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Où séjournent les enfants placés quand les services d’accueil sont saturés ? "On les dépose comme des paquets à l’hôpital", s’indigne Stéphanie

C’est un problème peu connu. Et pourtant bien réel. Lorsqu’aucune solution n’est trouvée pour l’accueillir, un enfant retiré de son cadre familial est placé dans un hôpital. Un endroit inapproprié pour son développement. Stéphanie, qui a accueilli récemment un petit garçon, déplore cette situation causée par le manque de places en famille d’accueil et l’engorgement des centres d’hébergement. Conscient de cette réalité, le ministre compétent a pris différentes mesures et souhaite obtenir des moyens plus importants pour soutenir le secteur, cruellement sous-financé.

"C’était un petit cœur. J’ai beaucoup pleuré quand il est parti, surtout quand je l’imaginais dans son petit lit d’hôpital", se souvient avec émotion Stéphanie, qui nous a contactés via notre page Alertez-nous. Cette mère de famille qui habite Le Roeulx, dans la province du Hainaut, a récemment vécu une expérience marquante.

Au mois de juin dernier, elle a accueilli un petit garçon de trois ans, placé pour difficulté parentale. "C’est la première fois que mon mari et moi avons été parents d’accueil d’urgence. Comme je suis directrice d’une crèche communale, j’ai été moi-même confrontée au cas difficile d’une petite fille qui devait peut-être être placée. Je me suis demandée où elle allait aller. Du coup, j’ai décidé moi-même d’aider des enfants en difficulté", explique Stéphanie, âgée de 34 ans et maman de trois garçons.


Environ 40.000 jeunes pris en charge par an

En moyenne, environ 40.000 jeunes par an sont pris en charge par le Service de l’Aide à la Jeunesse (SAJ) au sein de la Fédération Wallonie-Bruxelles. La grande majorité d’entre eux sont confrontés à une situation de difficulté ou de danger (précarité, négligences graves ou maltraitance). Ils sont alors hébergés hors du milieu familial. Un parent hospitalisé peut par exemple se trouver temporairement dans l’incapacité d’assumer son fils ou sa fille. Le placement familial chez un proche (un oncle, les grands-parents, etc.) est toujours privilégié. Mais si cette solution s’avère impossible, l’enfant sera alors placé soit dans une institution, soit dans une famille d’accueil. "Parfois, un enfant ne semble pas capable de renouer des liens avec des non-professionnels. Dans ce cas-là, il est placé dans un centre spécialisé. Un passage nécessaire pour imaginer un accueil dans une famille ou un retour éventuel chez les parents", indique Xavier Verstappen, président de la fédération des services de placement familial. En fonction de la situation personnelle, le SAJ décide également de l’orienter vers l'un des différents types de prise en charge (accueil d'urgence, de courte durée, à moyen et long terme). Le mandat peut être donné soit par le conseiller ou le directeur de la jeunesse, soit par le tribunal de la jeunesse.


Un accueil d’urgence de 45 jours maximum

Chaque famille candidate à l’accueil peut choisir le type de placement familial et définir des critères de sexe et de tranche d’âge. Stéphanie a opté pour l’accueil d’urgence."Quand on veut devenir famille d’accueil, il faut poser sa candidature. Le service de placement mène une enquête psycho-sociale et fournit des informations essentielles avant d’attribuer un enfant, si le profil convient. Nous, on a choisi l’urgence pour une question d’organisation car on a déjà trois garçons. Et puis, on peut surtout accueillir et dépanner plus d’enfants", explique la trentenaire. Cet accueil temporaire dure maximum 45 jours. Comme l'indique Christian Pringels, directeur de l’Accueil Familial d’Urgence,"ce temps est mis à profit pour tenter de dégager une solution à une situation de crise, en privilégiant un retour possible dans la famille". Le service de placement joue un rôle essentiel de relais entre le jeune et les différents acteurs."On tente de maintenir un lien entre les parents et l’enfant dans les limites du possible. Des rencontres libres ou surveillées sont ainsi organisées. Certaines situations ne sont pas simples, comme des visites en prison. On sert toujours d’interface. On va chercher l’enfant pour le déposer dans une famille d’accueil et c’est nous qui venons le reprendre pour une visite parentale", précise le directeur.


