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A Paris, un chorégraphe de Syrie fait danser les traumatismes de guerre

Enfant, Nidal Abdo était une sorte de "Billy Elliot" syrien, seul garçon dans une école de ballet à Damas. Devenu chorégraphe, il présente à Paris sa première création: une danse sur l'exil et les traumatismes de la guerre.

Né dans le camp de réfugiés désormais ravagé de Yarmouk, aujourd'hui dans la capitale syrienne, le jeune homme de 29 ans, fils d'un père palestinien et d'une mère ukrainienne, a quitté la Syrie il y a huit ans, dès les premiers mois du conflit.

"A un moment je devais choisir: soit je reste et je risquais d'être enrôlé par l'armée, soit je pars et je recommence à zéro ailleurs", affirme à l'AFP le chorégraphe grand aux yeux noisette, installé à Paris depuis 2016.

"Je construisais ma vie d'artiste, je ne pouvais pas imaginer être un jour sur scène et le lendemain prendre des armes et être au front", ajoute-t-il après une répétition à l'Institut du Monde Arabe (IMA).

C'est là où il présentera vendredi le spectacle "Et si demain", pour la deuxième édition du "Printemps de la danse arabe" (22 mars-28 juin) qui réunit cette année les créations de 13 chorégraphes, du Liban jusqu'aux Comores, en passant par la Tunisie.

Torse nu, Nidal et les trois autres danseurs de son collectif "Nafass" (souffle en arabe) qu'il a fondé en 2018 ondulent, se recroquevillent et performent une gestuelle à la fois poignante et débridée pour évoquer pendant 20 minutes leur ressentiment après leur exil.

Le tout sur un mélange de musique orientale et d'électro, signée d'Osloob, un rappeur palestinien, et le Trio Joubran, également des musiciens palestiniens.

"Je n'ai pas vécu la guerre comme mes amis mais j'ai voulu parler du syndrome du trouble post-traumatique (PTSD) dont souffre la majorité des exilés, sans que l'on sache ce que c'est", précise Nidal, qui confie avoir des amis syriens à Paris qui sursautent encore en voyant un policier ou en entendant un avion.

- "Mon père m'appelait artiste" -

Avec les danseurs Samer al Kurdi, Alaaeddin Baker et Maher abdul Moaty -exilés comme lui en Europe- il a voulu transmettre la souffrance de ne pas pouvoir revenir au pays, mais surtout cet écartèlement entre passé et présent.

"Nous vivons dans un endroit meilleur, nous arrivons à rebâtir notre vie, mais en même temps il y a quelque chose qui nous retient en arrière... on pense à l'avenir mais on n'arrive pas à se débarrasser du passé", affirme le Syro-palestinien.

Un passé qui le renvoie à son enfance à Yarmouk, ses écoles, ses quartiers, "la convivialité qui y régnait" mais surtout par des débuts bien particuliers dans la danse.

"Ma mère ukrainienne était professeur de piano. A mes 9 ans, elle m'a emmené à l'école de ballet au Conservatoire supérieur des arts dramatiques de Damas. Au début c'était difficle, j'étais seul parmi des filles et être un garçon qui fait du ballet à Damas...", dit-il avant d'imiter les ricanements de ceux qui se moquaient de lui.

Au bout de la deuxième année, et avec les encouragements de sa mère mais aussi de son père, un professeur universitaire, le petit garçon blond aux cheveux longs a commencé à aimer le rythme, la musique, la manière de bouger sur scène.

"Ma mère me disait +demain, tu verras+... mon père m'appelait +artiste+", se rappelle-t-il.

Par la suite, il a assimilé d'autres techniques -folklore, jazz- auprès la compagnie damascène Enana, elle aussi déracinée et aujoud'hui basée au Canada. Après son départ de Syrie, il fait des tournées internationales avec la réputée compagnie libanaise Caracalla Dance Theatre.

"C'était tellement excitant pour moi d'apprendre d'Abdel Halim Caracalla (fondateur de la compagnie) qui lui-même a suivi une formation avec Martha Graham" à Londres, précise Nidal en référence à la mère de la danse moderne.

Il fait partie de cette génération de jeunes chorégraphes arabes qui tentent d'apposer leur marque sur la danse contemporaine mondiale. "On donne une touche orientale de par notre musique et nos mouvements qui reposent beaucoup sur la gestuelle des mains et des hanches".

Nidal dit ressentir souvent une "culpabilité d'être un privilégié" à Paris, où il est devenu membre de l'Atelier des artistes en exil. "Mais la vie continue", sourit-il.

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