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Canada: un conflit illustre le besoin de concilier loi et droit autochtone

Les manifestations et barrages des dernières semaines au Canada, en soutien à des chefs amérindiens hostiles à la construction d'un gazoduc, illustrent selon les experts la nécessité de conjuguer la loi au droit coutumier autochtone.

A l'origine du conflit: la décision des chefs héréditaires de la nation wet'suwet'en de Colombie-Britannique de bloquer le chantier de gazoduc Coastal GasLink vers la côte du Pacifique.

Les manifestations ont rapidement fait tache d'huile dans tout le pays, des sympathisants bloquant voies ferrées, routes et ports, provoquant pénuries et pertes d'emplois.

La crise a surpris le gouvernement de Justin Trudeau, qui a fait de la réconciliation avec les descendants des premiers habitants du Canada sa priorité depuis son arrivée au pouvoir en 2015.

Les chefs héréditaires s'opposent au projet de gazoduc, long de 670 kilomètres et estimé à 6,6 milliards de dollars canadiens (4,5 milliards d'euros), au motif qu'il traverse leurs terres ancestrales.

Le soutien qu'ils ont récolté dans une partie de l'opinion publique a étonné les observateurs, d'autant que les instances élues des wet'suwet'ens militent de leur côté pour la construction du gazoduc.

- "Eruption de protestations" -

La mobilisation en faveur des chefs héréditaires fait écho à toutes les revendications territoriales des autochtones qui n'ont jamais été réglées au Canada, particulièrement à l'ouest des Rocheuses, explique à l'AFP Kim Stanton, avocate en droit constitutionnel. C'est le cas notamment pour les Wet'suwet'ens, qui n'ont jamais signé de traité ou cédé leurs terres ancestrales.

Les relations entre Ottawa et les "Premières nations" sont définies par la "loi sur les Indiens", un texte de 1876 qui a créé des centaines de réserves dans le pays en remplaçant les structures traditionnelles de gouvernance autochtone par des "conseils de bande" élus, mais ne disposant que de pouvoirs limités sur une assise territoriale restreinte.

A l'inverse, les chefs héréditaires tirent leur autorité d'un droit coutumier datant d'avant la colonisation et persistent à vouloir l'appliquer sur l'ensemble de leur territoire ancestral.

La Cour suprême du Canada leur a en partie donné raison en 1997 "mais n'a jamais défini exactement la nature de (leurs) droits" sur ce territoire, note Martin Papillon, spécialiste des questions autochtones à l'université de Montréal.

"Les chefs héréditaires tentent de faire reconnaître leur droit coutumier dans le droit canadien, alors que l'Etat canadien insiste sur l'application de +la règle de droit+ en ignorant le droit autochtone", explique Mme Stanton.

"Et c'est pourquoi on assiste à cette éruption de protestations."

Celles-ci ravivent, selon ces experts, le spectre de la crise d'Oka au Québec en 1990, alors qu'un projet d'agrandissement d'un terrain de golf sur des terres revendiquées par les Mohawks avait mené à un affrontement armé, entraînant un mort du côté des forces de l'ordre.

- "Génocide culturel" -

En 2015, Justin Trudeau a promis de "reconstruire les ponts" avec les peuples autochtones, dit M. Papillon, afin de rompre avec "un historique de politiques coloniales qui visaient à assimiler les individus, les nations autochtones, à les faire disparaître finalement".

La même année, une commission d'enquête avait conclu que d'anciens élèves autochtones de pensionnats, créés expressément pour les assimiler, avaient été victimes d'un "génocide culturel".

"Plusieurs personnes non-autochtones ont beaucoup de mal à accepter que nous sommes un pays qui a commis ces actes terribles", souligne Mme Stanton.

"Justin Trudeau a mis la barre très haut en matière de réconciliation", note M. Papillon. Il a nommé deux ministres pour mener à bien cette mission et s'est engagé à intégrer la déclaration de l'ONU sur les peuples autochtones dans le droit canadien d'ici la fin de l'année.

L'opposition conservatrice à Ottawa craint que cette décision ne vienne conférer un droit de veto aux autochtones sur le développement des ressources naturelles.

Pour l'instant, il y a pourtant "une zone grise, qui n'est à l'avantage de personne", déplore M. Papillon.

Il faut au contraire, selon lui, "intégrer les autochtones dans le processus décisionnel" de ces projets. "Si on veut que ce développement se poursuive et se fasse bien et de façon durable, il faut développer ces partenariats. On n'a pas le choix".

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