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"Pendant quatre ans, je n’ai pas vu un lit" : voici l’histoire poignante de Gilbert, un ancien combattant qui vient de mourir à 94 ans

Gilbert est décédé dans son sommeil il y a quelques jours. Ce vétéran de la deuxième guerre mondiale avait 94 ans. Pendant de nombreuses années, cet habitant de Bredene, près d’Ostende, a témoigné de ce qu’il a enduré sur les champs de bataille. Une façon d’entretenir le devoir de mémoire. Aujourd’hui, son petit-fils nous raconte son histoire. Un récit poignant et fascinant.

"C’est un héros, cela ne fait aucun doute. Mais le héros dans le plus pur sens du terme, que ce soit parce qu’il a vécu pendant la guerre mais aussi pour sa famille, pour ses amis", assure Philippe, en évoquant son grand-père, un vétéran de guerre qui vient de décéder. Pour lui rendre hommage, ce Bruxellois de 46 ans nous a contactés via notre bouton orange Alertez-nous. L’occasion de mettre un halo de lumière sur cet homme valeureux et altruiste qui avait l’habitude de partager ses souvenirs de guerre. "A chaque fois que je lui rendais visite, il avait toujours des histoires à raconter. Parfois des petites phrases, parfois de longs récits", se souvient Philippe.

Gilbert Van Cleemputte est né le 1er février à Lille en 1923. A l’âge de 7 ans, il doit affronter une épreuve difficile: la mort de son papa. En 1940, lorsque la deuxième guerre mondiale éclate, il n’a que 17 ans. "Au départ, il s’est engagé en tant que Français auprès de l’armée américaine en tant que volontaire de guerre combattant pour l’armée secrète du général Patton. Et je ne sais plus si c’est juste avant ou pendant la guerre qu’il a rencontré ma grand-mère", relate son petit-fils.

Avant d’enfiler ses habits de soldat, Gilbert brille en tant que cycliste professionnel. "C’était un grand sportif. En tant que coureur cycliste, il a terminé troisième du championnat de Belgique en 1940", indique Philippe avec une pointe de fierté dans la voix.


"Il se recouvrait de neige parce qu’elle le protégeait du froid"

Une carrière prometteuse qui prend donc fin avec le début de la guerre. Gilbert commence à se battre avec d’autres soldats, souvent venus d’Europe et recrutés par l’armée américaine. "Dans un premier temps dans son engagement auprès de l’armée américaine, il recevait pas mal de choses parce qu’elle était bien plus riche que toutes les autres unités à ce moment-là. Lui et ses compagnons avaient droit à des cigarettes, de l’alcool et des chewing-gums, qui sont arrivés à ce moment-là", raconte Philippe. Pendant la bataille des Ardennes, qui débute fin décembre 1944, la situation est toutefois beaucoup plus éprouvante. "Cela a été le moment le plus dur en fait de son engagement. Il en a beaucoup parlé. C’était beaucoup plus compliqué pour le ravitaillement, pour se loger, pour se laver. Il m’a dit que pendant des semaines, il n’a pas pu se laver si ce n’est avec une petite bassine et un peu d’eau dans la boue. Il y avait aussi tout le bardage à porter. C’était un poids considérable", souligne le Bruxellois.

Cet hiver-là, les soldats doivent par ailleurs affronter des températures glaciales. "Ce qui a beaucoup marqué mon grand-père, c’est le fait que pendant la nuit, le peu qu’il pouvait dormir, il se recouvrait de neige parce qu’elle le protégeait du froid. Il partageait aussi des repas à plusieurs comme ils n’avaient pas assez de nourriture pour tout le monde."


Retrouvailles avec son amoureuse

Quand la guerre se termine, Gilbert peut enfin retrouver son amoureuse, originaire de la côte belge. "Il était très content de pouvoir serrer à nouveau ma grand-mère dans ses bras, qu’ils soient tous les deux vivants. Ils se sont alors mariés et ont passé toute leur vie ensemble à Bredene, au littoral", raconte Philippe.

Sans diplôme, Gilbert entre rapidement à l’union chimique à Ostende, où il gravit petit à petit les échelons pour devenir responsable de laboratoire.

Grâce à ses mérites en tant que combattant, il reçoit de nombreuses médailles. "Mais il n’y a pas que ses médailles honorifiques d’un point de vue militaire, il a aussi obtenu tous les lauréats du travail à l’union chimique", souligne son petit-fils.


