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Alessandra et Laurent témoignent de la perte de leur enfant mort-né: "Les gens autour de nous n'en parlent pas"

Alessandra et Laurent ont perdu leur enfant, mort-né en juillet 2023. Ce couple de Walcourt témoigne sur les difficultés rencontrées après la perte de ce bébé. "Le deuil périnatal reste un sujet tabou", nous disent-ils. Quelles aides sont disponibles pour accompagner au mieux les parents dans cette épreuve ? Comment surmonter la perte d'un enfant ? Voici des dispositifs de soutien qui existent en Belgique.

Depuis la perte de leur enfant mort-né, Alessandra et Laurent ont traversé un parcours émotionnel complexe. Pour le couple de Walcourt, cette épreuve les a entraînés sur le chemin du deuil périnatal (on appelle deuil périnatal le deuil qui survient après le décès d’un bébé in utero, à la naissance, dans les jours ou les semaines après sa naissance). Aujourd'hui, les trentenaires racontent ce qu'ils ont ressenti pour que ce sujet devienne moins tabou dans notre société.

"J’ai porté ma fille Eleana pendant 8 mois, son corps était formé. Je pouvais accoucher", témoigne Alessandra. 

"Le jour où ma compagne a accouché, c’était un vendredi vers 12 h. Pendant 3 heures, il y a eu les infirmiers, les médecins, le service social... On a eu beaucoup de visites, et beaucoup de questions. On nous demandait ce qu’on ressentait, mais on ne savait pas quoi répondre. Cela venait juste de se passer. On ne s’était pas encore fait à l’idée", se souvient Laurent. 

L'inhumation, des démarches administratives "pesantes", un sentiment de vide... Alessandra parle de son vécu.

"Le deuil est lourd. Ce qui est choquant, c’est qu’on a enterré nous-mêmes notre enfant. Le lendemain, on a dû le transporter de l’hôpital jusqu’au cimetière nous-mêmes. Il n’y a pas de suivi vis-à-vis de cela", confie-t-elle. "Je cherche tout le temps mon enfant. Pour moi, elle est encore là. Je me pose des questions et je me demande si j’ai fait quelque chose, et si j’aurais pu directement faire quelque chose. Il n’y a pas eu d’alerte. Je ne vais pas m'en remettre, c'est certain. Et avec les problèmes administratifs rencontrés notamment avec la mutuelle, on revit à chaque fois la situation car on doit réexpliquer." 

Alessandra estime par ailleurs que le deuil périnatal reste un sujet tabou : "Avec mon compagnon, on en parle. Mais on remarque que les personnes extérieures n’osent pas en parler. Je pense qu’ils ont peut-être peur."

Je me suis sentie terriblement seule

Dans le Brabant wallon à Céroux-Mousty (Ottignies), des parents également touchés par la perte d'un enfant ont créé l'ASBL "Parents Désenfantés" en 1997. Conscients de l’importance de disposer d'un lieu de parole et de soutien, ils se proposent bénévolement pour écouter des parents endeuillés. 

Animatrice dans cette ASBL depuis 9 ans, Marie a intégré cette association à la suite du décès de son enfant, Gatien. Une situation similaire à celle vécue par Alessandra et Laurent.

"Je me suis sentie terriblement seule. C’était très difficile pour le papa d’en parler, et pour mon entourage aussi manifestement. J’ai consulté une psychologue, mais j’avoue avoir été en colère de devoir payer pour être écoutée, alors que j’attendais ça de mon entourage. Étant psychothérapeute, je pensais en connaître beaucoup sur le deuil, et je me disais que mon bagage allait m’aider à aller de l’avant. Mais pas du tout. Cela se passe au niveau de ses émotions et de ses tripes", témoigne-t-elle.

Un an après la perte de son enfant, Marie a décidé de rencontrer d'autres parents. 

"Je connaissais l’existence de Parents Désenfantés et un jour, j’ai franchi le pas en me disant que j’allais rencontrer d’autres personnes qui comprendraient mon sentiment. Cela a été impressionnant pour moi. La première fois que j’ai poussé la porte et que j’ai vu toutes ces personnes, cela a été une sorte de claque, de prendre conscience que je n’étais pas toute seule. On est beaucoup à avoir vécu cette difficulté. Cela a été un moment fort. Je pensais qu’au bout d’une année de deuil, j’irais mieux, mais c’était pire."

Marie s'exprime également sur la gestion des démarches administratives dans une situation de deuil.

"C’est très particulier d’être occupée avec du matériel, de l’administratif, alors que ce qu’on voudrait, c’est s’asseoir et pleurer. On voudrait aborder ce qui est important pour nous, tout l’aspect émotionnel et pas l’administratif. Dans les jours et les semaines qui suivent, on est encore vraiment sous le choc. Notre garçon a vécu quelques heures, et on a reçu un courrier de l’administration fiscale. Nous étions censés envoyer un courrier avec le détail de tout ce dont on avait hérité..."

