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Le règne de Viktor Orban fait -aussi- rire les Hongrois

"Hongrois, le monde est un endroit très dangereux, une no-go zone!": le message lancé au mégaphone résonne dans les rues de Budapest, la voix est alarmiste et suscite la perplexité des passants qui se demandent s'il faut s'en amuser ou s'inquiéter.

Devant les regards incrédules, le comédien Tibor Bodocs, vêtu d'une tenue folklorique nationale, garde son sérieux et continue de vitupérer dans le mégaphone fixé sur le toit de sa voiture.

La séquence de quelques minutes a été vue des centaines de milliers de fois sur internet, comme la plupart des vidéos du chef de file de la nouvelle vague d'humoristes hongrois qui brocardent la vie politique incarnée par le monolithique Viktor Orban, Premier ministre depuis 2010.

Après huit ans au pouvoir de l'ultraconservateur parti Fidesz, deux mandats d'affilée pour Viktor Orban et une réélection quasi assurée à l'issue des législatives du 8 avril, la Hongrie est "mûre pour la parodie", sourit Bodocs, longiligne jeune homme de 35 ans.

Son sketch du mégaphone est une allusion transparente à l'une des nombreuses initiatives de Budapest contre l'immigration: en 2016, le gouvernement avait diffusé des brochures alarmistes sur les terroristes "déguisés" en migrants et plus de 900 prétendues "zones de non droit" à population étrangère à travers l'Europe.

- Poème à Viktor -

Outre sa politique anti-immigration, symbolisée par la construction de clôtures barbelées le long des frontières, le Premier ministre de 54 ans pourfend régulièrement les politiques de l'Union européenne et a lancé une offensive contre le milliardaire américain George Soros et les ONG qu'il finance.

L'opposition accuse le gouvernement d'entretenir un climat de peur. La nouvelle école des humoristes hongrois préfère creuser la veine de l'absurde.

"Je rends tout ça ridicule et j'essaye de faire réfléchir deux fois ceux qui croient à la propagande", explique Bodocs à l'AFP après une représentation à Dunakeszi, près de Budapest, étape de sa récente tournée nationale à guichets fermés.

Pendant une heure, la salle résonne des rires de quelque 500 spectateurs hilares devant ses imitations et parodies cinglantes de Viktor Orban et son entourage. Les vidéos sur internet lui permettent de toucher un public encore plus large.

Dans l'une d'elles, il incarne Lorinc Meszaros, technicien chauffagiste de métier devenu en quelques années l'un des hommes les plus riches de Hongrie. Il le singe en train de réciter un poème d'amour à Viktor, un ami de longue date.

"Les thèmes chers à Orban, comme les menaces supposées venant de l'étranger et les prétendues invasions musulmanes, sont grossiers mais efficaces, les politiciens de l'opposition ne peuvent tout simplement pas rivaliser", avoue le comédien.

- L'humour plutôt que la haine -

Et comme tous ses confrères, il reconnaît que Viktor Orban, indéboulonnable, fournit un matériau idéal aux humoristes.

"C'est amusant de jouer ce type, c'est un dieu dans le registre comique", assure Andras Peter Kovacs, 39 ans, qui l'imite dans une vidéo devenue virale.

A Budapest, le cabaret Dumaszinhaz accueille de nombreux spectacles inspirés de l'actualité. On a pu y voir récemment des sketches sur les dix meilleurs moyens de gaspiller les fonds européens, les barbelés anti-migrants ou la proximité du pouvoir hongrois avec le président russe Vladimir Poutine.

"Actuellement, vous entendez plus de vérité de la part des comédiens que des politiciens", constate Zsigmond, un ingénieur de 32 ans venu assister à une représentation.

Gergely Litkai, 41 ans, qui dirige le club, explique que pendant la crise migratoire, les comédiens se moquaient du gouvernement qui cherchait à instiller une peur panique des migrants.

"Nous avons essayé de convaincre les gens de réfléchir davantage", dit-il.

Le chemin est encore long comme en témoigne deux incidents médiatisés ces derniers mois. Des policiers hongrois appelés par des particuliers avaient pris pour des migrants des étudiants sri-lankais venus faire du volontariat et un hôtelier a été harcelé par les habitants de son village pour avoir proposé d'héberger des réfugiés pendant quelques jours.

"L'atmosphère politique est tellement saturée de haine qu'il faut de l'humour pour garder l'esprit sain", observe Gergely Kovacs, 38 ans, leader du parti parodique du "Chien à deux queues" (MKKP).

A la différence des autres satiristes hongrois, le MKKP ne se contente plus de rigoler et prévoit d'aligner 60 candidats aux législatives d'avril.

"Un supporteur nous a dit que nous étions la raison pour laquelle il n'avait pas quitté la Hongrie", assure Kovacs.

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