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La prof de morale qui n'a plus le moral: une erreur administrative conjuguée à l'arrivée du cours de citoyenneté ont chamboulé sa vie

L'arrivée du cours de citoyenneté conjuguée à une erreur de l'administration a secoué le quotidien agréable et les perspectives d'avenir d'une jeune enseignante de morale. Elle sort aujourd'hui de cette période d'instabilité et de changement avec le sentiment amer d'avoir perdu beaucoup de choses. Le cours de citoyenneté, lui, est installé, convainc et va convaincre de plus en plus de parents et enseignants, observe le cabinet de la ministre.

À 26 ans, Noémie (prénom d'emprunt car elle veut garder l'anonymat), originaire de la province du Hainaut, se dit "dégoûtée" par son métier d'enseignante depuis les problèmes qui se sont abattus sur elle à l'arrivée du cours de citoyenneté. "Je suis enseignante de cours philosophiques depuis 2013, et à cause du cours de citoyenneté et d'une erreur de l'administration, j'ai perdu l'occasion d'être nommée, mon ancienneté, mon école, mon temps, mes loisirs, mon amour pour mon métier", s'est-elle ouverte avec dépit via le bouton orange Alertez-nous. Que s'est-il passé? Nous avons appelé la jeune femme.


Un horaire complet et une nomination qui approche à grands pas

La carrière de la Hennuyère a pourtant bien débuté. "J'ai commencé en donnant le cours de morale dans une école tout près de chez moi, une petite école de village très agréable, avec des élèves en or", raconte-t-elle. Cerise sur le gâteau, après 5 ans, Noémie a soudain pu nourrir l'espoir d'être nommée d'ici environ un an. En effet, son chef d'établissement l'a informée qu'elle était désormais "temporaire prioritaire" pour les 16 heures de morale qu'elle dispensait dans le degré inférieur. "J'avais aussi 8 heures dans le degré supérieur mais, comme je suis régente, il n'y a que les heures dans l'inférieur qui comptent", précise la jeune femme.


Deux étapes avant une nomination

Afin de bien comprendre la joie de Noémie qui apprend qu'elle devient temporaire prioritaire, il faut connaître le chemin qui mène à la nomination dans le milieu scolaire. Deux statuts doivent être passés avant le "Graal" de la nomination. Une personne qui entre dans l’enseignement commence à l'état de temporaire. Dès qu'elle accumule assez de jours d’ancienneté (le nombre varie selon le type d'enseignement: fédération Wallonie-Bruxelles, communal ou provincial, libre), elle peut prétendre au statut suivant, celui de temporaire prioritaire. Elle est alors désignée à durée indéterminée et se trouve dans l'antichambre de la nomination. Devenir temporaire prioritaire à 26 ans constituait pour Noémie une "occasion inespérée parce que, pour être nommé dans l'enseignement, il faut parfois de nombreuses années", dit-elle.

Si, pour passer à l'état de temporaire prioritaire, il faut accumuler un certains nombre de jours dans l'enseignement, il n'en va pas de même pour la nomination. "Tout dépend de l'école pour laquelle vous êtes temporaire prioritaire et du nombre d'heures vacantes, éclaire la professeure. En l'occurrence, j'étais temporaire prioritaire pour 16 heures, donc pas pour un horaire complet. Pour être nommé, il faut un tiers d'un horaire complet, donc un tiers de 22 heures".

Les conditions de nomination pour l'enseignement de la Fédération Wallonie-Bruxelles sont définies par l’article 45 de l’Arrêté royal du 22 mars 1969 qui stipule que "le temporaire prioritaire est nommé à titre définitif au 1er janvier qui suit sa désignation en qualité de temporaire prioritaire, si l'emploi qu'il occupe comporte au moins le tiers du nombre minimum d'heures requis pour former une fonction à prestations complètes".

Avec ses 8 heures dans le degré inférieur, Noémie remplissait donc les conditions pour être nommée rapidement.  

Tout va merveilleusement bien pour la jeune femme dans sa petite école de village. Jusqu'à ce que l'instauration du cours de citoyenneté dans le niveau inférieur secondaire en septembre dernier change soudainement la donne. 


