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Coronavirus: pourquoi l'Afrique est peu touchée et pourquoi ce serait une catastrophe si elle l'était?

Si pour l'instant, les chiffres de l'épidémie de coronavirus sont très rassurants sur le continent africain, les craintes sont immenses quant à l'avenir. Pour les 1,2 milliard d'habitants, et pour l'Europe. Explications.

Partie de Chine, l'épidémie de coronavirus a atteint l'autre bout de la planète, les Etats-Unis, et continue de faire des victimes sur tout son chemin, surtout dans notre Europe riche et densément peuplée.

La carte de l'évolution de la maladie covid-19 dans le monde est claire: aucune région n'est épargnée. Mais il y a encore des zones qui, pour le moment, semblent moins touchées. On a parlé de la Russie la semaine dernière, qui a ses particularités.

Une autre région du monde soulève quelques interrogations de la part de Jef, qui a contacté la rédaction de RTL info via le bouton orange Alertez-nous. "On ne parle pas beaucoup de la situation en Afrique. Qu'en est-il au juste? Sont-ils armés pour faire face à la pandémie? La seconde vague crainte en Europe ne pourrait-elle pas venir d'Afrique? Sans parler de la précarité, de la pauvreté: les chiffres sont plutôt étonnant en considérant tout cela!", nous a-t-il écrit via le bouton orange Alertez-nous.

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Quelle est la situation en Afrique ?

Le cas africain est très compliqué à résumer, car c'est un continent hétérogène, avec des pays aux situations géopolitique, économique et sociale très différentes.

Les chiffres de l'AFP (Agence France Presse) du 7 avril font état de 522 décès sur un continent de 1,2 milliard d'habitants (il y a 10.247 cas officiellement détectés). En Belgique, pays de 11 millions d'habitant, il y a déjà plus de 2.000 morts.

Des chiffres difficile à comparer, cependant, tant les différences sont énormes au niveau de:

- la pyramide des âges (les Européens sont plus vieux que les Africains),

- l'isolement de certaines régions d'Afrique,

- leur manque d'infrastructures de dépistage,

- leur gestion des soins de santé ou encore leurs habitudes sanitaires.

Certains freins à la propagation rapide du virus

Mais comme en Russie, cependant, la moindre circulation des personnes (moins de tourisme, frontières qu'on ne franchit pas aussi facilement qu'en Europe), la météo et la faible densité de population de certaines régions sont autant de freins à la propagation du virus, s'accordent à dire les experts.

Si on s'en tient aux chiffres officiels (en provenance de cette carte), les pays les plus touchés sont l'Afrique du Sud (1.749 cas, 13 morts), devant l'Algérie (1.468 cas, 193 morts), l'Egypte (1.450 cas, 94 morts), le Maroc (1.242 cas, 13 91 morts) et le Cameroun (685 cas, 9 morts). Dans beaucoup de pays, à la date du 8 avril, il n'y a pas le moindre mort et quelques dizaines de cas recensés.

Au niveau des mesures imposées, c'est également très hétéroclite. Une tendance: les pays où les chiffres sont les plus élevés imposent un confinement dans les villes. En Afrique du Sud, c'est le cas depuis longtemps. Les autres gouvernements se réveillent petit à petit et la situation change tous les jours. Certains se contentent de fermer les frontières ou d'interdire les rassemblements.

D'immenses craintes

Même si le continent africain n'a rien à voir avec les Etats-Unis, certains craignent que la pandémie y fasse des dégâts considérables, au niveau humain mais surtout au niveau économique (avec des répercussions humanitaires, donc).

Première raison: la prise de conscience. Selon l'AFP, d'innombrables publications trompeuses circulent dans des groupes de discussion privés WhatsApp, la messagerie la plus répandue sur le continent. Des messages affirment par exemple que des bains de bouche au vinaigre tuent le Covid-19 ou encore que les personnes noires sont résistantes grâce à la couleur de leur peau. La crise sanitaire pourrait ne pas être prise au sérieux.

Deuxième raison: le respect du confinement. Dans les quartiers les plus pauvres et surpeuplés de la planète (pas uniquement en Afrique, donc), les restrictions aux déplacements, quand elles sont suffisamment et correctement communiquées, s'avèrent extrêmement difficiles à appliquer. Certaines forces de sécurité en Afrique vont jusqu'aux coups de fouet ou de feu pour disperser les attroupements, d'après l'AFP, mais ça ne suffira jamais à maintenir les habitants chez eux.

