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"Il est descendu dans ma petite culotte": victimes d’inceste, Mélissa et Julie portent plainte mais dénoncent un manque de suivi de la justice

Mélissa et Julie ont toutes deux subi un viol intrafamilial pendant leur enfance. Elles ont décidé d'en parler cette année, et de porter plainte dans la foulée pour que justice soit enfin rendue. Mais depuis, elles déplorent un manque de suivi de la justice et se sentent démunies face à l'appareil judiciaire. Vers qui peuvent-elles se tourner? Comment fonctionne une procédure judiciaire? Explications. 

"Nous devons vivre avec la honte". Mélissa, 26 ans, et sa cousine Julie, 24 ans, ont toutes deux subi des attouchemens et un viol intrafamilial durant leur enfance. L'homme accusé est le grand-père maternel de Mélissa. Pendant de longues années, elles gardent ce lourd fardeau pour elles, incapables d'en parler. Jusqu'à il y a quelques mois, quand Mélissa décide de briser le silence et raconter ce qui lui est arrivé. Très vite, Julie en parle aussi. Et puis sa soeur... Toutes les trois, elles décident de porter plainte le 28 juin afin que justice soit enfin rendue. 

Je lui disais 'non' mais il continuait

Mais depuis, c'est silence radio, malgré plusieurs relances... "Malgré trois plaintes contre lui pour attouchements et viol, il n'a toujours pas été auditionné, et le dossier n'avance pas", déplore Mélissa via le bouton orange Alertez-nous. "Cet homme a maintenant 74 ans, donc si la justice ne fait pas vite son travail, il terminera ses jours tranquillement chez lui pendant que nous, victimes, avons été salies".

"Il a commencé à descendre avec ses mains, puis sa bouche": le récit des victimes

L'horreur pour Mélissa, Julie et sa soeur, commence pendant leur enfance. Les faits se sont produits à quelques années d'intervalle, toujours par la même personne. "Il y a 18 ans, mon grand-père du côté maternel a abusé de moi. J’ai dormi une seule fois chez lui, et ça a été la fois de trop...", raconte Mélissa. On est alors en 2005 et Mélissa est âgée de seulement 8 ans. 

"Je devais dormir dans un lit de camp dans le salon. Finalement, il m’a fait dormir dans son lit. Il m’a rejoint, et il a commencé à me toucher, à baisser mon pantalon… Je lui disais 'Non je vais avoir froid', mais il continuait. A ce moment-là, c’était comme un miroir: j’avais les yeux fermés mais j’avais l’impression de me voir de l’extérieur et de voir exactement tout ce qui se passait", poursuit Mélissa. 

"Il a commencé à descendre avec ses mains, puis avec sa bouche. Ça a été très rapide, mais en même temps très long... Et le lendemain, on est partis à l'Ourthe, et il m’a fait comprendre que j’étais assez grande, que je savais ce que je faisais. J’avais 8 ans", se souvient-elle. 

Il me disait que c’était notre petit secret et qu'il ne fallait rien dire

Un évènement traumatique pour la jeune fille, qui peine à s'en remettre: "Je me souviens encore du pyjama que je portais ce soir-là... Je fais le même cauchemar toutes les nuits". Encore aujourd'hui, Mélissa n'arrive pas à se sortir cette scène effroyable de la tête. Et ça lui a laissé des séquelles: "J’ai fait des tentatives de suicide, je me suis tailladé les veines plusieurs fois, je suis sous antidépresseurs depuis presque toute ma vie. Pendant 18 ans, on a vécu avec ça, et ça a été très dur. Je me suis toujours sentie très mal, toujours l’impression d’être pas assez bien, mais j’en ai jamais parlé", explique-t-elle. 

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"Dormir avec son grand père, c’est pas quelque chose de mal normalement…"

Pour Julie, les faits se sont produits quasiment de la même manière, nous raconte-t-elle. Mais son grand-père abusera d'elle deux fois. Le premier attouchement a lieu alors que Julie, âgée elle aussi de 8-9 ans, devait dormir chez son grand-père: "Il m’avait dit que je dormirais avec lui. Mais voilà, dormir avec son grand-père, c’est pas quelque chose de mal! Normalement… Il a commencé à mettre sa main sur moi, puis il est descendu dans ma petite culotte. Et il a fait pareil avec sa bouche", confie Julie, qui était alors tétanisée par ce qui lui arrivait. 

