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La musique sud-africaine servie sur papier glacé, un pari très rock-and-roll

L'Afrique du Sud, malgré une impressionante discographie nationale, est une terre presque vierge pour le journalisme musical.

Depuis novembre, elle a fait un pas de géant avec la sortie du mensuel Rolling Stone dans une version entièrement locale mais à très haut risque commercial.

Sur sa première couverture, Miles Keylock, le quadragénaire survolté auteur de ce pari éditorial à 34,95 rands l'exemplaire (3,20 euros), a fait figurer, sous le mythique logo rouge du mensuel originaire des Etats-Unis, une valeur sûre de la musique sud-africaine: Hugh Masekela.

Encore très en forme à 72 ans, l'ex-mari de la reine de la world music Myriam Makeba décédée en 2008 n'est pas à proprement parler un monument de la musique rock, et plutôt un jazzman.

Mais sa vie marquée par l'alcoolisme, la cocaïne et des séances de copulation compulsive selon l'intéressé méritait d'entrer au panthéon rock.

Dernier né des éditions étrangères de Rolling Stone, le mensuel fait la part belle à la jeune garde musicale sud-africaine: le groupe Blk Jks en partance pour enregistrer à Bamako, l'étoile folk montante Zahara, ou encore le punk-rocker afrikaner François van Coke.

En bonus, le mensuel reproduit un portfolio noir et blanc de la scène heavy-metal du Bostwana, petit pays d'Afrique australe plus connu pour ses parcs naturels que pour ses bikers moulés cuir. La série est signée du photographe sud-africain Frank Marshall, de retour d'une exposition à succès à San Francisco.

"Etre rock, c'est une attitude", soutient Miles Keylock, qui bout de connaître les premiers chiffres de vente mais assure qu'"il y a eu des ruptures de stock le premier jour".

Le magazine tire à 30.000 exemplaires, vise les 18-25 ans, tourne avec huit permanents et un petit capital de départ apporté par des investisseurs.

Keylock, qui a fait ses armes de critique musical au grand hebdomadaire Mail & Guardian, se donne six mois pour être à flot et promet pour les numéros 3 et 4 une plongée en apnée dans le monde politique et musical du Nigeria.

"C'est vrai qu'il y a une part d'incertitude. Ce n'est pas un magazine de plus mais un autre journalisme, une manière d'écrire, de communiquer avec les lecteurs", dit-il.

Le public suivra-t-il ? La lecture n'est pas le point fort de l'Afrique du Sud et internet concurrence les médias traditionnels.

"Le marché est à prendre", estime David Coplan, auteur de la meilleure somme sur la musique noire sud-africaine "In Township Tonight!".

"Mais peut-être que s'il n'y avait rien jusqu'à présent c'est parce qu'il n'y a pas de marché. Ici, en Afrique du Sud, on ne s'attend pas à lire sur la musique", confie à l'AFP ce spécialiste américain enseignant à l'université de Witwatersrand.

"Les bons commentateurs de jazz sont chose commune à Paris ou New York. Le Nigeria aussi a un bon journalisme musical car il y a une large classe sociale cultivée, mais ici, ce qu'on trouve c'est le plus souvent de la littérature pour jeunes groupies excitées", dit-il. "Sur la musique d'avant-garde, comme ce que fait Carlo Mombelli (jazz expérimental, ndlr) personne n'écrit".

L'Afrique du Sud, pays roi du métissage musical et instrumental, balayé depuis le XIXe par les influences afroaméricaine et britannique, est le seul du continent à avoir connu la révolution industrielle. Mais l'essor culturel des urbains noirs qui aurait dû aller de pair a été étouffé par la politique de ségrégation raciale, aggravée sous l'apartheid.

"Bien sûr, les journaux avaient une rubrique musicale mais on n'avait pas vraiment de publication entièrement dédiée à la musique, et ça nous manquait", dit le disquaire et producteur Rashid Vally, 72 ans, pilier du Johannesburg musical avec son magasin de jazz du vieux centre d'affaires.

Même le jazzman Abdullah Ibrahim, dont il a produit le succès planétaire "Mannenberg" en 1974, a dû prendre son mal en patience: "Ici on lui demandait sa date de naissance, les articles de fond paraissaient seulement à l'étranger".

Rolling Stones inversera-t-il les choses ? Il faut le souhaiter, confie au détour d'un cocktail officiel, le chanteur Johnny Clegg: "Le pays a besoin d'une plateforme nationale pour exposer et promouvoir toutes ses formes de musiques".

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