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La "révolution orpheline" de Syrie racontée sur une scène parisienne

Sur un écran, des images de manifestations se superposent, puis deviennent floues, à l'image de la révolte syrienne dans la mémoire collective. "Ne pas oublier", tel est l'objectif de Leyla-Claire Rabih, metteuse en scène de "Chroniques d'une révolution orpheline".

"Il m'a semblé absolument nécessaire de rappeler les débuts de la révolution syrienne, à mesure que le conflit s'est transformé en conflit régional", a expliqué à l'AFP la metteuse en scène, qui présente la pièce à la Maison de la Culture MC93 à Bobigny (2-10 février).

Sept ans après les manifestations pacifiques contre le régime de Bachar al-Assad --vite réprimées dans le sang--, le conflit le plus destructeur des dernières décennies a tout connu: montée de groupes jihadistes ultraradicaux comme Daech, implication américaine et russe, mini-guerres entre de multiples factions.

"Je veux que les gens n'oublient pas", proclame un acteur dans la pièce.

Ne pas oublier les milliers de détenus, la répression des premières heures, selon Mme Rabih, qui a construit la pièce à partir de trois textes de l'auteur de théâtre syrien Mohammad al-Attar: des échanges de courriers électroniques entre un jeune manifestant et son amie à Paris, une jeune femme qui collecte des témoignages d'ex-détenus et enfin un voyage à travers la Syrie ravagée.

"Les textes ont été écrits à chaud", notamment en 2011 au moment des premières manifestations, explique la metteuse en scène qui a créé la pièce en 2017.

"Mais plus le temps passe plus je trouve que ces textes prennent de la valeur car ils témoignent d'un moment bien précis".

- Amalgames -

La force des textes, poignants et directs, l'emporte sur la mise en scène, très minimaliste, avec pour tout décor des tables, une caméra et un écran sur lequel défilent des images de villes détruites.

"La chose la plus laide, c'est la peur et et l'impuissance", affirme le jeune manifestant dans la première partie de la pièce. Un détenu, devant une caméra placée sur scène, raconte comment ensuite "le mur de la peur a été brisé".

La metteuse en scène, formée à Berlin et dont la famille est originaire des villes syriennes de Hama et d'Alep, a ressenti l'urgence de monter ce spectacle.

"En 2013, je n'arrivais plus du tout à dormir, il fallait faire quelque chose", dit-elle. "Et l'art permet de mettre la souffrance à distance".

Le conflit syrien a été transposé sur grand écran et sur scène par de nombreux artistes, comme dans le film "Une famille syrienne" de Philippe Van Leeuw (2017) ou encore le film documentaire "Eau argentée" (2014) d'Ossama Mohammed, Syrien exilé à Paris.

Pour Mme Rabih, "il s'agit d'une nécessité subjective, on interroge d'une autre manière que les historiens".

La pièce a bien failli ne pas se monter: Leyla-Claire Rabih a eu du mal à trouver des partenaires.

"Il y a eu une frilosité, car il y avait les attentats à Paris en 2015 (revendiqués par Daech) qui ont aussi modifié les attitudes", dit-elle.

"J'avais des partenaires qui ont décidé de se retirer (...) cela raconte beaucoup de choses sur les amalgames en France".

La metteure en scène, qui se revendique d'un théâtre "engagé et pas partisan", a reçu des messages l'accusant de parti pris, "comme quoi j'étais du côté des salafistes, des terroristes, des gens qui me demandaient par qui j'étais payée", dit-elle.

Aujourd'hui, le fait de voir ses collègues metteurs en scène syriens exilés à Paris, à Berlin ou à Beyrouth, ne l'attriste pas forcément.

"Les artistes sont les plus chanceux. Les millions de réfugiés m'attristent beaucoup, mais les artistes peuvent s'exprimer à travers leur art", assure-t-elle.

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