La deuxième fois, les faits se sont produits chez les parents de Julie, alors que son grand-père était censé la surveiller, nous explique-t-elle. Des attouchements qui ont été "écourtés" par l'arrivée du frère de Julie dans la maison: "Il a de suite arrêté, mais il me disait que c’était notre petit secret à nous deux, et qu’il ne fallait rien dire", se rappelle la jeune fille. 

Le silence pendant 18 ans, mais brisées psychologiquement 

Pendant plusieurs années, Mélissa et Julie gardent ce lourd fardeau pour elles, incapables d'en parler. Jusqu’au jour où les langues se sont déliées. "J’ai une petite fille maintenant, et je ne veux pas qu’elle ait une maman droguée par les médicaments. C’est ça qui m’a fait en parler vraiment, pour que ça s’arrête", nous dit Mélissa. Une annonce qui a eu du mal à passer au sein de la famille: "Au début, on ne m'a pas crue... Toute la famille disait 'Mais non, il n'est pas comme ça'. Si Julie n'avait pas parlé, j'aurais été la menteuse", déplore-t-elle. 

Il est temps que tout le monde voit son vrai visage

Si pendant 18 ans, elles ont gardé le silence, c'était par honte, nous disent-elles: "On a été humiliées... C’est la peur du regard des gens et la honte aussi, même si on sait qu’on ne doit pas avoir honte, au fond de nous on a quand même honte... Et puis, on se dit 'pourquoi nous? On a fait quelque chose de mal?'".  

Aujourd'hui, Mélissa et Julie ne souhaitent qu'une chose: "Qu'il soit puni". C'est pour cette raison qu'elles ont fait la démarche d'aller porter plainte fin juin: "Il est temps que tout le monde voie son vrai visage. Tout le monde dit que c’est un brave type, mais non pas du tout! Et nous, ça va nous aider à avancer, parce que psychologiquement, c’est pas facile tous les jours", explique Julie. 

"Le suivi judiciaire, c’est zéro": sans suivi de la justice, les victimes se sentent abandonnées

Le 28 juin dernier, les victimes se rendent donc au commissariat de police de Binche. Mélissa et Julie sont auditionnées chacune à leur tour par des agents de police afin de raconter les faits subis lorsqu'elles étaient petites. La soeur de Julie, elle, porte plainte au commissariat de La Louvière. Leurs trois plaintes sont regroupées et envoyées au parquet de Mons. 

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Si elles se sont senties écoutées et soutenues lors de leur déposition, elles déplorent un manque de suivi de leur dossier. Car trois mois plus tard, elles sont toujours sans aucune nouvelle, expliquent-elles. "On est trois victimes connues, et rien ne bouge! Il n’a même pas été auditionné, rien ne se fait, et on n'a aucune nouvelle. Le suivi judiciaire, c’est zéro! Ils ne sont pas là pour les victimes, on doit se soigner nous-mêmes… J'ai essayé de leur téléphoner pour savoir un peu, mais à part me dire d’aller voir un psychologue… Ils ne font rien", déplore Mélissa. 

Un suivi psychologique aux victimes, c’est gratuit, et on ne l’a pas eu

Lors de leur dépot de plainte au commissariat, un suivi psychologique leur a été proposé. Julie a voulu essayer, afin de pouvoir se livrer et tenter de se reconstruire. Mais l'expérience ne l'a pas vraiment aidée, nous raconte la jeune fille: "J’ai eu un appel mais c’est tout, et c'est pas ça qui fait que… Je pensais qu’on m’aurait donné un rendez-vous, que j’aurais été sur place, et qu’on m’aurait donné d’autres rendez-vous ensuite. Mais pas juste un appel pour me dire 'vous avez mon numéro, si ça va pas vous pouvez me téléphoner'. J'aurais aimé être encadrée". 

