Partager:
Avec l'amputation d'un mois et demi de la saison de ski, l'économie montagnarde fait face à un manque à gagner de l'ordre de 1,5 milliard d'euros et voit ses saisonniers, parfois confrontés à des employeurs indélicats, réduits à une précarité accrue.
C'était pourtant "très bien parti", avec un enneigement "bien présent", regrette Jean-Marc Silva, directeur de France Montagnes, organisation qui fédère 350 stations dans les six massifs français.
L'interruption brutale de la saison le 15 mars a amputé les recettes du secteur, habituellement de l'ordre de 11 milliards, de 15% à 20%, selon lui.
L'impact varie selon les stations. Celles de moyenne et basse altitude "avaient presque fini leur saison mais plus vous montez, plus le manque à gagner est important", souligne M. Silva.
Pour Val-Thorens, perchée entre 2.300 et 3.200 mètres dans la Tarentaise, qui devait fermer le 3 mai, "c'est un séisme économique", résume à l'AFP son directeur Vincent Lalanne.
La station aux 25.000 lits et à la renommée internationale affichait "complet jusqu'au 15 avril". "C'est 35 à 40% de chiffre d'affaires perdu, soit 200 millions d'euros".
Dans les Alpes du Nord - 70% du marché du ski - Savoie Mont Blanc Tourisme a fait ses calculs: 800 millions n'entreront pas dans les caisses, avec six millions de journées de skieurs non vendues et dix millions de nuitées perdues.
L'opérateur de clubs de vacances MMV, surtout implanté dans les grandes stations, a perdu 25% de son chiffre d'affaire hébergement, soit 15 millions d'euros, explique son président Jean-Marc Filippini.
- "faire le dos rond" -
Et l'été ne devrait pas être la planche de salut espérée: "nous faisons des projections à moins 30%.. si on sort du confinement début mai"... Perspective de plus en plus incertaine.
Autre branche frappée de plein fouet, les magasins de sport: "90% du chiffre d'affaires dépend de l'hiver. La perte d'activité est estimée à 100 millions (sur 650)", déplore Brice Blancard, responsable Montagne à l'Union Sport et Cycle, dont 1.200 magasins sont adhérents.
Ce sont généralement des structures de moins de 10 employés, qui vont devoir gérer des stocks d'invendus. Mais, espère M. Blancard, ces commerçants souvent bien implantés "auront la capacité de faire le dos rond".
Ce ne sera pas le cas de tous les saisonniers, logés à diverses enseignes selon leur employeur.
Pour les remontées mécaniques et leurs 15.000 saisonniers, la décision a été prise rapidement: "on s'est tourné vers le chômage partiel", affirme Laurent Reynaud, délégué général de Domaines skiables de France (DSF).
"On a travaillé à partir des engagements du gouvernement. On attend avec impatience les textes officiels", souligne M. Reynaud, notant que certaines directions du Travail en région refusaient des dossiers de chômage partiel malgré les promesses gouvernementales.
- "faciles à dégager" -
Si DSF a non seulement utilisé le chômage partiel mais aussi reconduit des contrats jusqu'au 15 avril pour étendre ce statut protecteur, d'autres employeurs se sont montrés moins scrupuleux, surtout dans l'hôtellerie-restauration, dénoncent les syndicats.
Pierre Didio, de FO Savoie, a dû batailler avec quelques patrons de Tignes: "Je leur ai expliqué que soit ils prenaient le chômage partiel remboursé par l'Etat soit ils paieraient la totalité après un procès aux prud'hommes".
Dans ces secteurs peu syndiqués, certains saisonniers, "jeunes, voire très jeunes, ne connaissent pas leurs droits: c'est facile de les dégager sans qu'ils fassent de problèmes", s'inquiète Isabelle Laurent de la CGT des Hautes-Alpes.
Elle décrit des situations ubuesques de "salariés laissés confinés dans un hôtel sans contrat de travail, dont certains se sont retrouvés coincés là-haut!".
Sans parler de la main d’œuvre étrangère "dégagée en premier, dès les annonces de l'interdiction des voyages scolaires" à compter du 1er mars.
"Pour tous ceux qui n'auront pas eu le chômage partiel jusqu'à la fin de leur contrat, ça va être difficile d'arriver aux six mois requis depuis novembre 2019 pour avoir droit à une allocation chômage", insiste Mme Laurent. Cet aspect de la réforme de l'indemnisation chômage n'a pas été reportée à septembre par le gouvernement.
C'est le cas de Samuel, 36 ans, pisteur en Isère. Il ne touchera pas le chômage partiel car il avait déjà effectué les douze semaines de travail minimum prévues par son contrat. "On a tous été remerciés après avoir démonté le matériel. On a pris un mois et demi dans la vue", témoigne le trentenaire.
"Pôle emploi a pris le relais, mais avec le nouveau mode de calcul, je n'ai que deux mois et demi devant moi, pas plus", confie ce jeune père de famille.