"Plus assez d'heures de morale dans mon école"

À partir de septembre, le cours de citoyenneté prend ses quartiers. Il va prendre une partie de la place occupée par le cours de morale dans l'école de Noémie. Les élèves qui suivaient jusqu'alors deux heures de morale hebdomadairement vont passer à une heure de morale et une heure de citoyenneté par semaine. Conséquence: "Plus assez d'heures en morale dans mon école", s'effondre la prof qui voit divisé par deux son nombre d'heures disponibles. "Et comme nous n'avons pas eu une bonne rentrée, j'ai perdu deux classes, et donc 2 heures supplémentaires", ajoute l'enseignante. L'escalier vers la nomination s'écroule aux pieds de la professeure: "Je n'avais plus que 6 heures de cours au lieu des 16 prévues au départ. Pour être nommée il faut minimum 8 heures".

Il faut trouver une solution. Noémie se renseigne afin de pouvoir compléter ses heures de morale par des heures de citoyenneté, dans le but de garder un horaire suffisant pour prétendre à une future nomination. Mais, assure-t-elle, sa a quête d'informations s'avère compliquée: "On avait beau demander à droite et à gauche, on avait des sons de cloche différents, c'était chaotique."


Elle n'accède pas à la formation pour devenir prof de citoyenneté

Pour pouvoir donner le cours de citoyenneté, il faut suivre une formation. Mais Noémie ne peut y accéder: "Je m'inscris en août pour être en ordre au mois de septembre. Sauf qu'on nous a pondu ensuite que, pour suivre cette formation, il fallait absolument des heures de citoyenneté prévues, ce que je n'avais pas étant donné que je ne donnais que morale" détaille la jeune enseignante.

L'administration nous l'a confirmé, pour accéder à cette formation, priorité est donnée aux enseignants qui donnent déjà le cours de morale ou de religion, ce qui est le cas de Noémie. Mais une deuxième condition doit être remplie : il faut au minimum se voir attribuer trois heures de cours à la rentrée.


Contrainte de quitter son école avant d'apprendre que ce n'était pas nécessaire

Noémie se renseigne auprès de son syndicat afin de faire le choix le plus judicieux pour l'année scolaire qui arrive ainsi que sa carrière d'enseignante en général. Mais, affirme-t-elle, elle va être mal guidée.

"Mon syndicat m'a garanti qu'il était interdit de donner le cours de morale et de citoyenneté en même temps, et que je devais donc faire un choix entre les deux", prétend-elle. Sur base de ces renseignements, elle se retrouve face à un sérieux dilemme : "Soit je continuais la morale, mais je ne pouvais alors pas suivre la formation en citoyenneté, et donc je perdais un an pour donner ce cours, en ayant à l'esprit que le cours de morale va disparaître un jour ou l'autre (NDLR, c'est du moins sa conviction personnelle), soit j'abandonnais tout et optais pour citoyenneté."

Noémie choisit le cours de citoyenneté et abandonne celui de morale. Ce premier grand changement s'accompagne d'un second. Comme elle ne dispose pas d'assez d'heures dans sa petite école de village, elle doit la quitter pour un établissement situé à 50 kilomètres de chez elle.

C'est la rentrée et une nouvelle vie, qu'elle n'a pas souhaitée, démarre pour la jeune femme. Elle apprend alors avec stupéfaction que dans son ancienne école, celle qu'elle appréciait tant, sa remplaçante enseigne à la fois morale et citoyenneté, alors même que, selon elle, le syndicat lui avait assuré que cette combinaison était interdite. 

L'interrogation et la colère s'emparent d'elle. Pourquoi sa remplaçante peut-elle faire ce qu'on lui a refusé ? Nous avons cherché à comprendre auprès du cabinet de la ministre de l'Éducation en Fédération Wallonie-Bruxelles, Marie-Martine Schyns.


Une "erreur de désignation"

Une erreur administrative est responsable des illusions de Noémie. "Le 30 juin 2017, elle a été désignée comme temporaire prioritaire dans un cours de morale, mais il s'agit d'une erreur d'encodage : elle n'est pas prioritaire", expose Éric Etienne, porte-parole de la ministre, qui parle d'un cas très rare. Six erreurs d'encodage ont été observées ces derniers mois en Fédération Wallonie-Bruxelles. "Toutes ont été corrigées et cela n'a eu aucune conséquence sur les attributions de poste", assure le porte-parole.

La remplaçante de Noémie a le statut de temporaire prioritaire. Comme son nom l'indique, ce statut lui confère la priorité sur Noémie (finalement restée temporaire au contraire de ce qu'une erreur administrative avait pu lui faire espérer) dans la possibilité d'enseigner les deux matières, citoyenneté et morale. "Les personnes nommées sont prioritaires, viennent ensuite les temporaires prioritaires puis les non-prioritaires", explique Eric Etienne.

