Il y a 35 années, Thierry, de la région de Seraing, a vécu des choses qui ne devraient être vécues par personne. Lorsqu'il avait 15 ans, il a subi des attouchements de la part d'un de ses chefs scouts. Plus de 3 décennies plus tard, il a décidé d'en parler, bien que les faits soient prescrits. "Il faut que ça sorte", dit-il.
À 50 ans, Thierry a 5 enfants, un petit-enfant, un travail, une situation… De quoi, à première vue, être heureux et épanoui. Mais depuis de trop longues années, ce Serésien vit avec un poids sur le cœur et avec des images qu'il ne pourra jamais enlever de sa mémoire. Finalement, il a décidé d'en parler. Il témoigne sur ce qui a changé sa vie, il y a 35 ans.
"Lorsque j'étais au scout, j'ai été abusé par un des chefs de l'unité. Une dizaine d'autres personnes également, d'ailleurs. Cette personne nous invitait à sortir avec les plus grands, à boire des verres. À 15 ans, c'est valorisant, on se sent grand. Sauf qu'une fois qu'on avait un peu trop bu, il nous ramenait en voiture et il commettait ses actes sur nous", explique-t-il.
27 ans d'anti-dépresseurs
"Beaucoup de monde était au courant, même certains parents avaient des doutes. Mais personne ne disait rien, car à l'époque, on avait peut-être honte, on se sentait sale. Ça a duré deux ans, jusqu'à mes 17 ans, où je me suis rendu enfin compte de la gravité de la situation".
J'ai fait deux séjours en hôpital psychiatrique
N'ayant pas tellement de différences d'âge avec son chef scout, Thierry explique même aoir eu des conversations à ce propos avec lui. "Il a admis qu'il avait un faible pour les jeunes adolescents, qu'il avait essayé de se faire soigner, mais que rien ne marchait. Il arrivait presque à se faire passer pour une victime, alors que c'était simplement de la pédophilie, il faut le dire. C'était quelqu'un de très manipulateur, qui savait se faire aimer des autres".
Thierry n'a jamais parlé de ces faits jusqu'à aujourd'hui. Ses proches, sa famille, ne sont au courant que depuis très peu de temps, mais il l'a toujours, parfois inconsciemment, subit au fond de lui. "Je prends des médicaments depuis 27 ans, j'ai fait deux séjours en hôpital psychiatrique, mais je ressortais toujours sans vraiment savoir ce qui me rongeait. Maintenant que je le sais, j'ai fait un travail, je suis suivi par un psychiatre qui m'aide de la bonne manière".
"Le cerveau peut enfouir ce souvenir"
À l'ASBL "Brise le Silence", on est justement présent pour accompagner les victimes de violences sexuelles. À l'intérieur du centre, l'écoute, la croyance et l'entraide sont les valeurs principales prônées. "Il est assez fréquent que cela mette autant de temps à sortir, même si plus récemment, avec les tendances #MeToo ou #BalanceTonPorc, les mots sortent parfois plus rapidement", explique Céline Campanella, psychologue au centre.
"Il n'est jamais évident d'en parler, plusieurs choses peuvent interférer, comme la peur des représailles, la peur du jugement, de l'image, mais aussi la honte et la culpabilité", note-t-elle. "On peut avoir peur également de faire souffrir les proches, l'entourage, car on peut estimer être coupable d'avoir fait quelque chose de mal".

La libération de la parole se fait au rythme de chacun et de la manière dont chacun veut l'organiser. Chez "Brise le Silence", on est là pour accompagner les personnes qui le désirent. "Certaines personnes ne vont jamais en parler, parce qu'ils n'en ont pas le besoin, ou parce que le cerveau enfouit les souvenirs. D'autres voudront parler, et c'est important : nous sommes là pour recevoir, entendre ce qu'elles ont à dire. La libération de la parole, c'est important. À partir de ça, nous travaillerons sur ce qu'elles ressentent".
On peut estimer avoir fait quelque chose de mal
Au sein de "Brise le Silence", il existe aussi ce qu'on appelle des "Pair-aidantes". Ces personnes sont là pour accompagner les victimes dans les moments où la déontologie de la psychologue limite le champ d'action. Ce sont bien souvent aussi des personnes qui ont vécu, elles aussi, des traumatismes.
"J'ai aussi mis une vingtaine d'année à parler de ma situation", explique Ingrid, pair-aidante. "On se sent différent, on peut avoir des troubles à l'école, dans la vie sociale, dans la vie active. L'agresseur a souvent de l'emprise sur la personne, donc elle se tait. Mais il est important de ne pas rester seul, que la victime soit homme ou femme".
Un combat, mais pas de vengeance
Thierry, en témoignant, ne cherche pas à se faire justice. Les faits s'étant passés il y a 35 ans, il est au courant qu'ils sont dorénavant prescrits. Effectivement, pour les faits ayant eu lieu avant le 30 décembre 2019, le délai de prescription pour les dispositions relatives au viol ou à l'attentat à la pudeur est de 15 ans après la majorité de la victime. Depuis 2019 et donc pour les faits ayant lieu APRÈS cette date, ces faits ont été requalifiés en imprescriptibles.
Il ne faut pas rester dans le silence
Pour Thierry, l'objectif est tout autre. "Ce témoignage, c'est pour toutes les autres victimes. Si mon récit peut aider quelqu'un à en parler, à ce que sa parole se libère, j'aurai gagné, car c'est difficile à vivre. Si ça peut aider des parents, également, qui auraient des doutes sur leurs enfants, ce serait une victoire".

Enfin, malgré l'épreuve qu'il a traversée et ces années de silence, Thierry veut donner un conseil aux personnes qui se retrouveraient dans la même situation que lui. "Il ne faut pas rester seul, ni dans le silence. Il ne faut également pas rester dans la terreur : ce genre de personnes existe, mais la plupart des personnes sur cette terre sont de bonnes personnes".

il n'est pas nécessairement question de "terreur" Appelons un chat un chat : lors de ce genre de relation , même forcée, un gamin jouit souvent , et c'est pour cela qu'il se sent coupable et ne dit rien, surtout si l'acte n'est pas violent (au sens "douloureux " du terme) et est répété. C'est difficile à admettre pour les gens qui n'ont pas connu ça, mais c'est pourtant ainsi.