit non à son oncle Créon, l'Antigone amazonienne, elle, dit non à la destruction de la plus grande forêt tropicale de la planète.

Sur écran, la militante autochtone, Kay Sara, incarne Antigone aux côtés d'un choeur composé de survivants du massacre et de leurs familles.

Sur scène, deux acteurs de la NTGent et deux comédiens brésiliens expliquent le making of de la pièce et les enjeux éthiques derrière ce travail, tout en incarnant plusieurs personnages de la pièce de Sophocle.

Milo Rau est aussi allé plus loin en lançant un manifeste qui appelle au boycott de tous les produits des acheteurs d'Agropalma -important producteur d'huile de palme- et d'autres grands trusts agroalimentaires.

Le manifeste, baptisée "Déclaration du 13 mai", a été signé notamment par le prix Nobel Annie Ernaux et l'intellectuel Noam Chomsky.

"Nos lapins en chocolat et notre Nutella du matin sont à l'origine de violations de droits humains, d'accaparement de terres et de destruction du monde vivant", lit-on notamment dans le manifeste.

La pièce voyagera en Australie, en Asie, en Amérique du nord et sud.

Depuis sa fondation au début des années 1980, le Mouvement des paysans sans-terre lutte pour une distribution plus équitable des terres agricoles. Leurs méthodes sont parfois controversées, avec notamment des occupations de terres appartenant à l'Etat ou à des fermiers. Des militants mènent également des campagnes contre les monocultures ou pour la préservation des forêts.

C'est "une sorte d'utopie et j'espère que la pièce contribuera à mieux le faire connaître", affirme Milo Rau.

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