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A Veigy-Foncenex, la face cachée du tennis pro

Devant un parterre de chaises vides, quatre joueurs pros bataillent dans l'indifférence quasi-générale. L'un des perdants va repartir avec ses gains, "un billet de 20 euros". En Haute-Savoie, dans un tournoi "Futures", les forçats du tennis d'en bas luttent pour boucler leurs fins de mois.

C'est une réalité que le grand public ne connaît pas. Une face moins glamour que celle des tournois du Grand Chelem, où les stars du tennis brassent beaucoup d'argent, où les dotations dépassent parfois le million d'euros.

Le décor du tennis pro change radicalement en bas de l'échelle mondiale, dans ces tournois récemment mis en lumière avec les interpellations de joueurs français soupçonnés d'avoir truqué des matches contre de l'argent. Un décor où l'argent, justement, est loin de couler à flots.

Pour ces joueurs classés au-delà de la 250e place mondiale, leur métier ne leur permet pas de vivre.

- "On sait qu'on va perdre de l'argent" -

"On sait que l'on va perdre de l'argent. On a très peu de chances de rentrer dans nos frais sur des tournois comme ça", philosophe David Fox, un Anglais de 25 ans, tombé dans les limbes du classement mondial et qui tente de se relancer après une blessure de plusieurs mois. Lui va perdre "700 euros" cette semaine, son partenaire de double l'ayant "planté" à la dernière minute.

A Veigy-Foncenex, pour ce tournoi "Futures", la toute dernière division mondiale du tennis pro, le vainqueur empochera 1.700 euros. La semaine précédente, à Bressuire (Deux-Sèvres), il y avait 1.300 euros à prendre.

"Mais bon, il faut le gagner. Et pendant la semaine il faut se loger, manger, et payer les billets d'avion pour venir", explique David Fox. "En gros, si on ne va pas au moins en demi-finale, on perd de l'argent", abonde Mark Whitehouse, un autre joueur de Londres, qui a donné des cours de maths et de tennis l'année dernière pour financer sa saison de compétition.

Les joueurs le savent dès le départ; il n'y a pas d'argent à se faire sur ce circuit: "C'est comme ça, on le sait depuis toujours", résume un joueur français croisé dans le club-house à Veigy-Foncenex.

La Fédération internationale de tennis (ITF), qui a instauré en 2019 un nouveau système de classement pour tenter de limiter cette masse de joueurs classés au-delà de la 500e place mondiale, a estimé le coût d'une saison: près de 40.000 euros.

- "On kiffe aussi" -

"C'est à peu près ça. Je dirais plutôt 30.000", rectifie Mark Whitehouse. "En gains, ça dépend évidemment de nos résultats mais on peut gagner entre 10 et 20.000 euros", estime-t-il. Résultat net: au moins 10.000 euros de perte en moyenne pour une saison.

Alors quand parfois certains joueurs sont approchés par des truqueurs leur proposant plusieurs milliers d'euros pour perdre un match, un set ou même un jeu... "Ca finance parfois une saison. Ca peut être dur de refuser, encore plus quand on menace de tuer ta famille", lâche David Fox.

Ici, pas de public, comme très souvent. Très peu d'entraîneurs, "trop chers", expliquent les joueurs. Sur le parking, deux camping cars qui accueilleront quelques joueurs pendant quelques nuits. Que viennent alors chercher ces joueurs dans cette vie de forçat, sans argent à la clé?

"C'est dur, mais on kiffe aussi, on fait du tennis tous les jours, on voyage", nuance Hugo Grenier, 22 ans, 376e joueur ATP et favori ici en Haute-Savoie. "Les mecs qui n'arrêtent pas de pleurer parce que c'est dur, ils n'ont qu'à arrêter, trouver un autre job", poursuit-il.

Ce genre de tournoi, c'est aussi "un passage obligé dans une carrière. Regardez Stefanos Tsitsipas (le Grec de 20 ans demi-finaliste à l'Open d'Australie), il jouait des Futures à 15.000 euros il y a deux ans", rappelle David Fox. Un circuit qu'il faut quand même réussir à quitter pour les divisions supérieures. "Les mecs encore là à 29 ans, j'ai du mal à comprendre", lance Mark.

Juste au-dessus de lui, la télévision retransmet les images des matches de Melbourne. "Pour moi, le tennis professionnel c'est ça", lâche David en désignant les terrains du club, "pas ça", en pointant du doigt l'écran, "ça, c'est 5% du monde pro dans le tennis". Une autre réalité...

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