Du côté de Mélissa, c'est le même son de cloche: "Ils m’ont téléphoné deux fois, je leur ai dit que ça n’allait pas, qu’il n’y avait pas de suivi et que j’avais encore des idées noires malgré tout, et qu’il fallait que ça bouge sinon il y aurait un autre drame! Et mis à part me dire d'aller voir un psy ou prendre des antidépresseurs, ils ne m’ont rien dit et ce n’est pas ça qui va m’aider!", déplore-t-elle. "On aurait aimé s’y rendre, avoir des rendez-vous, pouvoir voir un psychologue là-bas, parce qu'aller voir un psy, c’est très bien, mais c’est encore à nos frais. Un suivi psychologique aux victimes, c’est gratuit, et on ne l’a pas eu!"

Le "secret de l'information" et un suivi minimal

Alors pour tenter de comprendre comment se déroule la procédure en cas de plainte pour violences sexuelles, nous avons rencontré Me Marion De Nanteuil, avocate au barreau de Bruxelles en droit pénal. Elle explique qu'une fois la plainte déposée, la police va ouvrir un dossier qu'elle transmet au parquet compétent. Ensuite, des devoirs d'enquête seront diligentés afin d'enquêter davantage sur les faits dénoncés. 

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Mais si aussi peu d'informations sont données aux victimes, c'est à cause du "secret de l'information", explique Me Marion De Nanteuil. Un suivi minimal doit quand même être assuré: "L’information est secrète, c’est-à-dire qu’on ne pourra pas informer les victimes directement des différents devoirs d’enquête qui sont ordonnés. Mais, en principe, dans les dossiers qui concernent les violences sexuelles, on va saisir le service d’aide aux victimes du Parquet (SAPV), qui va communiquer les informations à la victime quand une décision est prise sur les suites d'un dossier, donc par exemple 'classement sans suite', ou bien 'décision d’aller devant le tribunal', etc. Mais à part ça, il n’y a pas d’informations données aux personnes qui vont déposer plainte", détaille-t-elle. 

Des procédures qui peuvent donc être frustrantes pour les victimes: "Ce secret de l’information, c’est un petit peu un mur derrière lequel le parquet va avoir tendance à se réfugier quand on va à la pêche aux informations. Et si la victime n’est pas assistée d’un avocat, et qu’elle attend un peu qu’on revienne vers elle, elle aura très peu d’éléments sur les développements de la procédure... Et même lorsque la victime est assistée d’un avocat, il va souvent être confronté à un refus parce que les informations sont couvertes par le secret. Parfois, nous-mêmes en tant qu’avocats, on ne comprend pas pourquoi on refuse de nous donner toute information... On assure un suivi tout à fait minimal et ce n’est pas du tout optimal pour les personnes qui déposent plainte", estime Me De Nanteuil. 

Il y a un gros manque d’information et de suivi

Les victimes peuvent alors légitimement se sentir délaissées, et avoir le sentiment de ne pas être une priorité pour la justice, explique-t-elle. Et encore plus lorsque la plainte est déposée des années après les faits, comme dans le cas de Mélissa et Julie: "Ça complexifie encore plus la récolte de preuves. Il y a moins d’espoir d’avoir un dossier qui va permettre d’établir une responsabilité. Et donc, les victimes vont avoir le sentiment que ces dossiers ne sont pas la priorité des parquets, ce qui peut s’expliquer, mais avec cette absence de suivi des personnes qui ont porté plainte, on a l’impression d’être complètement abandonné. Ce qui est un sentiment qui est légitime, et que je peux retrouver parmi certaines de mes clientes". 

Pour Me De Nanteuil, s'il y a une nette évolution dans la prise en charge des victimes de violences sexuelles grâce aux Centres de prise en charge des violences sexuelles (CPVS) qui permettent un suivi psychosocial et médicolégal lorsque les faits se sont produits dans l'immédiat, il reste cependant du chemin à faire en matière de suivi et d'aide aux victimes de manière globale: "Il reste encore des situations dans lesquelles il y a un gros manque d’information, un gros manque de suivi, et ça, ça reste frustrant pour les personnes qui portent plainte".  

