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Dans son travail, au quotidien, Sandrine est entourée de vie. Celle de certains de ses patients qui a démarré depuis quelques jours seulement. Même en milieu hospitalier, malgré la maladie, elle a l'habitude de voir la vivacité des enfants, des nouveau-nés dont elle s'occupe avec fierté au sein du service pédiatrique des Cliniques Saint-Luc de Bruxelles. Mais tout a très vite basculé avec le coronavirus. Cette infirmière de 36 ans est passée de soignante à soignée : "Le monde s'effondre… La mort ? Oui j'y ai pensé". Elle témoigne des longues semaines qu'elle a passé isolée avec le virus SARS-CoV-2 via le bouton orange Alertez-nous.
Retour au mois de mars : le nouveau coronavirus qui s'est développé en Chine a fait son apparition en Europe. Si on ne parlait au début que d'un mal mystérieux à plus de 8.000 km en se demandant s'il fallait s'en inquiéter chez nous, cette fois il est bien présent. Il mobilise toutes les forces médicales du pays, du continent et bientôt du monde avec l'augmentation exponentielle du nombre de malades. Dévouée à son métier, Sandrine se dit "prête mentalement à partir au combat, apporter mon aide auprès de personnes malades".
Je partage ma vie avec Covid-19
Le verdict tombe
Le 27 mars, elle rejoint l'unité Covid des urgences mais pas en tant que membre du personnel soignant, comme elle l'aurait imaginé. Ce jour-là, elle est "seule, sur un brancard, en attendant un médecin". Le résultat du test n'est pas encore tombé mais la trentenaire ne se fait pas d'illusions au regard des symptômes qui s'accumulent : "Mon corps me fait signe que quelque chose ne va pas, trop faible et fatiguée". Finalement la confirmation arrive, le test est positif, la maladie n'arrive pas qu'aux autres. Elle se résigne, "je partage ma vie avec Covid-19", comme plus de 9.000 Belges à ce moment-là.
L'hôpital la renvoie chez elle, interdiction formelle d'avoir des contacts avec le monde extérieur. Elle entre en quarantaine pour au moins trois semaines et va devoir "gérer la maladie seule, accepter les nouveaux symptômes comme ils viennent". Depuis le 18 mars l'ensemble du pays est confiné mais souvent en famille, avec d'autres personnes débordant d'imagination pour occuper cette période particulière. Pour les personnes seules ou contaminées comme Sandrine, la réalité est plus dure. L'isolement allonge le temps et vide tout de son sens : "Manger ? Pourquoi ? J'avais perdu le goût et l'odorat… Dormir ? Je ne faisais que ça, je faisais même des malaises de fatigue, impossible de garder les yeux ouverts, je n'arrivais plus à répondre au téléphone… Toute activité était trop fatigante".
S'organiser pour rester soudés
Alors, ses proches essaient d'être là pour elle. "Le premier réflexe que j'ai eu, était de la rassurer. Je crois qu'il est d'abord important de dire que ce sont dans un premier temps des symptômes légers, qu'il faut rester suivi et se reposer", confie Cédric, son frère cadet. Pragmatique dans ces conditions de vie inédites, il pense rapidement à s'organiser pour venir en aide à sa sœur: "Je me suis dit, elle ne peut pas sortir de chez elle, elle doit continuer à manger forcément. Donc je lui ai proposé qu'elle m'envoie une liste de choses à acheter et je lui ai livré ses courses chez elle".
On préfère quand même une proximité physique que technologique
Heureusement, Cédric habite aussi en région bruxelloise. Il fait donc le trajet d'une trentaine de minutes qui le sépare de Sandrine pour lui apporter à manger, "ce n'est pas une heure aller-retour qui va m'arrêter étant données les circonstances, même si j'aurais pu me faire contrôler. J'imagine que la police se serait montrée conciliante et compréhensive au regard de la situation".
Sandrine se fait également livrer ses médicaments par son amie Caroline. Des visites pour assurer son approvisionnement : "Je me comparais à un animal dans une cage qu'on venait nourrir". Mais surtout des contacts, à distance tout de même, pour combler le vide que l'isolement laisse grandir : "Je jouais à Romeo et Juliette depuis mon balcon avec les personnes qui m'apportaient ce dont j'avais besoin". Un minimum qui ne vaut pas la vie d'avant. "Je sais que ma sœur connaît beaucoup de monde, que les gens auront pensé à elle. Mais on a beau organiser des apéros par Whatsapp, ce n'est pas la même chose que d'avoir la personne en vis-à-vis. On préfère quand même une proximité physique que technologique" confie Cédric.
