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Guerre à Gaza: quels sont les critères pour parler de génocide?

L’experte indépendante de l’ONU, Francesca Albanese, a présenté ce mardi en Suisse, son nouveau rapport intitulé "Anatomie d'un génocide". Elle y conclut qu’Israël commet des actes de "génocide" dans la bande de Gaza, évoquant des "preuves irréfutables d’une incitation explicite et publique à commettre un génocide". Quand peut-on qualifier des crimes de génocide ? Nous avons posé cette question et d’autres à Olivier Corten, professeur de droit international à l’Université libre de Bruxelles.

Quand peut-on parler de génocide? Quelles sont les conditions énoncées par la communauté internationale? 

Les Nations Unies ont, dès 1948, défini le génocide. Cela a été repris dans les statuts de la Cour pénale internationale. Et donc il y a des critères très stricts (matériels et psychologiques) à rencontrer pour qu'on puisse conclure à l'existence d'un génocide. 

Les éléments matériels sont assez variés. Ce sont les meurtres, l'atteinte à l'intégrité physique ou aussi le fait de soumettre un groupe à des conditions telles que sa disparition va en résulter. Donc ils sont assez variés. Le critère psychologique, c'est là où c'est le plus exigeant. Il faut démontrer une intention de détruire un groupe ethnique ou religieux comme tel.

Ici, tous les termes sont importants. Il faut que le groupe visé soit un groupe ethnique ou religieux et il faut que le but soit de l’exterminer, de le faire disparaître comme tel, c'est à dire en tant que groupe ethnique ou religieux. Si c'est un autre but qui est poursuivi, alors à ce moment-là, il n'y a pas nécessairement de génocide. Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas de crime, alors c'est plutôt un crime contre l'humanité. Mais, ce n'est pas un crime de génocide.

Comment distinguer les crimes de guerre des crimes de génocide ?

Les crimes de guerre, c'est beaucoup plus large. Le crime de guerre, c'est un non-respect des lois de la guerre. Si, par exemple, il y a un soldat qui tire sur un civil volontairement, intentionnellement, ou encore s'il y a une attaque qui est menée contre un objectif militaire. Si elle est tellement massive qu'il y a beaucoup de civils qui sont victimes et qu'il n’y a visiblement pas de proportionnalité, ça c'est un crime de guerre, ça n'exige pas qu'on vise les civils en tant que tels ou qu'on vise un groupe religieux ou ethnique.

Le génocide, justement, c'est cette dernière hypothèse. C'est non seulement un crime de guerre parce que, en tout cas, si c'est commis en temps de guerre, évidemment, c'est une violation des lois de la guerre. Mais c'est plus que ça, c'est le fait de vouloir détruire un groupe ethnique en tant que groupe.

Est-ce qu’on peut parler de génocide pour qualifier la guerre à Gaza ?

C’est difficile de répondre à cette question sans examiner vraiment chaque fait et voir aussi de qui on parle quand il y a un génocide. Donc il faut examiner les faits. Ce que disent les observateurs qui sont sur place, c'est que tout indique qu'il y a quand même des risques de génocide, voire qu'il y a déjà un génocide parce qu'il y a des actes.

Effectivement, il y a cette destruction, ces victimes très très nombreuses et on continue pourtant, du côté d'Israël en particulier, à mener des attaques en sachant très bien que ça va faire disparaître les Gazaouis. Finalement, ça ce sont les actes matériels. Et puis il y a beaucoup de déclarations aussi quand même très dures, qui ont été prononcées par des hauts officiels israéliens assimilant les Gazaouis à des animaux, considérant, pour certains, qu'on pouvait lancer une bombe nucléaire. Donc il y a quand même des déclarations très très dures et ça c'est très rare quand même dans l'actualité internationale. C'est pour cela que beaucoup estiment qu'il y a en effet un génocide. 

Il faut aussi préciser qu'il y a des obligations pour les États, aussi de prévenir les actes de génocide. Donc, même si l'Etat, ici Israël, on dirait qu'il n'est pas directement responsable d'un génocide, on pourrait, et c'est cela aussi qui est dit, c'est qu'Israël ne prend pas des mesures pour essayer d'éviter que des génocides soient commis. Donc c'est quand même tous ces éléments-là qui font dire qu'il y a un très très grave problème par rapport à la Convention sur la prévention et la répression du crime de génocide.

Ce rapport de l’experte des Nations Unies qui dénonce des actes de génocide peut-il avoir un impact sur le terrain?

Je crois que les qualifications juridiques sont importantes parce que, ce n’est quand même pas rien de dire qu'il y a un génocide ou des risques graves de génocide. On voit bien que les choses ont changé depuis le mois de décembre où c'est le cas. Mais tant qu'on ne franchit pas le palier des sanctions, ça ne va probablement pas changer les choses. On voit bien sur le terrain, même le Conseil de sécurité qui exige un cessez-le-feu immédiat, et il n'y a pas de cessez-le-feu. Donc sans sanction, je ne crois pas que tous ces actes juridiques puissent avoir un effet. 

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