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Dans des quartiers de Beyrouth, flotte un parfum... d'ordures

Assise à une table en plastique devant sa sandwicherie traditionnelle à Beyrouth, Nadimé Yazbeck n'en peut plus des effluves nauséabondes envahissant l'atmosphère depuis une gigantesque décharge des environs.

Les dirigeants "doivent vraiment trouver une solution à ces odeurs", tempête cette sexagénaire en tee-shirt blanc immaculé, les cheveux soigneusement retenus dans une charlotte de cuisine.

Au Liban, la grande majorité des déchets --environ 85%-- finissent dans des décharges ou des dépotoirs sauvages. Seulement 8% sont recyclés, loin des 37,8% dans l'Union européenne.

En 2015, des montagnes d'ordures avaient envahi Beyrouth et ses environs après la fermeture de la principale décharge du pays. Sous le slogan "Vous puez", des milliers de personnes étaient descendues dans les rues pour dénoncer l'incurie des hommes politiques.

Mais quatre ans plus tard, l'odeur des ordures revient à intervalles réguliers empoisonner plusieurs zones de la capitale libanaise.

Dans le quartier de Bourj Hammoud, où habite Nadimé, une immense décharge en bord de mer -rouverte dans le sillage de la crise de 2015-, devrait arriver à saturation d'ici la fin de l'été, selon les autorités.

L'odeur des déchets en décomposition qui s'accumulent peut être respirée parfois jusque dans d'autres quartiers.

Dans le sud de la capitale, les touristes débarquant à l'aéroport international sont eux aussi accueillis par le fumet âcre des déchets en décomposition. Une décharge à proximité risque aussi la saturation, affirment des municipalités des environs.

- Santé affectée -

En juin, le ministère de l'Environnement a fait appel à un expert pour aider à neutraliser ces effluves.

Ingénieur franco-libanais, Aimé Menassa a imputé le parfum âcre à un cocktail d'odeurs provenant des ordures ménagères, de "mauvais composts", de déjections animales et des eaux usées.

Son rapport a déclenché une vague de réactions sarcastiques sur les réseaux sociaux, les internautes moquant la nécessité de convoquer un expert pour arriver à des conclusions jugées tellement évidentes.

Mais au-delà du désagrément olfactif, ces odeurs pourraient affecter la santé.

L'hiver dernier, des chercheurs de l'Université américaine de Beyrouth ont mesuré le taux de sulfure d'hydrogène, un gaz odorant produit par les décharges dans le quartier de Bourj Hammoud. Il y était plus élevé qu'attendu.

Une étude menée en 2018 en Chine a montré que des enfants vivant près de décharges étaient exposés à des problèmes pulmonaires fortement liés au sulfure d'hydrogène.

"Il y a un besoin profond de trouver des méthodes alternatives à la gestion des déchets solides au Liban", souligne Michele Citton, un expert.

Aimé Menassa prône lui aussi une réforme en profondeur des pratiques.

Son plan à court-terme consiste à brumiser ou pulvériser des produits "biodégradables" pour nettoyer des camions à ordures et atténuer les odeurs dégagées par un centre de compostage près de Bourj Hammoud.

Mais "il ne s'agit pas de brumiser ad vitam eternam", explique M. Menassa, alors que cette pratique doit être appliquée 24h/24 pour une efficacité optimale.

"La solution consiste à faire du tri sélectif pour éviter d'avoir à enfouir ces volumes immenses en décharge", préconise-t-il.

- Tri à la source -

Le tri est d'autant plus souhaitable au Liban où la moitié des déchets sont organiques et donc bons pour le compostage, soulignent des experts.

Les autorités prévoient d'encourager les ménages à trier à la source puis de construire une nouvelle usine de compostage près de l'aéroport d'ici le printemps prochain, a indiqué le ministre de l'Environnement Fadi Jreissati.

Autre "option crédible" suggérée par le ministre: l'élargissement de la décharge de Bourj Hammoud, mais cela impliquerait la destruction d'un port de pêche adjacent.

En attendant, les militants pour l'environnement dénoncent un projet d'installation de plusieurs incinérateurs dans le pays craignant des risques de pollution. Ils voudraient plutôt que les autorités encouragent les particuliers à trier.

"Nous avons l'énergie et l'expertise pour créer ce qu'on appelle une économie circulaire" axée sur le recyclage, assure Claude Jabre, membre du collectif "Vous puez" et résident de Bourj Hammoud.

Mais il fustige le manque de volonté politique pour mettre en place ces solutions écologiques. Dans un pays classé 138e sur 180 dans l'indice de perception de la corruption de Transparency International, certains mettent en cause des collusions liées à des intérêts économiques.

Mais interroge Claude Jabre: "pourquoi ne pouvons-nous pas faire des profits sans nuire à l'environnement?"

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