"Ce terme est horrible mais, pour moi, on les case à l’hôpital"

Pour la famille de Stéphanie, tout s’est globalement bien passé avec le nouveau venu dans la maison."C’était un enfant perturbé et donc turbulent parce qu’il n’a pas de limites et pas d’éducation. Mais ça on le sait à l’avance. Mes enfants ont bien réagi. Pour eux, c’était comme une fratrie qui s’agrandit." Par contre, c’est le départ prévu du garçonnet six semaines plus tard qui s’est avéré particulièrement difficile, en raison de l’absence de perspective. "Avant d’être logé chez nous, il avait déjà passé une semaine à l’hôpital. Il est arrivé avec quelques t-shirts et shorts dans un sac poubelle, c’est tout, se souvient la directrice de crèche. Au bout de 45 jours, aucune solution n’a été trouvée pour lui. L’idéal, c’est la remise dans le milieu familial. Mais dans son cas, ce n’était pas possible. Et aucune structure n’était disponible pour accueillir ce petit bout. Pas d’autre famille et aucune place dans un centre d’accueil. Il est donc retourné à hôpital avec une valise remplie de vêtements et de jouets", ajoute-t-elle. Lorsque les institutions sont saturées et aucune famille d’accueil disponible, le SAJ envoie en effet le jeune en milieu hospitalier. "Il a bien réagi parce qu’il a malheureusement l’habitude d’être balloté d’un endroit à l’autre. Mais j’étais tellement triste. Je suis aussi infirmière urgentiste et ce n’est pas rare de voir des enfants placés dans le service pédiatrie. Ce terme est horrible mais, pour moi, on les case à l’hôpital. On les dépose comme des paquets", s’insurge Stéphanie.

Une réalité que confirme le docteur Thierry Schurmans, chef du service pédiatrie-néonatologie au CHU Charleroi. Au mois d’août, sept enfants placés étaient hébergés sur les deux sites de l’hôpital. "Malheureusement, c’est une vérité que nous déplorons. C’est scandaleux en dehors d’une période d’urgence de quelques semaines", déplore le pédiatre. Selon lui, leur présence dans un hôpital est justifiée, s’ils ont besoin de soins médicaux. Mais dans la majorité des cas, une hospitalisation n’est pas une nécessité pour eux. "Un hôpital n’est pas un endroit approprié. Ces enfants devraient plutôt se trouver dans des institutions où ils bénéficient d’un encadrement adéquat avec des éducateurs et des psychologues. Mais ces structures sont engorgées et sous-financées, aussi bien en Wallonie qu’à Bruxelles. Certaines vivent de la mendicité", regrette Thierry Schurmans, qui ne mâche pas ses mots.


"Cela peut mener à la maladie de l’hospitalisme"

Le médecin épingle également les répercussions possibles sur leur comportement."Pour moi, cela s’apparente à de la maltraitance sociétale qui peut mener à la maladie de l’hospitalisme. Il s’agit de troubles du comportement induits par un séjour prolongé et inadapté à l’hôpital. Ces enfants sont emprisonnés. Certains grimpent au mur, d’autres s’éteignent et sont sujets à la dépression par manque d’affection continue. J’ai aussi connu un garçon de 3-4 ans qui mangeait ses excréments", indique Thierry Schurmans. Au sein de l’hôpital, le personnel médical tente pourtant de créer pour eux une vie sociale la moins anormale possible. Dans certains établissements, il existe par exemple des salles de sport et/ou un espace vert qui leur permettent de se défouler."La journée, ils vont à l’école ou on les dépose à la crèche qui se trouve à 100 mètres de l’hôpital. Nous devons donc tous faire preuve de beaucoup de bonne volonté sans être véritablement récompensé. Et c’est surtout épuisant. Etant donné leur énergie débordante, ils courent partout. Les infirmières sont épuisées, souligne le chef de service. Et cela peut également être dangereux s’ils enlèvent le baxter d’autres enfants malades ou s’ils cassent des choses dans les salles d’opération. L’hôpital est responsable mais ne perçoit aucun financement adéquat. Je vais demander d’améliorer notre structure d’accueil pour eux, mais cela ne devrait tout simplement pas exister."

