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Jusqu'où la peur de la "décadence" et de l'immigration a-t-elle conduit le chef des Barjols ? A la barre jeudi, Denis Collinet assure avoir souhaité un "putsch pacifique" et récuse tout projet d'action violente contre le chef de l’État ou les migrants.
Ses déclarations tranchent avec celles de ses 12 coprévenus dans ce procès pour association de malfaiteurs terroriste: ce retraité de 63 ans est le premier à reconnaître, à la barre, des "convictions d'extrême droite" et à ériger "l'invasion migratoire" comme une "cause de la décadence" supposée du pays.
En dépit de ses craintes d'être "jugé pour ses opinions politiques", sa présence devant le tribunal correctionnel est, en réalité, liée à différentes actions violentes qu'il aurait fomentées avec d'autres membres des Barjols, dont le projet d'assassinat d'Emmanuel Macron fin 2018.
Quand il crée ce groupe Facebook en 2017 avec un ex-légionnaire, ce père de deux enfants vit très mal le mandat d'Emmanuel Macron à l’Élysée -"Il venait du secteur bancaire, c'est pas ma tasse de thé"- et croit découvrir sur les réseaux sociaux que "beaucoup de personnes pensaient comme (lui), sur l’immigration et la sécurité".
C'est aussi à cette époque que sa compagne met fin à ses jours, ravivant le traumatisme de sa propre tentative de suicide dix ans auparavant, qui l'avait brièvement conduit en hôpital psychiatrique.
Ses proches qui assistent à la montée de son engagement politique s'inquiètent. "C'était une autre personne", dira son frère.
A la tête des Barjols, qui réunira entre 4.000 et 5.000 membres sur Facebook, M. Collinet veut structurer son organisation et désigner des référents départementaux. Plusieurs réunions aux accents paramilitaires se tiennent en 2017 et 2018.
"C'était pour qu'il y ait du poids dans les manifestations, redonner sa voix au peuple", certifie ce sexagénaire qui sera également très actif au sein du mouvement des gilets jaunes.
- "Simili-Rwanda" -
Au cours de leurs investigations, les enquêteurs vont toutefois réunir des éléments attestant d'une recherche d'armes par des membres des Barjols et de projets plus ou moins aboutis de s'en prendre au chef de l’État.
C'est par crainte d'un passage à l'acte imminent qu'un premier coup de filet sera mené en Moselle le 6 novembre 2018. M. Collinet, qui admet avoir alors entendu parler "d'un gros coup" en préparation, sera interpellé un an et demi plus tard, en mars 2020.
A son domicile sont notamment retrouvés des documents sur la fabrication d'explosifs. Le président du tribunal veut en savoir plus: que comptait-il en faire ?
"C'était pour me protéger", avance M. Collinet, évoquant confusément sa peur de voir survenir en France un "simili-Rwanda". "Je ne sais pas ce qui peut m'arriver, tout peut arriver maintenant".
Le président n'est pas convaincu: ces explosifs n'étaient-ils pas davantage destinés à s'attaquer à des mosquées ou à des camps de migrants, comme le pensent les enquêteurs ?
"Il n'y avait pas de projets de faire sauter des camps des migrants parce que ça aurait créé une guerre civile. Tout ça c'est du bla-bla", se récrie M. Collinet, qui tente de convaincre que son projet visait à renverser les institutions sans violence.
"Je voulais faire un putsch pacifique et enrôler la garde républicaine", précise-t-il. "Comme ça, c'est vrai que ça paraît impossible mais j'y croyais", ajoute-t-il sans convaincre le président du tribunal qui rappelle les appels à l'insurrection armée relevés chez certains membres des Barjols.
Le président lui rappelle aussi un de ses messages captés par le enquêteurs: "On n'aura qu'une seule chance. Il faut que les gens apprennent à tirer". "Là aussi c'est un putsch pacifique?", demande-t-il.
En difficulté, M. Collinet, qui encourt jusqu'à dix ans d'emprisonnement, cherche surtout à mettre toute cette période derrière lui.
"Je suis résigné aujourd’hui", dit-il. "C’est parti en couilles les Barjols comme les gilets jaunes. C’est pas ce que j'attendais".
Sa vision apocalyptique de la France, elle, n'a pas disparu. "Je pense que tout ça va finir par le chaos, il y aura quelque chose, et ça c’est pas du complotisme", assure-t-il.
Fin des débats le 3 février.