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Simplifier les procédures et augmenter les budgets : Eric Dupond-Moretti a dévoilé jeudi une soixantaine de mesures pour améliorer le fonctionnement de la justice et répondre aux attentes formulées pendant les huit mois de consultations des Etats généraux, lancés fin 2021.
"Que nous ont dit nos concitoyens ? Que la justice était trop lente, qu'elle était trop complexe", a affirmé le garde des Sceaux lors d'une conférence de presse à Paris, en présentant un "plan d'actions" qui ambitionne de "diviser par deux" les délais de traitement au civil et de réécrire la procédure pénale.
Le ministre était attendu au tournant : un an après une tribune inédite signée par des milliers de magistrats pour crier leur "souffrance", des juridictions continuent de tirer la sonnette d'alarme tandis que la surpopulation carcérale bat des records.
Face à cette crise latente, le ministre a dit partager le constat d'une justice victime "de plus de trente ans d’abandon" et a promis d'allouer à son plan les fonds nécessaires. "C’est sans doute la première fois qu’une réforme de la justice s’accompagne de moyens à la hauteur des enjeux", a-t-il assuré.
M. Dupond-Moretti déposera ainsi au printemps un projet de loi de programmation pour "sanctuariser" les promesses d'embauche de 10.000 fonctionnaires de justice d'ici à 2027 -dont 1.500 magistrats- et atténuer le "sous-formatage chronique des effectifs" relevé dans le rapport de synthèse des Etats généraux.
"Nous avons fait beaucoup, mais il reste beaucoup à faire", a estimé le ministre, en promettant de porter le budget de la justice à "près de 11 milliards d'euros" en 2027 contre 9,6 milliards actuellement.
- "Changement de logiciel" -
Sur le fond, Eric Dupond-Moretti appelle à un "véritable changement de logiciel pour la justice civile", qui représente 60% de l'activité judiciaire (divorces, litiges entre particuliers...) mais connaît, selon le rapport des Etats généraux, un "lent déclassement".
Pour réduire le délai de traitement des dossiers, actuellement de deux ans, le ministre veut notamment introduire des mécanismes permettant, selon lui, de développer "une culture" du règlement à l'amiable.
Evoquant un "défi sans précédent", le ministre a également lancé le chantier titanesque de refonte d'un code de procédure pénale devenu, selon les Etats généraux, "excessivement complexe (et) illisible".
Confiée à un "comité scientifique", cette refonte se fera en grande partie à "droit constant" et "sans remettre à plat les grands principes", a assuré le ministre, mais elle concernera bien le sujet inflammable du cadre régissant les enquêtes judiciaires.
Eric Dupond-Moretti a ainsi promis de mettre en oeuvre la "simplification des cadres d'enquête tant voulue par les enquêteurs" sans donner plus de précisions.
A plus court terme, il a également annoncé une modification du régime des perquisitions de nuit, qui seront désormais autorisées en matière criminelle de droit commun. Cette disposition a suscité "l'inquiétude" de l'Ordre des avocats de Paris, attentif aux "menaces" que les mesures de simplification pourraient faire peser sur "l'exercice des droits de la défense".
Le président du Conseil national des barreaux a lui salué "un plan d'investissement inédit". "Dans les réformes de la justice, le diable est dans les détails", a toutefois ajouté Jérôme Gavaudan, qui a participé à la rédaction du rapport des Etats généraux.
S'agissant de la surpopulation carcérale record, Eric Dupond-Moretti a préféré mettre en avant les réformes existantes, le plan de construction de 15.000 places de prison et ses mesures tendant à éviter la récidive.
"Je vais vous faire une confidence : j'adorerais avoir une baguette magique, j'adorerais aller plus vite", a-t-il affirmé, invitant à "mesurer ce qui a été fait".
Les syndicats de magistrats, en froid avec le ministre, ont réagi avec prudence.
Saluant un discours "apaisé", l'Union syndicale des magistrats (USM) s'est félicitée que certaines de ses propositions aient été retenues mais reste attentiste. "Il faudra voir comment ce sera rédigé et avec quels moyens", a déclaré son président Ludovic Friat.
Présidente du Syndicat de la magistrature, Kim Reuflet a reconnu le déblocage de "moyens considérables" mais déploré une "réforme plutôt gestionnaire" qui, s'agissant de la surpopulation carcérale, recycle des "mesures qui ne marchent pas".