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"On nous dit +démerdez-vous+": juchés sur leurs tracteurs, plus d'un millier d'agriculteurs ont défilé mercredi à Paris contre la "décroissance agricole" induite selon eux par l'interdiction de pesticides qu'ils jugent indispensables à leur activité.
Plus de 500 engins (620 selon le décompte du syndicat agricole majoritaire FNSEA à l'origine de la mobilisation), dont une arracheuse à betteraves sucrières, monstre de métal jaune, ont quitté leurs fermes franciliennes avant l'aube pour rallier dans la matinée le centre de Paris.
Les tracteurs ont couvert les 500 mètres de voie séparant l'hôtel des Invalides du pont Alexandre III, avant de quitter la capitale dans l'après-midi.
Sur l'esplanade des Invalides, les manifestants ont placé une puissante sono, un conteneur converti en tribune de fortune agrémentée de bottes de paille et de cageots de pommes. Ainsi que deux vaches qui ont goûté la pelouse.
"Qui peut penser qu'on peut faire une agriculture sans aucune chimie ?", a lancé depuis la tribune la présidente de la FNSEA, Christiane Lambert. Pour elle, la société s'est "bercée d'illusions" en voulant croire qu'il était possible de nourrir la planète en s'affranchissant des pesticides de synthèse.
"La décroissance agricole n'a pas sa place en Europe", a aussi martelé la présidente du syndicat agricole majoritaire.
Déclencheur de la mobilisation: la décision du gouvernement, le 23 janvier, de renoncer à délivrer une dérogation permettant de recourir aux insecticides néonicotinoïdes pour la culture de la betterave sucrière, conformément à une décision de la Cour de justice de l'Union européenne (UE) saluée par les ONG environnementales.
Sans ces molécules toxiques pour les abeilles, les betteraviers craignent des chutes de rendements à cause de la jaunisse transmise par des pucerons. Ils gagent que les industriels devront se fournir à l'étranger pour fabriquer du sucre, de l'alcool ou du bioéthanol, avec des betteraves cultivées sans les "contraintes" françaises et européennes.
Les responsables syndicaux ont été reçus dans la matinée par le ministre de l'Agriculture Marc Fesneau qui les a invités à revenir dès jeudi et a promis une "indemnisation totale" en cas de pertes liées la jaunisse, a rapporté à la tribune Franck Sander, qui préside la section de la FNSEA spécialisée dans les betteraves (CGB).
L'annonce a récolté de maigres applaudissements.
- "Pression environnementaliste" -
Même si c'est utile pour marquer les esprits, "ça me gonfle de venir en tracteur dans Paris", remarquait un peu plus tôt Mathieu Beaudoin, céréalier de 38 ans, à bord de son engin secoué par les pavés, avec la tour Eiffel en ligne de mire.
Devant les saluts des passants croisés en chemin, il estime que ces gens qui "sont contents de nous voir, nous disent en même temps qu'il faut laver plus que blanc" - en cultivant avec moins de pesticides - "alors qu'ils achètent des produits étrangers qui ne respectent pas nos normes".
"Les gens ne veulent pas payer plus, le bio se casse la figure", ajoute l'agriculteur de Seine-et-Marne.
Dans le même temps, "on nous met de plus en plus de contraintes sur le dos et on nous dit +Démerdez-vous+", déplore-t-il.
"On se sent persécutés", résume Grégoire Bouillant, céréalier de 40 ans, qui dénonce une "pression environnementaliste". "On essaie de baisser au maximum les traitements mais il faut protéger les plantes", soutient-il depuis la cabine de son tracteur.
Des responsables politiques sont venus témoigner de leur soutien, comme le président (LR) des Hauts-de-France Xavier Bertrand, la patronne des députés Renaissance Aurore Bergé et des élus Rassemblement national.
"Il n'est pas question de faire les mêmes conneries sur l'agriculture" que sur le nucléaire, a lancé Xavier Bertrand depuis la tribune, dans une allusion à la fermeture de la centrale de Fessenheim.
Des associations écologistes se sont élevées contre cette mobilisation.
"En manifestant pour le droit d'épandre des insecticides +tueurs d'abeilles+ pour le traitement des betteraves sucrières, une poignée d'agriculteurs cherche à retourner dans le passé et sacrifier l'avenir", affirme Agir pour l'environnement dans un communiqué.
Générations futures dénonce de son côté un "attachement rétrograde à ces insecticides hyper toxiques qui n'ont rien à faire dans une agriculture moderne un tant soit peu respectueuse de l'environnement" et appelle "le gouvernement à ne pas céder à la pression".