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Journaliste, Taha Siddiqui a été obligé de fuir le Pakistan après s'être attiré les foudres de l'armée avec ses écrits. Plus de cinq ans après, il revient en bande dessinée sur son parcours et la tentative d'enlèvement à laquelle il a échappé.
Sa thérapeute lui conseillait de ne pas ressasser les événements pour dépasser le traumatisme. "C'est clair que je ne l'ai pas du tout écoutée", raconte à l'AFP celui qui est désormais patron d'un bar à Paris, le Dissident Club, où il accueille les réfugiés comme lui.
"Dissident Club" est aussi le titre de son autobiographie en BD, à paraître mercredi aux éditions Glénat, cosignée avec Hubert Maury, un ancien diplomate français en poste au Pakistan.
Le récit s'ouvre en janvier 2018, au moment où des hommes habillés en blanc l'extraient d'un taxi "en plein jour" pour le jeter dans une autre voiture. Ce qui l'attend peut-être, pense-t-il: la séquestration, la torture, la mort.
Deux coups de chance ont sauvé Taha Siddiqui. Il convainc l'homme qui lui serre le cou de lâcher, en promettant de bien se tenir, et remarque que la portière à sa droite n'est pas verrouillée.
Il l'ouvre, se met à courir sur une route embouteillée, échappe aux balles, et réussit à alerter ses amis dans les médias pour organiser rapidement une conférence de presse à propos de l'agression.
- Athée convaincu -
Ce n'est qu'après son arrivée à Paris qu'il découvre qu'il est sur la liste de personnes à éliminer de l'armée pakistanaise, et qu'il ne pourra jamais remettre les pieds dans son pays.
Le roman graphique va bien au-delà de cet incident et du parcours de l'auteur, pour expliquer l'extension de l'extrémisme religieux et des conflits dans la région, à travers l'histoire de son éducation rigoriste en Arabie saoudite et au Pakistan.
"J'ai choisi de dire mon histoire en bande dessinée parce que je ne pouvais pas en avoir dans ma jeunesse", dit cet exilé. "Ça va certainement emmerder mon père. J'espère qu'il ne la verra pas".
Pas qu'ils soient en bons termes. La réaction de ce père à la tentative d'enlèvement a été qu'il s'agissait d'une punition divine, pour ne pas avoir suffisamment prié.
Une histoire vue et revue, à la Roméo et Juliette, a fait s'effondrer la foi musulmane de Taha Siddiqui, quand sa famille s'est opposée à son mariage avec une chiite qu'il avait rencontrée étudiant. Au Pakistan, le schisme entre sunnites et chiites est une ligne de faille délicate, sinon impossible à franchir.
"Ça a vraiment provoqué quelque chose en moi pour me dire qu'il y avait un problème avec notre façon de vivre", explique-t-il, lui qui est devenu un athée convaincu.
- Pays "dysfonctionnel" -
L'enlèvement manqué met fin à une carrière bien remplie de journaliste. Taha Siddiqui a collaboré avec de nombreux médias étrangers, et remporté le prix Albert Londres pour une enquête sur l'interdiction du vaccin contre la polio par les talibans.
Sa critique incessante d'une armée pakistanaise toute-puissante fait de lui une cible, en particulier après un article en une du New York Times sur ses prisons secrètes.
Son parcours "est un peu dingue", selon Hubert Maury, le dessinateur. Mais "c'est ce qui est intéressant en fait: si ce n'était pas dingue, on n'aurait pas fait le livre. Il a pris énormément de risques".
"Je trouve ça assez impressionnant et remarquable. C'est son pays, donc il risquait pas juste la mort, mais aussi l'exil et de se couper de sa famille", ajoute-t-il.
Le Pakistanais confie n'avoir aucun regret: "J'ai choisi cette vie mais je n'ai pas choisi la réaction (des militaires). C'est leur faute, pas la mienne".
"Parfois je suis triste. Je croyais vraiment en ce pays à une époque dans ma vie, mais maintenant de moins en moins. Le Pakistan est un pays très dysfonctionnel", affirme-t-il.