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À Paris-8, étudiants et migrants au rythme d'une double occupation

Mêmes AG, mêmes tags, même cuisine : l'université Paris 8-Saint-Denis vit depuis plusieurs jours au rythme d'une double occupation. Aux côtés d'étudiants qui protestent contre la réforme de l'accès à la fac, des migrants espèrent, eux, une régularisation.

"Pas de travail, pas de stress", "Autodéfense populaire contre la sélection", "Queer power"... Des dizaines de slogans recouvrent les murs du "B2". Le bâtiment est occupé depuis le 3 avril par des étudiants, engagés dans la contestation qui affecte plusieurs sites universitaires en France. Après avoir été entièrement bloquée, l'université de Seine-Saint-Denis ne l'est plus que "partiellement" depuis lundi.

Albin, 19 ans, en double licence histoire-Sciences Po, fait le guide. "Ici c'est un dortoir non-mixte", dit-il en poussant la porte d'une salle de cours, elle aussi taguée en rouge. Au pied de traditionnels bancs en bois d'université, des matelas gonflables et des duvets.

Pour Albin, la présence des migrants sur le campus depuis près de trois mois "donne de la force à la lutte". "Ça montre que pour régler des questions, il faut s'engager".

Pour deux autres étudiantes de 20 ans, qui veulent rester anonymes, l'accueil des migrants à "P8" est aussi une évidence. Tout comme les "cours alternatifs" mis en place depuis le blocage partiel et ouverts à tous. "On est quand même la fac héritière de Vincennes", créée après Mai-68. "Il y a une tradition d'accueil, d'une fac ouverte à tous", expliquent-elles, assises dans l'herbe, entre pâquerettes et pissenlits. À leurs côtés se tient un atelier "états généraux" chargé d'imaginer "la fac que nous voulons".

- Le bâtiment des "exilés" -

Il faut emprunter plusieurs couloirs et escaliers, pour rejoindre le bâtiment A, celui des "exilés". Situé à l'autre bout de la fac, il est occupé depuis le 30 janvier par une centaine de migrants et leurs soutiens.

Au rez-de-chaussée, le va-et-vient est permanent. Un jeune originaire de Côte-d'Ivoire rentre dans la cuisine. Un autre, qui vient de Guinée, téléphone dans la pièce commune. Certains jouent au foot sur la terrasse.

Comme chez les étudiants, les salles de cours ont été transformées en dortoirs. Sur les murs, les mêmes tags militants qui côtoient des inscriptions en anglais ou en arabe : "Oui à la liberté", "ici c'est un lieu collectif, gardez-le propre".

Un migrant vient s'enregistrer auprès d'un membre du comité de soutien. Au-delà de la protestation générale contre les "politiques migratoires", le but est de faire un "dépôt collectif" de demandes de régularisation, explique ce militant, qui refuse, comme tous les autres soutiens, d'être nommé.

La semaine dernière, des migrants accompagnés d'étudiants de Paris-8 se sont rendus à la préfecture à Bobigny pour demander un rendez-vous et discuter d'une régularisation collective. Sans succès.

Les migrants participent, eux, aux manifestations étudiantes, explique une membre du comité de soutien. Leurs représentants prennent la parole dans les AG et la solidarité se prolonge jusque dans les assiettes. "On cuisine ici. Les exilés mangent gratuitement et on vend là-bas à prix libre".

Leur présence joue également sur la structuration du mouvement étudiant. Le blocage total de l'université, qui était en vigueur depuis quelques jours, a été partiellement levé, notamment pour faciliter la vie des migrants, raconte une membre du comité de soutien. "Être obligés d'escalader les grilles à 6H00 pour se rendre à un rendez-vous en préfecture, ce n'était pas vivable", explique-t-elle.

Idem pour les relations avec la direction de l'université. "Traditionnellement à Paris-8, on a un rapport très frontal à la présidence", explique le comité de soutien, "mais ce positionnement n'a pas les mêmes implications s'il y a d'autres personnes à l'intérieur". "Si les forces de l'ordre interviennent, ce n'est pas 48 heures de garde à vue que risquent les migrants. Pour eux, c'est le CRA direct (centre de rétention administrative), voire l'expulsion".

La direction de l'université n'a pas souhaité répondre pour l'heure aux sollicitations de l'AFP. Vendredi, la fac doit fermer ses portes pour une semaine de vacances. Un conseil d'administration doit se tenir ce jour-là, mais aucune expulsion n'est pour l'instant prévue, selon étudiants et soutiens, qui jurent que, vacances ou pas, "on va continuer, ça ne s'arrêtera pas".

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