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"Trop facile de s'en procurer": à 12 ans, la petite-fille de Maryse fume des Puffs, faut-il les interdire comme en France?

Les cigarettes électroniques jetables, aussi appelées "Puffs", connaissent un succès grandissant auprès des plus jeunes. Ces vapoteuses aux goûts sucrés, allant de la fraise au chocolat, ont également un packaging coloré très attractif. Les "Puffs" sont pourtant très addictives et dangereuses pour les adolescents. Alors pour enrayer le phénomène, la Belgique prévoit de les interdire d'ici fin 2025. Explications.

"Ça m’inquiète beaucoup". Maryse (nom d'emprunt car souhaite garder l'anonymat), habitante de Waremme, a surpris sa petite-fille de 12 ans avec des e-cigarettes jetables, aussi appelées "Puffs". "Je suis interpellée par le fait que des jeunes de 11 à 12 ans aient accès à des vapoteuses! Peu de contrôles d'identité existent", pointe-t-elle via le bouton orange Alertez-nous.

Depuis leur apparition en Belgique au mois de décembre 2021, les cigarettes électroniques jetables, colorées et aux goûts sucrés (fraise, chocolat, marshmallow, ou encore crème glacée par exemple), connaissent un succès grandissant, surtout chez les plus jeunes. D'après une récente étude, 24% des Belges entre 11 et 24 ans en consomment régulièrement. En cause notamment, le prix très attractif de ces produits: entre 5 et 12 euros. 

Toujours selon cette étude, les jeunes Belges se sont montrés avant tout séduits par les goûts proposés, et le "côté ludique" de la Puff, mais aussi par sa visibilité sur les réseaux sociaux. 

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Trop peu de contrôles en Belgique: plus de 70% des commerçants ne vérifient pas l'âge 

Pour Maryse, qui est très inquiète pour sa petite-fille, il est trop facile pour les jeunes d'en acheter: "On en trouve en accès libre dans les stations essence mais aussi sur des sites comme Amazon, c'est beaucoup trop facile de s’en procurer!". Elle estime également que le marketing vise principalement les adolescents: "Les cigarettiers ont trouvé une formule différente pour attirer un certain public, parce que les vapoteuses, ce sont surtout les jeunes...". 

C'est après avoir trouvé des puffs dans la chambre de sa petite-fille, que Maryse décide de mener l'enquête: "J’ai découvert que ça venait de la station essence, où c'est presque en libre-service. Elle a des vapoteuses alors qu’elle n’a que 12 ans, je trouve ça interpellant! Si on commence à vapoter à 12 ans, après ce sera la cigarette, puis autre chose, et ce sera une chaîne sans fin… Les jeunes sont forts addicts à ça. Ça devient une accoutumance!", déplore-t-elle. 

Dans notre pays, il est pourtant interdit de vendre des cigarettes électroniques, qu'elles soient jetables ou non, aux jeunes de moins de 18 ans, puisqu'elles sont considérées comme des produits de tabac, et donc comme addictives. D'autant que les Puffs peuvent aussi contenir de la nicotine, jusqu'à 20 mg. 

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Mais, malgré l'interdiction de vente aux mineurs, plus de 70% des commerçants belges ne vérifient pas l'âge de la personne avant de vendre des produits de tabac, d'après les chiffres du SPF Santé Publique qui a mené une vaste campagne de contrôles cet été. D'après leur étude, le plus grand nombre d’infractions a été constaté dans les supermarchés et les stations-services (80%).   

De nombreux risques liés à la puff: dépendance, soucis de santé, porte d'entrée vers le tabagisme... 

Plusieurs études ont confirmé la nocivité des Puffs pour la santé, ainsi que leur potentiel à faire basculer des non-fumeurs vers la consommation de tabac. Initialement, les cigarettes électroniques sont censées être utilisées en substitution de la cigarette par les personnes souhaitant arrêter de fumer. La principale crainte de la communauté médicale semble donc se réaliser. 

C'est clairement addictif

Pour comprendre quels sont les dangers, nous avons rencontré Anna Argento, tabacologue et coordinatrice chez "Tabacstop", un service gratuit pour aider les fumeurs à arrêter. "Clairement, c'est un piège. Le piège, c'est l'addiction! C’est aussi rentrer dans un schéma de consommation. Le piège, c’est faire croire aux jeunes que, même si la cigarette est devenue hasbeen pour lui, il y a autre chose, et que cette autre chose est fabuleuse, et apporte un style, du goût, etc. On les entend souvent dire ‘c’est fun, c’est bon’, et ils sont très très vite addicts à ça. Et justement, ça camoufle le côté danger", développe-t-elle.