Il raconte aux écoliers: "Le dimanche on mangeait des pommes de terre et le lundi on mangeait les épluchures"

Il y a environ 30 ans, quand il prend sa pension, le vétéran décide de témoigner des horreurs de la guerre et de s’investir pleinement dans les commémorations des anciens combattants. "C’était très important pour lui parce qu’il voulait porter cette mémoire, raconter ce qu’il a fait, ce qu’il a enduré. Cela a été une période de sa vie très difficile... Le 21 juillet dernier, il était encore présent, pas très loin du couple royal, pour saluer les militaires et les anciens combattants."


Pour sensibiliser les jeunes, Gilbert témoigne aussi dans de nombreuses écoles, dont celle du fils de Philippe. "Il aimait bien leur raconter la vie pendant la guerre, les sacrifices qu’il a dû faire. A chaque fois qu’il rencontrait des enfants, il disait: 'Le dimanche on mangeait des pommes de terre et le lundi on mangeait les épluchures', 'Pendant quatre ans, je n’ai pas vu un lit'. Donc c’était très dur et il a voulu s’investir pleinement là-dedans. Il a encore été très actif jusqu’au 11 novembre 2016", indique le Bruxellois. 

 

"J’ai vu mourir mes copains à côté de moi"

Très proche de son grand-père, Philippe entend donc souvent lui-même ces anecdotes, ces souvenirs de 40-45. Et à chaque fois qu’il évoque la mort inéluctable de certains de ses compagnons, Gilbert est pris par l’émotion. "Il n’a pas précisé qui ils étaient, mais il a souvent parlé d’eux. C’était toujours un récit difficile. Il terminait avec une larme à l’œil, voire plus, en disant: 'J’ai vu mourir mes copains à côté de moi'", se souvient Philippe. "Il y a des choses qu’il a raconté pour lesquelles j’avais vraiment l’impression d’être dans un film. Ce sont des choses que l’on voit au cinéma. Mais c’est tellement plein de vérité que c’était encore plus marquant. C’est pour ça aussi qu’il a passionné les enfants ou les autres anciens combattants avec qui il partageait aussi plein d’histoires et de souvenirs."


"Il n’y avait pas de Wallonie, de Bruxelles ou de Flandre"

Gilbert confie aussi son amertume face aux conflits communautaires qu’il ne comprend pas. "Il disait: ‘Nous nous sommes battus pour défendre les couleurs de la Belgique. Il n’y avait pas de Wallonie, de Bruxelles ou de Flandre. Et aujourd’hui ça se déchire dans tous les sens. Moi quand je devais sauver quelqu’un, je ne demandais pas si c’était un Flamand ou un Wallon’", se souvient son petit-fils.

Cette réalité heurte en effet ses valeurs. Gilbert est un homme altruiste et volontaire pour qui l’entraide est primordiale. "Il s’est battu pour faire les choses correctement et proprement. Il voulait toujours aller de l’avant, s’améliorer, s’investir. Je pense que c’est ça qui lui a donné toute cette force tout au long de sa vie. Se concentrant sur le côté positif des choses, il a toujours été heureux de la vie. Et c’était quelqu’un aimé de tous", assure Philippe. Son seul regret est d’ailleurs d’ordre sportif. "Il a souvent répété que sans la guerre, il aurait été un champion cycliste, qu’il aurait fait une belle carrière de cycliste."


Il se remarie à l’âge de... 93 ans !

Généreux, Gilbert tient aussi à faire plaisir à ses proches. "Auprès de ma grand-mère et de son épouse actuelle, il a toujours répondu favorablement à leurs demandes, par exemple si elles voulaient une jolie robe. Chance pour lui, ça a toujours été des femmes raisonnables", souligne Philippe avec un sourire dans la voix.

Après la mort de son épouse, Gilbert se rapproche en effet d’une autre femme. La tendresse se transforme petit à petit en amour. Et, malgré son âge, il tient à se remarier. C’était en février dernier. Le vétéran a alors 93 ans.

Leur union ne dure malheureusement pas très longtemps. Il y a quelques mois, la santé de Gilbert se détériore soudainement. "On espérait qu’il devienne centenaire. Mais le destin en a décidé autrement", regrette Philippe.

Des centaines de témoignages de sympathie

Dans la nuit du 22 au 23 mars dernier, l’ancien combattant meurt dans son lit à l’hôpital. "Jusqu’au dernier moment, il a réussi à nous faire sourire. Il avait toujours un petit brin d’humour qui était placé au bon moment et qui était sympathique."

Une sympathie qui semble avoir touché de nombreuses personnes. En apprenant son décès via une page Facebook créée par Philippe au nom de son grand-père, ceux qui l’ont rencontré ont exprimé leur reconnaissance. "En l’espace d’une journée, il y a plusieurs centaines de témoignages. Je ne savais pas à quel point, ses récits, sa présence aux commémorations étaient si importants aux yeux de tous", découvre avec joie son petit-fils.

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