Le travail des associations de terrain et services communaux d'aide aux victimes: un travail essentiel 

Les victimes peuvent donc vite se sentir démunies face à l'opacité de l'appareil judiciaire. C'est pourquoi il existe des associations de terrain, mais aussi des services communaux qui assurent un suivi pour la victime, tant sur le plan psychologique, que social, et judiciaire. Nous avons rencontré Sophie Dantoin, psychologue et responsable du Centre d'aide aux victimes de la Ville de Charleroi

Dans ce centre, toute victime d'infractions pénales peut venir demander de l'aide: "On offre une aide sociojuridique et psychologique sur le court, moyen ou long terme, en fonction de la demande et de la situation de la victime. On s’adapte vraiment à chaque personne pour l'aider au mieux", explique la responsable.

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Et parmi les victimes qui franchissent la porte du centre, bon nombre d'entre elles déplorent un manque de suivi de la justice: "Malheureusement, c’est quelque chose que nous entendons de nos victimes. C’est vrai que la justice est assez lente, il y a le temps judicaire qui n’est pas le même que le nôtre, et les victimes ont besoin d’avoir des réponses rapidement, et d’avoir des jugements rapides. Mais malheureusement, ce n’est pas le cas. Il faut aussi prendre connaissance de toute la procédure judiciaire, et c’est vrai que le parcours de la plainte est souvent méconnu de tout un chacun, et prend du temps…", précise Sophie Dantoin. 

De manière générale, si le suivi est si mal assuré, ce serait par manque de moyens, pointe la responsable du centre: "Au niveau de l’aide aux victimes, on manque cruellement de moyens, ça c’est sûr. Les prises en charge peuvent être très longues et nécessiter un investissement très important. Il faut aussi savoir que la justice manque de moyens, tant financiers qu’au niveau du personnel, ce qui ralentit l'ensemble des procédures."

Pourtant, la proactivité des organes judiciaires vers les victimes est la clé d'un suivi réussi: "De nombreuses études l’ont démontré: la proactivité des services vers la victime est essentielle. C’est très difficile pour une victime de faire le premier pas, de prendre son téléphone et de dire 'j’ai besoin d’aide'. Il faut se montrer proactif", poursuit-elle.

Un réseau d'aide aux victimes existe 

Malgré un suivi mal assuré par la justice, il existe tout un réseau d'aide aux victimes bien ficelé dans notre pays. De nombreux services communaux, mais aussi des asbl, font un travail incroyable pour venir en aide aux victimes. "Il y a les services de première ligne pour des situations urgentes, les services de deuxième ligne qui font de la prise en charge et de l’accompagnement. Il y a également les services spécifiques d’accueil des Maisons de justice qui font le lien entre le monde judiciaire et les victimes. Il y a aussi les services de troisième ligne qui visent une justice restauratrice, donc quand il y a des conditions d’indemnisation, ou qu'une victime de violence aimerait récupérer ses affaires par exemple", précise Sophie Dantoin. 

Ces services, souvent gratuits, permettent à la victime de se remettre sur pied après un évènement traumatique: "Le suivi psychologique est vraiment adapté avec un personnel formé à la prise en charge des différents traumas. Et ça permet à la victime de se reconstruire malgré le traumatisme vécu, et d’exprimer ses émotions par rapport à ça", termine-t-elle. 

Où trouver de l'aide gratuite en tant que victime?

Si, comme Mélissa et Julie, vous avez subi des abus et souhaitez être soutenus, n'hésitez pas à prendre contact avec l'un de ces services gratuits. Le site victimes.be et celui des services d'aide aux victimes répertorient les différents centres qui existent par région. Il y a aussi un prospectus et une carte interactive

Pour des renseignements, il existe la ligne d'écoute de SOS Viol, disponible au 0800 98 100. Ou des tchats en ligne comme Maintenant j'en parle dédié aux enfants et adolescents, et celui de SOS Viol

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