On comprend mieux maintenant l'engrenage des événements qui a amené aux mots durs posés par la jeune femme dans son message envoyé via le bouton orange Alertez-nous: "J'ai perdu l'occasion d'être nommée, mon ancienneté, mon école". En apprenant qu'elle devenait temporaire prioritaire, elle a touché du bout des doigts une proche nomination. Mais, l'administration avait commis une erreur, elle n'était pas devenue temporaire prioritaire. Et en abandonnant le cours de morale pour le nouveau cours de citoyenneté, elle a perdu son ancienneté et son école. 

Davantage d'opportunités à l'avenir

Le cabinet de Marie-Martine Schyns n'est pas resté indifférent au sort de l'enseignante. Un choix lui a été présenté: réintégrer sa place de professeur de morale dans la petite école qu'elle aimait tant, ou rester professeur de citoyenneté dans un autre établissement mais cette fois situé plus près de son domicile que l'actuel. 

"En choisissant morale, elle pourrait être nommée plus rapidement, mais si l'envie est d'aller vers ce nouveau cours, les opportunités vont devenir plus importantes avec le temps", expose Eric Etienne. Pour rappel, un certain volume horaire dans la fonction souhaitée est nécessaire pour accéder au statut de temporaire prioritaire. En retournant vers le cours de morale, elle retrouvera son ancienneté et sera donc plus proche du changement de statut menant à une nomination.

Mais, estime Eric Etienne, "le cours de citoyenneté a peut-être plus d'avenir." Il n'est en effet pas impossible qu'à l'avenir, les élèves trouvent davantage leur compte dans le cours de citoyenneté et délaissent la morale. Cela reste toutefois des suppositions mais  long terme, peut-être que le cours de moral disparaîtra mais ça reste un point d'interrogation pour le moment. Ce cours continue en tout cas d'exister tant qu'il y a de la demande", conclut le porte-parole du cabinet.



"Un cours que les gens continuent d'appeler 'cours de rien'"

D'après le cabinet de la Ministre, l'intérêt pour le cours de citoyenneté grandit. "Il faut le temps que ça se mette en place, et on constate un phénomène d'accroissement, même si ça n'explose pas", rapporte-t-on.

Noémie déplore pourtant la persistance, selon elle, d'une image négative. "Le cours de citoyenneté n'a vraiment aucune considération de la part des élèves, mais aussi de nos collègues. Nous sommes les 'professeurs de rien', et travailler dans de telles conditions n'est franchement pas agréable, dit-elle.

Au-delà du sentiment d'injustice vécu par l'enseignante, se lancer dans un cours de citoyenneté quand on enseigne la morale depuis le début de sa carrière n'est pas évident. "Je n'ai pas étudié pour donner ce cours-là, et maintenant, on m'impose de le donner. Moi, j'ai étudié un cours auquel je croyais. Du jour au lendemain, des personnes décident que mon cours ne vaut plus rien et que je dois en donner un autre, et moi, je dois me plier à ça ?", se demande-t-elle.


Manque de temps pour enseigner le programme complet du cours de citoyenneté? 

Noémie dénonce également des conditions difficiles pour enseigner la matière en toute sérénité. "On nous demande de faire des choses dans ce cours qu'il est impossible de faire en une heure par semaine. C'est vraiment un travail de titan. En plus de ça, généralement, c'est pendant cette heure-là qu'on vient chercher les élèves pour la visite médicale, ou pour une petite activité… Donc, on n'avance pas, on n'a pas l'impression d'apporter quelque chose aux enfants comme je le faisais avant", juge-t-elle.


Le ministère: l'intérêt pour le cours de citoyenneté ne va cesser de croître

Là encore, tout est question de patience pour le porte-parole de la Ministre de l'Éducation. "Pas mal de gens se tournent vers la formation. Les gens ont pris connaissance du référentiel (NDLR: ce qu'on doit enseigner dans ce cours, à différencier du programme, qui relève davantage de la méthode de travail) et il y a enthousiasme, précise Éric Etienne. L'amalgame est encore là car tout ça est assez récent, mais le contenu étant qualifié par les acteurs de terrain de très intéressant, cela va diminuer avec le temps".

Selon lui, étant donné qu'il y a une heure de cours obligatoire par semaine de citoyenneté, les élèves et leurs parents vont au fur et à mesure se rendre compte de l'intérêt de ce cours, comme de nombreux enseignants en formation le constatent.

Toujours blessée par ce lui est advenu, Noémie ne partage malheureusement pas le même enthousiasme pour ces changements : "Dès que j'en ai l'opportunité, je quitte l'enseignement", affirme-t-elle.   

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