Le bout du tunnel
Puis finalement, le jour du rétablissement semble arriver petit à petit. Les trois interminables semaines d'isolement arrivent enfin à leur terme. L'excitation de pouvoir reprendre le travail aide beaucoup Sandrine à se sentir mieux : "Après 3 semaines, vous sautez de joie à l'idée de retourner travailler".
C'est bien d'appuyer sur la pédale de gaz mais si votre moteur tourne à 12.000 tours, ce n'est peut-être pas très bon
Elle se retrouve enfin de l'autre côté de la blouse dans son rôle de soignante plutôt que soignée. Une journée de travail mais subitement tout s'écroule. "Impossible de formuler une phrase entière, l'essoufflement prend le dessus. Retour à la case départ…"
La rechute avec des symptômes plus puissants et l'ascenseur émotionnel brutal qu'elle vient de connaître après avoir entrevu la guérison sont un poids important sur les épaules de Sandrine. Elle ne comprend pas : "5 semaines d'angoisse, d'inquiétude où je me suis posée 1001 questions auxquelles je n'ai toujours pas eu droit à des réponses précises. La maladie est neuve, les médecins font de leur mieux pour me rassurer".
En effet même les médecins se retrouvent parfois déconcertés face à l'évolution de la maladie chez certains patients. "Ce virus est surprenant et on ne sait pas très bien ce qui serait bon et pas bon" pour le système immunitaire, avoue l'infectiologue Yves Van Laethem porte-parole interfédéral de la lutte contre le Covid-19. Il observe "chez certains patients, un emballement de l'immunité de manière incontrôlée. C'est probablement cela qui donne ces phases où après avoir été un peu mieux, le patient se retrouve tout à coup à suffoquer complètement et à se retrouver sous respirateur". Le spécialiste conclut par une image : "C'est bien d'appuyer sur la pédale de gaz mais si votre moteur tourne à 12.000 tours, ce n'est peut-être pas très bon".
Jamais vraiment préparés
Pourtant, Sandrine et ses proches savaient que cela pouvait arriver. Le fait qu'elle soit contaminée par le virus, pour Cédric, "ce n'était pas une grande surprise comme elle travaille en milieu hospitalier. D'autant plus qu'on entendait dans les médias que le personnel soignant était assez mal protégé". Toutefois quand cela arrive, les données du bilan quotidien de l'Institut de santé publique belge ne sont plus seulement des chiffres. Ils prennent une autre dimension, avoue Cédric : "Ça fait une sensation bizarre quand on sait qu'un proche est atteint et donc forcément on s'en sensibilise plus. On se disait que ça pouvait arriver sans vraiment pouvoir se dire qu'on est préparé".
De son côté, de nouveau à l'isolement, Sandrine a appris à se battre, "comme le font mes patients, savoir prendre exemple sur les autres pour s'en sortir" remarque-t-elle. Une longue période seule avec elle-même, comme une période d'introspection : "J'ai appris à accepter d'être malade, à m'écouter, à accepter que l'on m'apporte de l'aide. Pas facile d'accepter d'être dépendant des autres".
Comme des milliers de personnes dans le monde, elle a dû affronter une grande épreuve qu'elle "ne souhaite à personne". Le soutien de ses proches l'a aidée à la surmonter. Elle leur adresse désormais un message à son tour : "Si aujourd'hui je me retrouve petit à petit et que j'ai une chance incroyable d'être en vie et de pouvoir à nouveau travailler, c'est grâce à vous, chers famille, amis, collègues et voisins en or".
"La fête n'est pas annulée"
À ce jour, 8.415 personnes en Belgique et plus de 174.000 dans le monde sont décédées du Covid-19. Pour toutes ces personnes qui n'ont pas pu remporter la bataille et pour celles qui luttent encore, Sandrine veut faire passer son message à tout le monde : "Pensez à toutes ces personnes qui ont rejoint les étoiles sans être entourées. Estimez-vous heureux, vous qui êtes en bonne santé. Respectez ce qui est dit, respectez les règles qui vous sont imposées et respectez surtout les règles d'hygiène". Enfin, elle conclue son témoignage par un appel d'espoir : "la fête n'est pas annulée, elle est juste postposée, continuons à avancer avec force et courage, l'union fait la force!"
Sandrine a repris le chemin des Cliniques Saint-Luc pour retrouver ses patients qui s'élancent depuis peu dans la vie. Tous les soirs, elle garde une pensée pour "toutes ces personnes qui se battent ou qui sont parties trop tôt" en allumant ses bougies à 20 heures. Pendant que nous l'applaudissons elle et l'ensemble du personnel soignant.