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Dans un quartier misérable de Panama, les évangéliques encerclent les "papistes"

A quelques centaines de mètres de la cathédrale de Panama où le pape François officiera samedi, les églises évangéliques gagnent du terrain sur les catholiques dans un quartier populaire en proie à la violence de bandes de jeunes délinquants.

Les quelque 300 pèlerins des Journées mondiales de la jeunesse (JMJ) qui seront hébergés jusqu'à dimanche dans la paroisse de Jonathan Vasquez, le jeune curé catholique du quartier du Chorrillo, ne suffiront pas à renverser le rapport de forces.

Dans un rayon de 200 mètres, pas moins de six temples évangéliques tiennent la paroisse catholique en virtuel état de siège: Bible en main, de fidèles font du porte-à-porte pour convertir les habitants de ce quartier misérable où les bandes font la loi.

Roberto Rodriguez, âgé de 20 ans, était catholique il y a encore deux ans. Il a été converti par sa mère qui, dit-il, l'a aidé à sorti "d'un monde dont il ne voulait pas", où drogue, alcool et bagarres sont le quotidien des jeunes du Chorrillo.

"J'étais perdu", explique Roberto à l'AFP. Aujourd'hui, cet employé de supermarché semble entrer en transe dans le salon d'un modeste appartement où trois prédicateurs évangéliques délivrent à une poignée d'habitants du quartier le premier message de Dieu pour 2019.

Juan Manuel, l'un des prédicateurs, âgé de 50 ans, dit être "transformé" après 28 années passées en prison. "Donnez-moi un amen !" dit-il en forçant la voix. "Amen !" répond Roberto, comme transporté.

Les églises protestantes ont trouvé chez les détenus et les délinquants un terrain fertile.

Sans grands moyens, les évangéliques battent ainsi en brèche les "papistes", dans ce quartier comme dans le reste de l'Amérique latine, pourtant traditionnellement catholique.

Au Chorrillo, les évangéliques ont commencé à s'implanter voici une quinzaine d'année, selon les habitants. Au Panama, ils ont converti près de 20% des quatre millions d'habitants. "C'est une vraie concurrence pour l'Eglise catholique", constate la spécialiste Claire Nevache dans un rapport pour le Centre d'études Cidem.

- Déscolarisation et la délinquance -

Au rez-de-chaussée d'un immeuble de l'une des rues les plus dangereuses du Chorrillo, où s'accumulent les ordures, Yamilka Carrion dirige le temple "Valle de Beraca".

Seule la police maintient encore tant bien que mal la présence de l'Etat dans un quartier dévasté par la décomposition des familles, la déscolarisation et la délinquance juvénile.

"C'est la misère, beaucoup de jeunes sont en danger (...) et nous, nous sommes là", dit Yamilka, la prédicatrice de 39 ans, diplômée de commerce.

Les jeunes du Panama sont les premières victimes de la violence: l'année dernière, plus de la moitié des 440 victimes d'homicides avaient moins de 30 ans, selon les statistiques officielles. Un quart avait même moins de 25 ans.

Les petites communautés évangéliques ont basé leur succès auprès des jeunes sur une tactique simple mais efficace: leurs fidèles vont à leur rencontre, plutôt que d'attendre passivement qu'ils franchissent le seuil de leurs temples.

"Il faut aller dans les ruelles, dans les escaliers d'immeubles, frapper aux portes des maisons (...), il faut que le jeune sente que tu t'intéresses à lui", explique la pasteure Dalia Viveros.

Au pays du canal de Panama, les évangéliques bénéficient aussi de l'influence historique des Américains, majoritairement de confession protestante.

"Là où il y a de la pauvreté, où les gens sont marginalisés (...), les églises évangéliques proposent une foi dans un Dieu exubérant (...), cathartique", analyse le père Jonathan Vasquez en reconnaissant qu'elles "gagnent du terrain".

Sa paroisse de Notre-Dame-de-Fatima compte pourtant une école et un orphelinat où un millier d'enfants trouvent chaque jour de quoi manger.

La compétition avec les évangéliques est marquée par "un peu d'hostilité", commente le jeune curé: il y a de "la tension, de la confrontation pour savoir qui, Bible en main, a raison, détient la vérité".

Mais le père Vasquez ne se tient pas pour battu. A son arrivée, à peine quatre jeunes participaient aux activités de la paroisse. Maintenant, assure-t-il, ils sont 33 à préférer venir à son église le vendredi soir, plutôt que de sortir faire la fête.

erc-vel-dro-tup/glr

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