Le danger commence avec la banalisation de fumer, explique la tabacologue: "Les puffs, c’est cool, c’est bon, et ça a du goût. Et en fin de compte, rien que le fait de banaliser, c’est oublier tout l’aspect rituel de la consommation, mais c'est aussi oublier que c’est clairement une dépendance". D'autant qu'une Puff avec nicotine est tout autant addictive qu'une cigarette normale: "La nicotine, c’est très vite addictif. Et il y a 20 mg de sels de nicotine dans la Puff. C’est clairement addictif!", pointe-t-elle. A titre comparatif, une cigarette normale contient en moyenne entre 7.5 et 13.4 mg de nicotine selon la marque. 

La santé mentale des jeunes impactée par la puff

Mais, commencer à fumer si jeune comporte aussi des risques dans le développement. "Toute la structure du cerveau va être déréglée puisqu’on fait rentrer un produit dans un cerveau et dans un corps encore en développement. Ça va apporter une décompensation de ce qui est naturel pour le cerveau", explique Anna Argento. 

Les jeunes vont alors associer des moments de vie aux Puffs, et ainsi installer une habitude... "Une mauvaise habitude. Le jeune qui fume, et qui passe un examen par exemple, se dit qu’il va stresser, et dans ce stress, il va assimiler la Puff à un moment calme. Or, c’est une croyance, un leurre. Le jeune a cette capacité à apprendre à gérer son stress lui-même plutôt qu’aller vers la Puff. A 12 ans, on est en période de transition entre l’enfance et l’adolescence. Dans cette construction identitaire, le jeune a besoin d’apprendre à reconnaître ses vraies émotions au lieu de les noyer dans la fumée et dans une dépendance, dans un geste qui est ritualisé", détaille la tabacologue. 

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Dans une étude publiée dans la revue eLife, des chercheurs de l'Université de Californie ont justement analysé l'impact des Puffs sur la santé. Ils ont fait fumer des souris 3 fois par jour pendant 3 mois. Et le résultat est édifiant: l'étude démontre que cette consommation aboutit à une neuro-inflammation, notamment dans "une région du cerveau essentielle à la motivation et au traitement des récompenses", peut-on lire. Les chercheurs jugent ainsi que cela pourrait affecter la santé mentale des jeunes, mais aussi leur comportement sur le long terme.

Pourtant, tout comme Maryse, Anna Argento estime que le marketing autour de la Puff vise clairement un public très jeune: "C’est clairement le goût qui est attrayant, la beauté aussi qui passe par le marketing, et tout ce qui passe sur les réseaux sociaux. Le jeune est influençable. Et le jeune mérite beaucoup mieux que de tomber dans un piège de l’industrie du tabac". 

Vers une interdiction des puffs en Belgique? 

Une autre source de préoccupation vis-à-vis des Puffs, c'est leur impact environnemental. Cigarettes électroniques jetables, elles sont dotées d'une batterie en lithium, difficilement recyclable. Leur consommation représente donc une quantité importante de déchets problématiques. 

Pour toutes ces raisons, la Belgique souhaite interdire ces cigarettes électroniques à usage unique avant fin 2025, nous fait savoir le cabinet du ministre fédéral de la Santé, Frank Vandenbroucke. Mais pour les interdire totalement, la procédure est longue et fastidieuse. En novembre 2022, la Belgique avait déjà tenté d'interdire la puff, mais le projet avait été stoppé par la Commission européenne.

En cause, ces produits sont légalement autorisés à la vente sur le marché européen: "Nous devons donc prouver à la Commission européenne que les cigarettes électroniques jetables sont un problème en Belgique. Un dossier est actuellement ouvert, dans lequel les arguments sanitaires ainsi que les arguments environnementaux sont utilisés. Une fois que l’interdiction sera validée par la Commission européenne, nous pourrons interdire les puffs en Belgique. Notre plan tabac interfédéral prévoit cette interdiction totale pour le 31 décembre 2025", explique Frank Vandenbroucke. 

Pour le moment, seuls l'Allemagne, depuis mars 2023 pour des raisons écologiques, et la Nouvelle-Zélande depuis le mois d'août, ont déjà interdit les puffs sur leurs territoires. La France et l'Irlande ont récemment évoqué leur souhait de les interdire "prochainement", notamment pour le risque qu'elles représentent chez les jeunes.

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