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Les cheffes d'orchestre veulent jouer fortissimo

"Trop émotionnelle", "fragile", "ne peut pas gérer un ensemble": pour les rares "cheffes" d'orchestre, il est souvent difficile d'aller contre l'image de chef autoritaire et tout-puissant que se fait le public mais aussi certains musiciens.

Dans le monde, seulement 4% environ des chefs d'orchestre seraient des "cheffes". Mais les choses évoluent, à l'image du premier "tremplin" organisé vendredi par la Philharmonie de Paris pour donner plus de visibilité à de jeunes femmes plongées dans un métier encore largement masculin.

En 2017, le célèbre chef letton Mariss Jansons s'est rapidement excusé après avoir affirmé que ses consœurs n'étaient "pas sa tasse de thé". En 2013, le Russe Vasily Petrenko avait aussi créé une polémique en disant qu'un orchestre "réagissait mieux quand il avait un homme en face de lui". Des propos déformés, selon lui.

Des cheffes superstars sont montées en puissance ces deux dernières décennies: la Canadienne Barbara Hannigan, la Lituanienne Mirga Gražinyte-Tyla, la Finlandaise Susanna Mälkki, et avant elles l'Américaine Marin Alsop ou encore l'Australienne Simone Young.

- "Dans 10 ans, on n'en parlera plus" -

En France, les baguettes les plus connues sont celles d'Emmanuelle Haïm, Nathalie Stutzmann ou de Laurence Equilbey mais le pays reste en retard en comparaison avec les Etats-Unis ou la Finlande.

"On peut entendre des remarques du genre +tu diriges de manière agressive comme toutes les cheffes d'orchestre+", affirme à l'AFP la Française Chloé Dufresne, 27 ans.

Elle fait partie des six cheffes qui vendredi ont dirigé l'orchestre de Picardie devant un parterre de représentants d'orchestres français et de mélomanes.

"C'est dans l'imaginaire des gens car on n'a pas l'habitude de voir des femmes au pupitre", explique la cheffe d'orchestre originaire de Montpellier, diplômée en direction d'orchestre de Paris et de la prestigieuse académie Sibelius à Helsinki.

"Dans dix ans, on n'en parlera même plus", estime la jeune femme, inspirée enfant par sa cheffe de choeur.

Même quand les études sont brillantes, c'est au niveau du marché de travail que le problème se pose.

"La question centrale est que les femmes diplômées ont du mal à être confrontées au milieu professionnel", explique à l'AFP Laurent Bayle, directeur de la Philharmonie de Paris.

On favorise encore l'immersion des garçons "qui peuvent tâtonner, se faire la main tandis que pour elles, c'est plus difficile".

"C'est la poule et l’œuf: puisqu'elles ne peuvent pas diriger, le geste est moins bon", explique-t-il.

Pour lui, le chiffre généralement avancé de 4% de femmes "cheffes" est un rien trompeur car lorsqu'on parle de grands orchestres et de grandes œuvres, le pourcentage est inférieur, alors qu'il est plus élevé au niveau des petits ensembles.

La Philharmonie a obtenu il y a quelques mois le label égalité/diversité. "On commence à balayer devant notre porte", précise M. Bayle.

Encore faudra-t-il pour certaines dépasser l'effet de surprise qu'elles peuvent susciter: "On me dit que c'est un métier dangereux pour les femmes", sourit l'Américano-coréenne Holly Choe, 27 ans, pour qui "c'est une question de générations".

- "Le style n'a pas de genre" -

Nil Venditti, une Italienne de 23 ans qui fait son master de chef d'orchestre à Zurich, n'aime pas trop insister sur le genre.

"Quand je suis sur le podium, je suis une personne, une musicienne", dit la cheffe. A 23 ans, elle se retrouve souvent dans une situation "difficile": non seulement femme mais également la benjamine de l'orchestre.

"Si je fais trop sentir à l'orchestre que +me voilà, une femme, devant vous+ et que je suis trop autoritaire, on va me qualifier de +chiante+", assure la jeune femme.

Pour Benoît Mathy, trompette solo dans l'orchestre de Picardie, avoir en face une cheffe d'orchestre, "c'est une bonne chose, car c'est différent".

"C'est en train de se féminiser, ça rejoint tout le débat de société qui évolue", ajoute le musicien de 35 ans.

Mais pour lui, la manière de diriger ne dépend pas du sexe du chef d'orchestre: "le style n'a pas de genre"

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