Il y a toujours un tabou car ça fait peur

Comment se faire aider ? Les groupes de parents proposés par des associations font partie des sources de soutien, comme l'explique l'animatrice.

"Dans les groupes, on mélange des parents qui viennent d’arriver et d’autres qui sont là depuis plus longtemps. C’est quelque chose qui rassure de voir des parents qui ont pu se remettre debout avec cette absence. On va être une aide pour d’autres parents", dit Marie.

Elle poursuit : "Je pense qu’il y a plus de gens qui sont attentifs au fait qu’on puisse être en deuil. Ces groupes sont super importants. Aller voir des personnes formées, c’est super important pour qu’elles nous aident à comprendre ce qu’on ressent. Mais on a aussi besoin que la société nous accepte comme on est. Il y a toujours un tabou car ça fait peur. Les gens n’osent pas en parler. Ils n'ont pas envie d’entendre que les enfants peuvent mourir. Et que ça arrive parfois soudainement. Il faudrait que ça soit beaucoup moins tabou, car on a terriblement besoin de donner une vie à notre enfant, qu’il ait de la place et que les gens s’en souviennent. On a besoin de créer une vie pour cet enfant. Quand il y a un tabou, c’est quelque chose qu’on n’arrive pas à faire. Si les personnes autour de nous pouvaient en parler, ça aiderait à le faire. Cela ne doit pas être un grand discours, ça peut être juste une photo, une main sur l’épaule, une carte pour l’anniversaire..."

Comment les parents vont faire sa connaissance, l’accueillir et puis lui dire adieu ?

Bruno Fohn, psychologue dans le groupe d’aide au deuil périnatal du CHR de la Citadelle de Liège, aborde la blessure de perdre un enfant mort-né et la manière dont les parents peuvent être aidés à l'hôpital et en dehors. 

"La première étape est l’annonce du diagnostic. Souvent, il tombe de manière surprenante et inattendue. C’est un des diagnostics violents, même s’il est bien amené, même s’il est travaillé. C’est une nouvelle extrêmement douloureuse. C’est une nouvelle qui a des conséquences. Cela peut durer un certain temps", souligne le psychologue.

Un important accompagnement a lieu dans les maternités.  

"Comment les parents vont faire sa connaissance, l’accueillir et puis lui dire adieu ? C'est un travail d’accompagnement qui prend quelques heures, quelques jours selon la situation, pour que les parents puissent entrer dans l’idée qu’ils vont vivre quelque chose avec cet enfant, et qu’ils vont vivre un moment fondateur, plutôt que juste quelque chose d’horrible", explique Bruno Fohn.

"Approcher ce bébé amène souvent une réaction de peur de la part des parents. Ils se demandent comment être en contact avec un bébé qui est décédé. Il y a différentes modalités qui existent : pouvoir le voir, le rencontrer, pouvoir l’habiller, le laver… Le personnel soignant accompagne les parents dans les gestes qu’ils souhaitent faire pour pouvoir construire des souvenirs avec leur enfant, plutôt que des regrets ou des remords après coup. Notre logique est de faire une série de propositions, de photos, de supports, de souvenirs, pour que les parents puissent garder une trace concrète du passage de ce bébé. C’est ce qu’il se passe durant le temps de l’hospitalisation."

Osez parler de ce sujet

Bruno Fohn souligne que le suivi et l'aide apportés à ces parents ont évolué en l'espace de 30 ans.

"Avant, on pensait que moins on en faisait, moins on en parlait, mieux c’était. La situation s’est complètement transformée. Dans tous les hôpitaux, il y a du soutien, des structures qui existent. Cela peut être amélioré, car ce sont des situations qui méritent de l’attention, qui nécessitent du temps. (...) C’est un choc effroyable. C’est probablement une des situations les plus compliquées, douloureuses à vivre en tant que parent. C’est une expérience humaine extrêmement lourde. On sait que le soutien de la famille et du personnel de l’hôpital est important." 

L'entourage a tendance à vouloir protéger les parents endeuillés, ce qui n'est pas "le bon plan", souligne Bruno Fohn.

"Dans chaque situation, il y a une réaction de protection de la part de l’entourage, qui va essayer que la personne quitte le plus vite possible la tristesse ou la peine. Alors qu’on s’est rendu compte que ce n’est pas le bon plan. Beaucoup de parents vont dire que ça leur fait du bien d’en parler, que cet enfant existe. Beaucoup vont être très touchés si ce petit enfant compte dans le nombre de petits-enfants de la famille. Au contraire, quand il ne compte pas, ils vont être marqués avec le sentiment que cet enfant n’est pas reconnu, que leur peine n’est pas reconnue. Je pourrais dire comme message fondamental : 'Osez parler, osez poser ces questions-là, parler de ce sujet'. La place de ce bébé, son existence avec les parents, cela va souvent être plus soulageant qu’impactant", conclut-il.

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