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A travers l'ex-URSS, deux salades russes trônent d'ordinaire sur les tables du Nouvel An: la Chouba, un mélange comprenant hareng et betterave, et la salade de patates Olivier. Mais à Kiev, guerre oblige, de nombreux restaurants les ont bannies.
Tetiana Mytrofanova, propriétaire de l'auberge "Derrière Deux Lièvres", dans le centre historique de la capitale ukrainienne, n'a aucun doute: dix mois après l'invasion l'armée russe, ces plats sont condamnés.
"Nous devons tourner la page", résume cette femme de 58 ans, assise sur une banquette de son restaurant, où elle organise une soirée du Nouvel An avec un concert jusqu'au bout de la nuit.
"Ce sera ma première année sans les salades Olivier et Chouba", ajoute la restauratrice qui prévoit de servir à la place des plats traditionnels kiéviens, comme de la perche farcie.
"Je sais que les gens qui viendront passer la nuit (du nouvel An) avec nous s'en souviendront à jamais", poursuit Tetiana, qui voit la soirée à venir comme l'occasion d'un "redémarrage psychologique".
Elle ne s'inquiète pas non plus du fait que les clients ne pourront quitter son restaurant entre 23H00 et 05H00 du matin, couvre-feu oblige: "Quand les gens viennent chez nous, ils entrent dans une nouvelle dimension (...) où le temps passe de manière imperceptible".
- "Guerre du borchtch" -
En Ukraine, le civisme culinaire s'est particulièrement développé depuis 2014 et l'annexion de la Crimée par Moscou, puis du déclenchement, avec l'appui russe, d'une rébellion armée dans le Donbass, l'Est ukrainien.
L'invasion russe ordonnée par Vladimir Poutine le 24 février dernier a ensuite donné un coup d'accélérateur au patriotisme gastronomique ukrainien, culminant en juillet lorsque l'Ukraine a obtenu que l'Unesco intègre à sa liste du patrimoine culturel immatériel en péril la "culture du borchtch", un potage dont la Russie revendiquait également la paternité.
Une victoire ukrainienne dans ce qui fut surnommé "la guerre du borchtch".
Le restaurant "Derrière Deux Lièvres", qui doit son nom à une comédie soviétique de 1961, ne se contente pas seulement de changer de menu du Nouvel An pour contribuer à l'effort de guerre.
Comme d'autres cuisines de la ville, lorsque les premières bombes sont tombées sur Kiev en février, celle de Tetiana a nourri des centaines de personnes qui manquaient de produits alimentaires.
Puis, elle a envoyé des vivres aux soldats résistant aux forces russes qui tentaient de prendre la ville de Gostomel, théâtre d'une violente bataille pour un aérodrome stratégique dans la banlieue de Kiev.
Finalement, l'armée du Kremlin sera contrainte de se retirer au printemps, abandonnant sa tentative de conquérir Kiev pour se concentrer sur l'Est et le Sud du pays.
"Je n'ai vu le commandant (de l'unité de Gostomel) que cinq mois plus tard", raconte Tetiana. "Je n'ai vu aucun autre de nos gars, mais je les aime, chacun d'entre eux", poursuit la restauratrice, les larmes aux yeux car trois de ces hommes sont morts au combat récemment.
Son personnel de cuisine a quant à lui préparé ces derniers jours des gâteaux en forme d'agneau pour les troupes déployées sur le front. D'autant que l'un des cuisiniers vient d'être mobilisé et de partir en camp d'entraînement.
- "Tant d'autres salades" -
Changer de menu pour en effacer les plats associés à la Russie est la moindre des choses pour la cheffe Natalia Khomenko: "C'est possible et c'est la juste chose à faire", dit-elle.
"Derrière Deux Lièvres" n'est pas seul dans cette logique, loin de là. Le restaurant Avtostantsia, par exemple, dans le quartier de Podil, revisite également son menu.
Ici aussi, exit la Chouba et l'Olivier, remplacés notamment par un houmous de betterave et du forchmak, mélange de maquereau, de patates, de crème aigre d'oignons et de poivrons.
Mais au grand dam de la directrice des lieux, Anna Selezen, ce menu ne pourra pas être servi la nuit du Nouvel An, les bombardements russes et les coupures d'électricité à répétition n'ayant pas permis à son équipe d'apprendre à préparer ces plats à temps.
Qu'à cela ne tienne, maintenant que le restaurant dispose d'un générateur, ces mets seront servis à l'occasion de Noël orthodoxe, le 7 janvier.
"Nous avons plein de plats traditionnels ukrainiens, pas besoin des russes", assène Mme Selezen. "On peut vivre sans eux, et on aurait même dû le faire plus tôt".
Certes, confie-t-elle, la Chouba lui manquera, mais "il y a tant d'autres salades à préparer".