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La justice malgré la folie : Depardon poursuit son oeuvre citoyenne dans "12 jours"

Figure tutélaire du documentaire contemporain, Raymond Depardon livre dans "12 Jours", présenté jeudi à Cannes, des images jamais vues de l'hôpital psychiatrique, avec des juges qui veillent aux droits des "invisibles", ces malades internés d'office.

Dans ce 20e long métrage, le cinéaste marie deux obsessions : l'hôpital psychiatrique, déjà exploré dans San Clemente (1980) ou Urgences (1988), et le fonctionnement de la justice, filmé dans "Délits flagrants" (1994) ou "10è chambre, instants d'audience" (2014).

Cette fois Depardon filme une salle anonyme à l'hôpital du Vinatier de Lyon, où un juge de la liberté et de la détention doit donner son accord pour toute poursuite d'hospitalisation d'office au-delà de 12 jours, en vertu d'une loi de 2013.

Ces audiences "obligent à surveiller les décisions des psychiatres", explique Raymond Depardon à l'AFP. "Les abus qu'il y avait après-guerre, où on pouvait laisser sa belle-mère pendant des mois, c'est fini", veut croire le cinéaste, rencontré à Cannes, son appareil photo à l'épaule.

La mission de ces magistrats est aussi délicate que nécessaire pour les dizaines de milliers de malades enfermés sur décision des médecins, qui les ont considérés comme dangereux pour eux-même ou pour les autres : tentative de suicide, agression, crise de folie...

Dans le film, une employée d'Orange dont ni le visage ni le comportement ne trahissent la maladie, a été hospitalisée à la demande de son employeur, dont elle assure qu'il la harcèle, un homme assure que son père peut s'occuper de lui s'il sort de l'hôpital, alors qu'il l'a tué 10 ans plus tôt... "Plus un pays est démocratique et avancé, plus on s'occupe de ces invisibles", salue M. Depardon.

- Des gens normaux -

Les juges vérifient que le psychiatre, qui ne peut pas assister à ces audiences d'une quinzaine de minutes, n'a pas abusé de son pouvoir, mais il ne peut pas remettre en cause le diagnostic.

Le montage rend compte du dialogue qui s'installe, et parfois déraille, entre le magistrat et la personne internée. Le spectateur suit des interrogatoires jamais blasés ni condescendants des juges -- peut-être aussi parce qu'exceptionnellement, ils sont filmés. Les réponses des malades sont tour à tour irrationnelles, ou au contraire terriblement lucides.

Neuf des dix audiences montrées à l'écran aboutissent à des décisions immédiates, et à chaque fois, le juge valide la décision du médecin.

"Ce qui était vraiment touchant, c'est cette parole qui sort. Certains arrivent des chambres d'isolement, ou des unités de malades difficiles" où ils ont parfois été attachés à leur lit, explique le cinéaste.

Les témoignages sont livrés sans voix off. Trois caméras seulement, l'une sur le visage du juge, l'autre pour le malade, la troisième pour les plans d'ensemble, et de lents travelings dans les couloirs nus et les allées embrumées de l'hôpital du Vinatier. Pour un même film, "je tourne de moins en moins, pour éviter au maximum de devoir choisir" au montage et coller à la réalité, confie le réalisateur de 74 ans, qui a réalisé "12 Jours" main dans la main avec sa femme Claudine Nougaret.

"Je ne voulais pas un film trop violent" : on y trouve aussi des "gens normaux" qui ont sombré, "des gens qui ont fait des burn-out, des dépressions (...), des choses très simples", décrit le cinéaste. "Ils s'expriment incroyablement bien, ils sont tout à fait conscients", (...) "ce qu'il faut, c'est les considérer. Et là, quand ils s'assoient (face au juge), ils sont considérés".

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