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Trois ans après son Nobel, Modiano revient en rêveur éveillé

Trois ans après son Nobel de littérature, Patrick Modiano est de retour avec la publication simultanée jeudi d'un roman et d'une pièce de théâtre, "Souvenirs dormants" et "Nos débuts dans la vie", deux livres hantés par les souvenirs enfouis du passé.

Écrit à la première personne, "Souvenirs dormants" (Gallimard) évoque la figure de six femmes rencontrées puis perdues de vue à Paris au début des années 1960. On retrouve le même narrateur, Jean, âgé d'une vingtaine d'années, dans "Nos débuts dans la vie" (également publié chez Gallimard), une pièce autour de "La mouette" de Tchekhov, qui peut se lire comme le prolongement du roman.

Salué par le Nobel pour son "art de la mémoire", Patrick Modiano excelle à brouiller les repères. "Souvenirs dormants" est-il une autobiographie (comme l'était "Un pedigree"), un roman de pure fiction? A la fin du roman, le narrateur devenu vieux (nous sommes alors en mars 2017) retrouve un feuillet jauni de la brigade mondaine datant de juillet 1965. La fiche de police parle d'un certain "Jean D., né le 25 juillet 1945 à Boulogne-Billancourt". A cinq jours près (le 30 juillet), la même année et au même endroit, naissait Patrick Modiano.

Le roman peut se lire comme un condensé de nombreux livres précédents. Ainsi, trois des femmes croisées dans "Souvenirs dormants" apparaissaient séparément dans d'autres romans. C'est le cas de Geneviève Delame ("Accident nocturne"), Mireille Ourousov ("Un pedigree") et Madeleine Perreau (avec un autre prénom dans "Des inconnues").

- Complice d'un meurtre -

Le roman fourmille également de thèmes chers à Modiano. Comme dans "L'horizon", il est question d'ésotérisme, de sciences occultes, d'un mystérieux gourou.

Dans les livres de Modiano chaque souvenir en appelle un autre. Jean fait le guet devant un immeuble de la rue Spontini dans l'espoir d'y voir sortir "la fille de Stioppa", un ami de son père. Stioppa faisait-il partie des amis russes de son père, se demande plus loin le narrateur qui du coup se souvient avoir rencontré une femme portant un nom russe quand il avait 17 ans... On avance dans cette histoire comme on chemine dans un rêve.

Jean va se rendre complice d'un meurtre en aidant une femme à se débarrasser de l'arme avec laquelle elle a tué un homme.

Jean retrouvera cette femme, vingt ans après le meurtre. "Un après-midi de cette fin du mois d'août, j'ai reconnu sa silhouette de loin, tout en haut du boulevard Sérurier. Cela ne m'a pas surpris. Il suffit d'un peu de patience", fait dire Modiano à son narrateur. Pourquoi errer inlassablement dans les rues de Paris, attendre une femme qui peut-être n'arrivera jamais? "Pour tenter de résoudre les mystères de Paris", répond Jean.

"Nos débuts dans la vie", qui aurait pu être le dernier chapitre du roman, raconte les premiers pas au théâtre d'une jeune femme prénommée Dominique (le prénom de la femme de Patrick Modiano dans le monde réel). Elle joue le rôle de Nina dans "La mouette". Son ami s'appelle Jean et comme elle, il a 20 ans.

La pièce, souvent drôle, est construite en flash-back. Un Jean vieilli (comme dans le roman) se souvient de cette époque où Dominique répétait le rôle de Nina. Qu'est devenue Dominique? Sommes-nous dans un songe de Jean?

Dans son rêve éveillé Jean explique: "J'avais remonté le cours du temps... C'était comme si je me plongeais brusquement dans le passé alors que je connaissais déjà tout l'avenir."

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