Troisième raison: l'appareil sanitaire, contrôlé minutieusement dans des pays comme la Belgique, n'est pas aussi performant dans la plupart des pays africains, surtout les plus pauvres. D'après des chiffres de la Commission européenne, pour 10.000 habitants, l’Europe compte en moyenne 36 médecins et 51 lits d’hôpital. En Afrique, il n’y a qu’un médecin et 10 lits. Beaucoup de systèmes de soins "risquent donc de se trouver dépassés très rapidement", estime d'ailleurs le Ministre des Affaires étrangères français, Jean-Yves Le Drian. Cela signifie une mort assurée pour ceux qui développent des complications.

Quatrième raison: retour en arrière au niveau de la pauvreté. Un demi-milliard de personnes supplémentaires dans le monde pourraient basculer dans la pauvreté en l'absence de rapides plans de soutien pour les pays les plus démunis face à la pandémie du coronavirus, affirme l'ONG Oxfam. Dans un rapport intitulé "le prix de la dignité", Oxfam indique qu’entre 6% et 8% de la population mondiale pourrait basculer dans la pauvreté alors que les gouvernements mettent à l'arrêt des économies entières et des plans de relance afin de maîtriser la propagation du virus. "Cela pourrait constituer à l’échelle mondiale un recul de dix ans dans la lutte contre la pauvreté, et un recul de 30 ans dans certaines régions comme en Afrique sub-saharienne, au Moyen-Orient ou en Afrique du nord", plus de la moitié de la population mondiale étant menacée de tomber sous le seuil de pauvreté à la suite de la pandémie, ajoute l'organisation.

Cinquième raison: les économies des pays d'Afrique qui reposent sur le tourisme (les avions ne volent plus) et le pétrole (les cours ne cessent de baisser) vont s'effondrer. Les pertes se comptent en milliards et  "près de 20 millions d'emplois, à la fois dans les secteurs formel et informel, sont menacés de destruction sur le continent si la situation persiste", prévient une étude relayée par l'AFP.

Sixième raison: d'autres guerres sont en cours dans plusieurs régions de l'Afrique. Dans la zone sahélienne, plusieurs pays, notamment le Niger, le Burkina Faso et le Mali, luttent déjà contre de nombreux groupes jihadistes qui sèment la violence, entraînant l'exode de centaines de milliers de réfugiés et déplacés, créant une situation humanitaire dramatique. La lutte contre la pandémie de covid-19 est donc "une mission extrêmement difficile: la crise sanitaire vient s'ajouter à la crise sécuritaire que nous connaissons déjà, qui consomme 17% de nos ressources budgétaires", a souligné le président Mahamadou Issoufou, président du Niger.

Septième raison: l'insécurité alimentaire. Le Programme alimentaire mondial (PAM) estime que la crise humanitaire dans la région du Sahel central risquait de devenir "ingérable" avec plus de cinq millions de personnes confrontées à une grave insécurité alimentaire, tandis que le coronavirus se propage. L'Afrique, et en particulier l'Afrique sub-saharienne qui a importé plus de 40 millions de tonnes de céréales en 2018, est le continent le plus menacé par le risque de pénurie alimentaire en raison de la pandémie de covid-19, a par ailleurs averti le PAM.

La pandémie ne pourra pas être vaincue si elle ne l'est pas partout


 Un "Lycée français" fermé à Yaoundé (Cameroun) depuis le 17 mars 2020 (©AFP)

Une "deuxième vague" en provenance d'Afrique ?

Pour résumer: si le coronavirus trouve son chemin jusqu'au cœur du continent africain, les dégâts humains seront colossaux. Si l'épidémie reste contenue, les dégâts seront surtout économiques, mais pour de nombreux pays fragiles, cela ne fera que compliquer une situation déjà très tendue, et il y aura des répercussions sur le plan humanitaire.

D'autres questions se posent par rapport ce grand continent. Vous étiez quelques-uns à évoquer la crainte d'une "deuxième vague" d'épidémie, qui serait liée à l'Afrique. Crainte justifiée, et c'est même l'une des raisons pour lesquelles l'Europe a débloqué 15 milliards d'euros pour aider ce continent situé de l'autre côté de la Méditerranée.

Car quand l'Europe pourra à nouveau sortir de chez elle et ouvrir ses frontières, donc dans quelques semaines, il ne faut pas que toute l'Afrique soit au cœur de la lutte, avec des millions de cas potentiels. Sinon, ce sera l'effet boomerang, la "deuxième vague" que certains craignent, et il faudra tout recommencer (à moins qu'un vaccin ne soit trouvé d'ici là). Le chef de la diplomatie européenne Josep Borrell parle donc d'un "paquet d'aides financières" pour l'Afrique en confirmant que "la pandémie ne pourra pas être vaincue si elle ne l'est pas partout".

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