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Limoges: un cabinet d'avocats low cost interdit d'exercer au nom de la "déontologie"

Règlements de comptes dans les prétoires à Limoges: AGN, une franchise d'avocats cassant les prix sur le marché français depuis 2012, attaque devant l'Autorité de la concurrence et la Cour d'appel l'Ordre des avocats local qui refuse de l'inscrire au barreau.

Selon l'Ordre de Limoges, le concept d'AGN, qui dispose déjà de quatorze agences dans huit différents barreaux de France, n'est tout simplement "pas conforme à la déontologie".

La firme, elle, crie à l'"entente concurrentielle". "Quatre interdictions ont été prononcées contre nous: implantation, exercice, recrutement et ouverture d’un site internet. Comme si internet s’arrêtait aux frontières de Limoges", ironise Me Philippe Charles, co-fondateur d’AGN.

Inspiré du modèle anglo-saxon, AGN entend rompre avec les cabinets d'avocats traditionnels en ouvrant par exemple des pas de porte avec vitrine, et en proposant des prestations de droit dans les grands domaines de la vie quotidienne (travail, famille, immobilier, affaires) facturées au forfait. "Comme dans une agence bancaire ou une société de service", affirme Me Paul Fourastier, 34 ans, porteur du projet d'ouverture de l'agence de la discorde à Limoges.

Fondé par Philippe Charles et Frédéric Moréas, du barreau de Paris, également enseignants à HEC, AGN a été accepté dans huit barreaux, dont Paris, où l'ordre a "longuement audité notre concept avant de conclure qu'il était conforme et innovant", affirme Me Charles.

Mais avec ses calculatrices gratuites d'indemnité de rupture de contrat ou sa procédure de divorce par consentement mutuel en ligne facturée moins de 1.000 euros, la marque agace certains confrères.

Du coté de l’Ordre des avocats de Limoges, sollicité par l'AFP, la ligne officielle est "pas de commentaire", conformément aux consignes du bâtonnier Abel-Henri Pleinevert.

- Conflit générationnel ? -

Sous couvert d'anonymat toutefois, les critiques des avocats limougeauds fusent.

"AGN prétend démocratiser le droit quand la maison de l'avocat dispense chaque année quelque 1.500 consultations, sans condition de ressources, gratuites et anonymes", lance l'un d'eux.

"Leur +magasin+ n'offre aucune discrétion: quid pour une femme qui voudrait se renseigner sur le divorce, si elle est vue par les collègues de son mari? Et quid de l'indépendance financière d’un jeune avocat et de sa liberté de refuser une affaire absurde ou non plaidable quand, avant même de se rémunérer, il doit remonter à la franchise plus de 10% de son chiffre?", interroge un autre.

"La révolution numérique a tout changé", rétorque Philippe Charles, pour qui "AGN défend la profession face aux sites qui proposent des services juridiques en ligne délivrés par des non avocats, donc non soumis à la déontologie."

Empêchée de prêter serment par l'interdiction délivrée par l'Ordre, Emilie Robelin, 28 ans, recrutée par AGN, s’estime mise au ban injustement. Avec sa collègue Emilie Tabaraud, stagiaire-avocate, elles regrettent "un conflit générationnel" et revendiquent une "approche +business compatible+ avec la déontologie".

En position d'arbitre moral dans cette lutte fratricide, le Conseil national des barreaux (CNB), sans réel pouvoir décisionnaire, est tiraillé par des dissensions internes. Ces difficultés sont "révélatrices d'évolutions des modes d'exercice de notre profession" d'avocat qui "suscitent comme toujours des tensions", a commenté auprès de l'AFP Christiane Féral-Schuhl, présidente du CNB.

Pour elle, "le mode d'exercice d'AGN ne pose pas de difficulté sous réserve que les règles de déontologie soient respectées". Mais "le CNB n'a pas à intervenir dans les décisions prises par les bâtonniers"...

Saisies par AGN, la Cour d'appel et l'Autorité de la concurrence ne devraient pas rendre leur décision avant plusieurs mois.

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