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En France, la montée en puissance d'un pôle dédié aux "cold cases"

Expertises innovantes et enquêteurs opiniâtres: depuis un an, la France s'est attaquée aux affaires criminelles non élucidées en mettant sur pied un pôle national dédié aux "cold cases", qui traite déjà des dizaines de dossiers et redonne de l'espoir aux familles de victimes.

Cette division inédite, installée depuis le 1er mars 2022 au tribunal judiciaire de Nanterre, en banlieue parisienne, se penche sur des affaires parfois vieilles d'un demi-siècle qui ont résisté aux enquêteurs à travers le pays.

Elle a pour ambition de contribuer à la constitution d'une mémoire criminelle nationale mais aussi de "favoriser les rapprochements entre des faits criminels commis dans plusieurs pays européens", a expliqué le pôle à l'AFP.

Au cours de l'année écoulée, cette division a analysé plus de 200 dossiers afin de déterminer si elle pouvait leur apporter une "plus-value". Ont été retenus des crimes sériels, des enquêtes exigeant un haut niveau de technicité, des affaires aux enjeux internationaux...

Les 90 tomes de l'instruction sur la tuerie de Chevaline, quadruple meurtre au retentissement international ayant eu lieu en 2012 dans les Alpes, lui ont ainsi été transmis.

Neuf enquêtes du pôle ont la particularité de s'appuyer sur le "parcours criminel", un nouveau cadre procédural lancé fin 2021: le magistrat enquête non pas sur des faits précis mais retrace le parcours de personnes condamnées par le passé, en cherchant d'autres victimes potentielles.

- Demandes des familles -

Parmi les neuf hommes visés par ces enquêtes figurent Patrice Alègre, condamné pour le viol de six femmes et le meurtre de cinq d'entre elles, et Pascal Lafolie, confondu en 2021 par son ADN pour un meurtre commis vingt-sept ans plus tôt.

Au total, sur 222 enquêtes examinées par le pôle, 77 procédures ont été ouvertes. Dix-neuf avaient cessé de faire l'objet d'investigations et Nanterre les a relancées.

Lors d'une conférence de presse au tribunal mercredi, plusieurs associations de victimes ont dressé une liste de demandes.

Elles veulent, entre autres, l'interdiction de détruire des scellés de cold cases, davantage d'enquêteurs dévolus à ces affaires, l'obligation pour les procureurs de chaque ressort de tenir un registre de disparus ou encore la mise en place d'un site internet pour recueillir des renseignements sur les disparitions d'enfants.

Toutes ont salué "l'humanité" du pôle, en particulier de sa coordinatrice, la juge d'instruction Sabine Kheris. "En un an, j'ai plus de fois rencontré Mme Kheris qu'en trente-cinq ans de procédure", a témoigné Férouze Bendouiou, dont la petite sœur, Charazed, a disparu en 1987 en Isère (sud-est).

Début février, Sabine Kheris a terminé ses investigations dans trois dossiers liés au tueur en série Michel Fourniret, décédé en 2021, et à son ex-épouse Monique Olivier, inculpée pour complicité.

Cela ouvre la voie au premier procès de la division "cold cases" si la juge Kheris décide, au terme de la procédure, de renvoyer Mme Olivier devant une cour d'assises.

- Le "tout petit détail" -

Pour maintenir "un niveau raisonnable" d'enquêtes à mener, le président du tribunal Benjamin Deparis et le procureur Pascal Prache ont prévenu que "le pôle ne pourra absorber plus d'une centaine de dossiers, en l'état des moyens alloués". "Ce niveau sera atteint très prochainement".

Le pôle se distingue par ses méthodes de travail. La juge Kheris écume les laboratoires en quête d'expertises innovantes.

"Un tout petit détail va permettre de trouver l'auteur d'un crime", expliquait-elle lors d'un colloque en novembre. Et quand ce "tout petit détail" est révélé par une "expertise scientifique bien faite et bien expliquée", "la pièce est relativement incontestable lors d'un procès", assure la magistrate, connue pour avoir obtenu des aveux de Michel Fourniret.

Sabine Kheris a notamment visité le laboratoire d'hématologie médico-légale de Bordeaux (sud-ouest), qui s'est taillé une réputation dans l'analyse de scellés anciens issus d'affaires non résolues.

Il utilise par exemple la méthode de microdissection laser, qui a permis, entre autres, de remonter jusqu'au meurtrier de Christelle Blétry, l'une des "disparues de l'A6", violée et assassinée en 1996. Grâce à cette technique, Pascal Jardin a été confondu par une trace de sperme retrouvée sur un pantalon.

La "transversalité" est au cœur des stratégies d'enquête: expertises ADN, approche comportementaliste du passage à l'acte, élaboration de cartes mentales... Le pôle développe aussi "le partage d'expertises juridiques et scientifiques" avec d'autres pays, comme les Pays-Bas et les Etats-Unis.

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