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Pour rentrer "à la maison", des Ukrainiens des zones occupées passent par la Russie

Pour quitter l'Est de l'Ukraine occupé et rejoindre Kiev, Olena Ievdokiïenko a dû passer par la Russie et faire les deux derniers kilomètres à pied, traînant ses valises et poussant le fauteuil roulant de sa mère, par une nuit noire.

Avec sa famille, elle a utilisé un couloir humanitaire, seule entrée dans leur pays depuis la Russie pour les Ukrainiens fuyant les territoires contrôlés par les troupes de Moscou.

Ce poste-frontière reliant les régions russe de Belgorod et ukrainienne de Soumy ne peut être franchi que dans un sens, de la Russie vers l'Ukraine, mais la piste de terre est très fréquentée, plus d'un an et demi après le début du conflit.

"J'ai eu l'impression de faire vingt kilomètres et non deux", dit à l'AFP Olena Ievdokiïenko, 48 ans, une fois arrivée côté ukrainien.

Sa fille adolescente et elle l'ont franchi "par étapes", en "marchant un peu avec les sacs, puis en revenant chercher Mamie pour la pousser, avant de revenir aux sacs".

"C'était très difficile", dit-elle.

La traversée se fait à pied plutôt qu'en véhicule, trop dangereux vu les bombardements, explique un porte-parole des gardes-frontières, Roman Tkatch.

Car autour de ce couloir humanitaire, la guerre continue et "la Russie frappe la zone frontalière quotidiennement", reprend-il.

La frontière est officiellement fermée, poursuit ce porte-parole, mais puisque la Russie laisse passer des Ukrainiens, leur pays les accueille.

Chaque jour, ils sont entre 60 et 120 à entrer, dit-il.

- "Paria" -

Une fois les contrôles passés, dans le village frontalier de Krasnopillia, Olena Ievdokiïenko a dormi dans un centre de l'ONG Pluriton à Soumy, capitale de la région éponyme.

Emmitouflée dans un duvet, elle explique avoir quitté la région occupée de Lougansk quand ses voisins pro-russes ont commencé à la traiter de "nazi" et de "salope d'Ukrainienne".

Car l'enseignante refusait de prendre la nationalité russe ou d'utiliser des livres scolaires russes.

"Je suis devenue une paria", dit cette femme, entourée de valises et des sacs contenant les médicaments de sa mère. "Ils m'insultaient, me menaçaient, il y avait beaucoup de pression."

Sa maison de famille, près de la ligne de front, a été détruite par des bombardements. Sa mère Raïssa Demianenko, 69 ans, dit entre deux sanglots qu'elle commence tout juste à réaliser "les horreurs vécues" par sa famille.

La prochaine étape de leur périple sera Kiev, à plus de 300 kilomètres et où Olena Ievdokiïenko espère trouver du travail.

- "Tyrans" -

A Krasnopillia, Serguiï Gouts-Zassoulski, 57 ans, vient d'arriver d'une zone occupée de la région de Donetsk avec sa compagne, Tatiana Katchilova, et leur fils de douze ans.

En racontant son histoire, cet homme aux cheveux gris et au blouson de cuir doit parfois s'interrompre, cachant son visage dans un mouchoir. "C'est l'émotion", s'excuse-t-il.

En voyant les drapeaux ukrainiens, après avoir traversé la frontière, Serguiï dit ressentir "une immense joie".

"Tu te dis: +Mon dieu, est-ce que tous ces tourments ont pris fin pour de bon, et suis-je à la maison ?+", déclare-t-il.

Il affirme avoir été battu et emprisonné par les autorités d'occupation.

"Ils m'ont pris et m'ont mis dans une cave pendant un mois, sans que je sache pourquoi. Ce n'est que plus tard que j'ai compris que c'était parce que je suis Ukrainien", explique M. Gouts-Zassoulski.

Les coups ont été si violents qu'il dit ne plus bien voir de l’œil droit.

Le couple explique que sans passeport russe, il leur était impossible de travailler ou même d'appeler une ambulance.

Au point de passage, disent-ils, les gardes-frontières russes leur ont demandé pourquoi ils partaient dans un pays dirigé par des "tyrans".

Mais pour Tatiana Katchilova, hors de question de retourner en zone occupée. "On a compris comment la Russie était, comment elle traite les gens."

D'autres, en revanche, ne vont en Ukraine que temporairement, par exemple pour voir un proche, percevoir leur retraite ou obtenir un traitement médical.

Parmi eux, Valentina, une quinquagénaire de la région de Lougansk, qui compte bien y retourner après ses rendez-vous médicaux à Kiev.

Son mari a des problèmes cardiaques et "presque tous les cardiologues ont quitté" les territoires occupés, regrette-t-elle.

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