Le CHU de Charleroi n’est évidemment pas le seul centre hospitalier confronté à cette situation. D’après Thierry Schurmans, les autres hôpitaux de la région se plaignent des mêmes difficultés."A Bruxelles aussi. J’ai visité cet été le centre d’accueil pour enfants placés à l’hôpital Saint-Pierre, où il y avait 12 enfants. Même s’ils ont pu engager deux éducateurs pour les encadrer, ils épinglent des problèmes similaires", assure-t-il.


Un gaspillage de l’argent public

Au-delà de cet accueil dans des conditions loin d’être optimales, le chef de service évoque également un gaspillage des deniers publics. "Une hospitalisation coûte 400 euros par jour par enfant. (Ndlr: une somme à charge de l’Inami). Or, on devrait plutôt utiliser cet argent pour les structures d’accueil adaptées. Mais, le problème c’est que ce sont des budgets différents, dénonce Thierry Schurmans. Et certains enfants restent pendant des périodes longues. Il y en a un qui a séjourné un an chez nous. Il n’avait pas de mutuelle. On a donc envoyé une note de 130.000 euros au SAJ qui a dû payer." Après avoir entrepris des démarches auprès des juges du tribunal de la jeunesse, le pédiatre compte à présent sensibiliser le monde politique pour faire bouger les choses.

Alors, quelle est justement la réaction du ministre de l’Aide à la jeunesse de la Fédération Wallonie-Bruxelles face à cette problématique ? Rachid Madrane se dit conscient de cette réalité, qu’il qualifie toutefois de marginale. "Il est vrai que pour de jeunes enfants qui sont en danger grave et immédiat dans un milieu très inadéquat, l’hôpital peut parfois, faute de place disponible, être une ressource pour protéger un enfant. Mais cette réponse hospitalière ne peut être bien entendu durable ni systématique. L’hôpital est, en effet, un lieu de soins et non un lieu d’accueil", souligne le ministre, qui se dit toutefois surpris par la présence d’un enfant pendant une année à l’hôpital."Je n’ai jamais eu connaissance de cas si long. En général, c’est pour une durée temporaire de deux, trois semaines", indique-t-il. Par contre, le ministre déplore également les factures élevées d’un séjour à l’hôpital.


"Nous ne pouvons pas faire du shopping"

Le président de la fédération des services de placement familial Xavier Verstappen tient, lui, à souligner l’importance de la réflexion pour trouver les profils qui correspondent au mieux."Un placement en attente à l’hôpital n’est pas une bonne solution. Mais parfois, c’est une meilleure solution que d’héberger l’enfant dans une famille d’accueil pas préparée ou inadaptée parce que cela peut engendrer des dégâts tant pour les familles que pour les enfants. Ce n’est pas un projet à prendre à la légère. Cela implique beaucoup de vies humaines. Nous ne pouvons pas faire du shopping, surtout pour des placements sur le long terme", souligne le président de la fédération des services de placement familial.

Si les avis sont nuancés, tous ces acteurs de l’aide à la jeunesse se rejoignent sur la solution pour éviter un séjour inadapté et coûteux à l’hôpital: augmenter le nombre de places disponibles et les moyens alloués au secteur de l’aide à la jeunesse."Il y a de plus en plus de familles d’accueil qui nous contactent. Mais ce n’est pas suffisant", regrette Christian Pringels, directeur de l’Accueil Familial d’Urgence.


L’accueil familial, la "priorité" du ministre Madrane

Afin de remédier à la pénurie de places, Rachid Madrane a pris différentes mesures. Depuis sa prise de fonction, le ministre affirme que l’accueil familial est l’une de ses priorités."Lorsque nous devons retirer momentanément un enfant de son milieu familial, la mesure la plus douce, ou en tout cas la moins traumatisante, est le placement en famille d’accueil, quelle que soit la qualité du travail de nos services d’accueil ou d’aide éducative", souligne le socialiste."C’est la solution la moins chère pour la société et la plus humaine, si elle est bien réalisée", confirme Xavier Verstappen, président de la fédération des services de placement familial.

