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Cinéma: Teddy Lussi-Modeste, un "voyageur" dans la République

"Je me sens comme un passeur entre deux mondes": enfant, Teddy Lussi-Modeste s'est éloigné des siens pour se consacrer aux études. A 31 ans, ce cinéaste grenoblois témoigne de sa quête identitaire entre le monde des gens du voyage, dont il est issu, et la société française.

"Il me semble qu'il n'y a pas hiatus entre le fait d'être voyageur", le nom que se donnent les gens du voyage en France, "et le fait de se sentir français", observe le réalisateur, qui tourne cet été à Grenoble son premier long-métrage.

"C'est d'autant plus difficile de supporter le rejet dont peut être victime" cette communauté "car on se sent français", souligne-t-il.

Son film "Jimmy Rivière", dans lequel jouent Béatrice Dalle et Hafsia Herzi ("la Graine et le Mulet"), raconte l'histoire d'un jeune nomade (Guillaume Gouix), qui abandonne la boxe et sa petite amie pour se convertir à l'évangélisme.

Depuis des années, ce mouvement religieux rencontre en effet un grand succès chez les gens du voyage, évalués à 450.000 en France, dont plus de la moitié s'est convertie.

"Il y a une part de moi dans ce personnage, qui est dans une recherche spirituelle", explique le cinéaste à l'AFP.

Issu d'une famille de "voyageurs" grenoblois, Lussi-Modeste a passé son enfance ballotté entre caravane, mobile-home ou maison, aux côtés de ses parents, qui migraient au gré des travaux saisonniers.

Son grand-père paternel et un prêtre l'encouragent à faire des études et Teddy Lussi-Modeste devient féru de littérature: "c'était comme une sorte d'interdit. J'allais vers les livres qui étaient la représentation très concrète de la culture française gadjé", écrite, par opposition à celle des gens du voyage.

Le cinéaste est marqué par les romans de Jean Genet, dans lesquels l'écrivain explore le thème de la trahison.

"Je me sentais un peu traître par rapport à ma communauté car j'étais dans un désir qui n'était pas celui de mes parents. Mon père aurait sans doute préféré que je sois boxeur comme lui et que je fasse les marchés", dit-il.

Pour ses études, le jeune homme intègre la Fémis, la célèbre école de cinéma parisienne, et devient professeur de lettres en lycées et collèges, avant de se consacrer entièrement au cinéma.

Il se conçoit comme un "passeur" d'histoires transmettant "des informations d'un camp à un autre" et situe sa place "à l'intérieur des deux communautés", se sentant "culturellement traversé par un métissage".

Pour son film, Teddy Lussi-Modeste a fait appel à des comédiens non-professionnels, des gens du voyage dont il a eu "envie de filmer les corps, les visages, leur manière de se mouvoir".

Il a accordé un soin particulier au scénario pour reproduire l'accent, la tendre moquerie ou les pudeurs de langage des gens du voyage, comme le recours fréquent à l'antiphrase "le vilain garçon" pour dire qu'il est beau.

Teddy Lussi-Modeste espère que "Jimmy Rivière", qui sortira en 2010, transmette un message de tolérance, la différence de culture étant selon lui à la fois "une damnation et une chance morale".

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