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Installée dans le fauteuil de son salon, Hazel Tindall manie ses aiguilles à tricoter avec vitesse et précision tandis que sur ses genoux, un vêtement coloré prend forme.
Chez les Tindall comme chez d'autres familles des îles des Shetland, archipel isolé dans le nord de l'Ecosse connu pour ses moutons, le tricot a été pendant des générations une source de revenus. Les habitants ont longtemps échangé leur laine contre de la farine ou du sucre apportés par les pêcheurs de passage.
Mais la découverte du pétrole au large dans les années 1970, la mécanisation et les importations bon marché ont poussé beaucoup d'habitants à se tourner vers des métiers plus lucratifs. Et aujourd'hui, Hazel Tindall, 70 ans, craint que sa passion ne disparaisse.
"Je pense que dans dix ans, il sera impossible de venir ici et d'acheter des choses tricotées main", affirme-t-elle à l'AFP dans sa maison située au nord de Lerwick, la principale ville des Shetland. "Vous trouverez peut-être des choses faites à la machine, mais à la main..."
Le tricot est une activité qui prend du temps, qui demande patience et préparation, explique Mme Tindall. "Le problème, c'est que les gens n'apprécient pas la valeur du temps et de l'effort qui est mis dans un vêtement tricoté à la main et ils ne sont pas prêts à payer le juste prix."
La septuagénaire s'est chronométrée pour savoir combien de temps il lui fallait pour tricoter un pull: 90 heures, sans compter la préparation. Du coup, cela rapporte "à peine plus que le salaire minimum."
- Durable -
Les groupes de tricot sont de moins en moins populaires auprès des jeunes habitants. Ils permettent pourtant de préserver des modèles et des techniques traditionnelles comme le jacquard, particulièrement complexe à réaliser.
Hazel Tindall tente tant bien que mal de préserver la tradition. Elle a appris le tricot à ses petits-enfants, organise des ateliers pour les locaux et les touristes et propose même des cours et des méthodes en ligne.
Il faut dire qu'elle profite de la petite notoriété que lui a accordé le titre de "tricoteuse la plus rapide du monde" lors d'une compétition aux Etats-Unis en 2008. Elle avait alors réalisé 255 points de couture en trois minutes.
La clé du succès? "La pratique, la pratique, la pratique."
"Je tricote depuis 65 ans", affirme-t-elle. "Peut-être même plus, qui sait, mais je ne me souviens pas. J'ai un vague souvenir de quand j'ai appris à lire, mais pas de quand j'ai appris à tricoter."
Pour elle, fabriquer des vêtements à la main avec des matières durables comme la laine est plus important que jamais, notamment pour des questions environnementales. Elle porte des pulls qu'elle a tricotés il y a parfois plus de 40 ans.
"La laine des Shetland (...) est tellement douce, résistante et légère" tout en étant "vraiment vraiment chaude".
- Dentelle -
Pour éviter que la tradition ne se perde, le Shetland Textile Museum propose des ateliers de couture tandis qu'un autre musée local expose une collection de tricot pour faire découvrir les techniques traditionnelles.
Carol Christiansen, conservatrice de ce dernier, craint que le savoir-faire autour de la dentelle ne se perde.
"C'est une forme de tricot et de filage très spécialisée", explique-t-elle à l'AFP. "Cela représente encore une part importante de la tradition des Shetland."
Pour Hazel Tindall, préserver l'art du tricot va bien au-delà de simples techniques à sauver. "Le tricot représente tout pour moi".
Depuis son fauteuil, elle lève les yeux pour vérifier son livre de patrons. Quelques secondes plus tard, le réconfortant cliquetis des aiguilles reprend. Hazel Tindall a un jacquard à terminer.