Pour attirer un plus grand nombre de familles prêtes à se lancer dans cette expérience humaine et valoriser leur rôle, le ministre a lancé différents chantiers. D’une part, il a voulu leur simplifier la vie au travers d’une simplification administrative. Parmi les aménagements qui vont entrer petit à petit en vigueur dans le courant de cette année, il y a la réduction du délai de sélection des familles, l’harmonisation du processus de sélection, la signature d’un seul document valable un an pour toute démarche qui demande l’autorisation des parents biologiques ainsi qu’une simplification pour le payement des frais et des indemnités.

D’autre part, une grande campagne de sensibilisation et de recrutement sera organisée au mois d’octobre prochain. L’objectif est évidemment de disposer d’un nombre plus important de familles sélectionnées au profil diversifié."Je veux arriver à augmenter de façon sensible le nombre de familles d’accueil potentielles afin de limiter les placements en institutions. Il faudrait arriver à recruter 50 à 80 familles supplémentaires par an", indique le ministre de l’Aide à la jeunesse.


"Le secteur est chroniquement sous-financé depuis des décennies"

Par ailleurs, à la demande de Rachid Madrane, 85 places supplémentaires ont été créées dans les structures d’accueil depuis le mois de juillet dernier. "Et on va continuer. Mais pour cela, il faut augmenter les moyens. Ce secteur est chroniquement sous-financé depuis des décennies. Or, les besoins sont de plus en plus nombreux. Les situations de certains enfants sont terribles et nous devons les protéger", souligne le ministre. Lors des prochaines discussions budgétaires, il va donc demander d’augmenter (entre 10 et 20%) le budget annuel (276 millions d’euros) octroyé au secteur qui devrait, selon lui, être considéré comme "une priorité".

Cet argent supplémentaire pourrait notamment servir à engager plus de personnel."Notre service s’occupe de 600 enfants. Malheureusement, en raison de notre budget fermé, c’est très difficile de répondre à tous les besoins. Tout le monde ici fait des heures supplémentaires. Mais on ne peut pas faire cela à l’infini", dénonce Xavier Verstappen, président de la fédération des services de placement familial.


Un projet privé pour construire une nouvelle maison d’accueil

Face à cette situation, certains particuliers ont même entamé des initiatives privées pour améliorer le cadre de vie de ces enfants. C’est le cas de la "Fondation Papillon", dans la région de Charleroi. Une équipe de bénévoles enthousiastes a décidé de se mobiliser pour offrir un toit et un espace de vie à une quarantaine d’enfants et adolescents, actuellement hébergés dans des bâtiments vétustes de la Cité de l’Enfance (une institution subventionnée qui comprend plusieurs structures d’accueil). Il s’agit du "Projet Cocon" dont l’objectif est de construire une nouvelle maison pour les accueillir à Montigny-le-Tilleul. "Nous avons voulu aider la Cité de l’Enfance qui n’a pas beaucoup de moyens en réalisant ce projet. Au total, nous avons besoin de deux millions d’euros. Pour récolter des fonds, nous organisons donc des événements sportifs ou culturels. Et nous recevons aussi des dons", explique Denis Fontaine, le président de la fondation. "Nous avons déjà acquis un terrain et obtenu un permis de construire. Et aujourd’hui, nous continuons à nous mobiliser car il manque encore de l’argent. Mais nous espérons pouvoir débuter la construction du bâtiment avant la fin de cette année", indique le président de la fondation.


Le rôle "essentiel" des familles d’accueil

De son côté, Stéphanie révèle son rêve de pouvoir un jour ouvrir ce genre d’établissement pour combler la demande. "Mais pour assurer les salaires et le fonctionnement, il faut un financement. Et c’est très difficile d’obtenir des fonds publics ou privés", regrette-t-elle. Cette mère de famille envisage donc plutôt d’accueillir chez elle un autre enfant en difficulté. Même si sa première expérience n’a pas forcément été facile, Stéphanie est consciente que son engagement est important. "La prise en charge de ces enfants est essentielle parce qu’ils vont devenir des adultes et il faut leur assurer aussi un bel avenir", estime-t-elle.

Julie Duynstee

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