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En Belgique, une nouvelle centrale électrique au gaz bientôt "gérée à 100% par les Chinois", s’alarme Antoine: est-ce vraiment le cas?

L’implication d’une entreprise chinoise dans la construction de la centrale électrique au gaz des Awirs suscite des inquiétudes. Elles ne sont pas forcément fondées, mais s’inscrivent dans un contexte globalement préoccupant pour l’industrie européenne de l’énergie.

Antoine attire notre attention sur un contrat passé entre Engie et Sepco III, une entreprise chinoise, pour la construction de la nouvelle centrale électrique au gaz sur le site des Awirs, à Flémalle (province de Liège). Il s’alarme de ce choix qui, d’après lui, donne à cette société chinoise accès à de "très nombreuses informations sensibles sur le fonctionnement et l’interconnexion de notre réseau électrique", écrit-il via le bouton orange Alertez-nous. Et d’interroger : "À l'heure où l'on refuse d'utiliser des entreprises chinoises pour des domaines stratégiques comme le réseau télécom (antennes 5G), pourquoi accepterait-on de le faire indirectement dans un secteur encore plus stratégique, celui de notre électricité ?"

Engie a créé l’émoi en choisissant un sous-traitant chinois

En octobre 2021, Engie a remporté l'enchère organisée par Elia, le gestionnaire du réseau de transport électrique haute tension, dans le cadre du CRM, le mécanisme d'aide d'État qui doit garantir la sécurité d'approvisionnement du pays à long terme après la fermeture de plusieurs réacteurs nucléaires. Dès lors, il appartient à Engie de mettre en œuvre les projets de centrales Turbine Gaz-Vapeur de Vilvorde et des Awirs. Deux chantiers qui doivent être finalisés au plus tard en 2025.

Début avril 2022, le quotidien flamand Het Laatste Nieuws a dévoilé l’existence d’un contrat passé entre Engie et une multinationale chinoise, Sepco III, dans le cadre de la construction de la nouvelle centrale électrique au gaz sur le site des Awirs. Dans la foulée, Egbert Lachaert (open Vld) a réclamé la "transparence totale" sur le rôle Sepco III. Bert Wollants (N-VA) a jugé pour sa part qu’il était "tout à fait inapproprié que notre approvisionnement en électricité soit placé entre les mains des Chinois"

Pourquoi de telles inquiétudes ?

En Europe, cela fait environ dix ans que l’empire du Milieu investit massivement dans des entreprises du secteur de l’énergie, ce secteur faisant partie des nouvelles routes de la soie chinoises et de leur déploiement mondial. La Chine développe une politique de rachat des distributeurs d’électricité sur l’ensemble du continent. En Belgique, des investisseurs chinois ont par exemple essayé, en 2016, de racheter 14% du capital du distributeur le distributeur d’électricité Eandis. Une tentative bloquée par la ville d’Anvers, relate The Bulletin. Cet activisme de la Chine dans l’énergie européenne n’est pas toujours bien accueilli, les entreprises chinoises étant soupçonnées de servir le projet politique de Pékin.

Sepco III, un sous-traitant parmi d’autres dans ce projet de construction

Y a-t-il lieu de suspecter une ingérence de la Chine dans le cadre du contrat passé entre Engie et Sepco III ? Antoine croit savoir que la société chinoise, après avoir construit la centrale, sera "responsable de la gestion et opération" de celle-ci. "Pour le grand public, ce sera une centrale 'Engie' alors que dans les faits, ce sera 100% géré par la Chine", affirme-t-il. Mais ce n’est pas ce que nous explique Hellen Smeets, porte-parole d’Engie Belgium : "SEPCO III est chargée de coordonner les travaux de construction jusqu'à la mise en service de la centrale électrique. Cela signifie qu'après la mise en service, ils ne sont plus impliqués dans l’exploitation de cette unité. C’est Engie qui exploitera la centrale".

Engie sous-traite les travaux de construction et leur coordination, mais assurera l'exploitation et la maintenance de la centrale. "Ce qui est son domaine d'expertise", souligne Hellen Smeets. Et de préciser : "SEPCO III n'est qu'une des parties avec lesquelles Engie va travailler pour construire la centrale à Flémalle. Au total, plus de 500 personnes sont impliquées dans la construction de la centrale, dont une délégation limitée de SEPCO III (moins de 10%)".

Le SPF Économie surveille les investissements directs étrangers et la menace éventuelle pour la sécurité nationale qu’ils pourraient représenter. Mais Stéphanie Maquoi, porte-parole de la ministre fédérale de l'Énergie Tinne Van der Straeten, insiste sur le fait qu'"Engie est et reste propriétaire, actionnaire et exploitant à 100% de la centrale de Flémalle". Et d'ajouter : "Nous partageons la préoccupation selon laquelle nous devons être vigilants à l'égard des infrastructures qui sont essentielles à notre sécurité d'approvisionnement. Dans ce cas, il est essentiel que le rôle de cette entreprise chinoise soit limité à celui de sous-traitant".

Il n’y a rien de très confidentiel quant au fait de connaître les plans de centrales au gaz

Engie et les autorités se veulent donc rassurantes. Damien Ernst, professeur à l'Université de Liège et spécialiste des questions énergétiques, n’est guère plus inquiet sur ce dossier. Contrairement à notre alerteur Antoine, il ne croit pas que ce sous-traitant aura accès à des informations sensibles dans le cadre de ce projet : "SEPCO III construit juste la centrale donc ils auront les plans de la centrale au gaz dans le pire des cas, mais il n’y a vraiment rien de très confidentiel quant au fait de connaître les plans de centrales au gaz. Il n’y a pas de technologies vraiment particulières, pas de choses critiques", explique-t-il.

Pas de dépendance au matériel chinois pour la centrale des Awirs

Par ailleurs, Engie précise que la technologie utilisée pour la construction de la centrale est européenne. "Siemens Energy est le principal fournisseur des turbines à gaz et à vapeur ainsi que des alternateurs, de sorte que ces équipements seront entièrement construits en Europe", indique Hellen Smeets. Un élément jugé important par Damien Ernst : "Il n’y aura pas de dépendance à du matériel chinois. Parce que si vous construisez une centrale avec uniquement du matériel chinois, pour la maintenance, vous aurez besoin d’avoir des pièces chinoises. Là, ce ne sera pas le cas".

Un choix révélateur de la faiblesse de l’industrie européenne de l’énergie

Selon Damien Ernst, ce qui est préoccupant, c’est plutôt la méforme de l’industrie européenne de l’énergie. "Le fait que ce contrat-là soit attribué en Chine est une indication que les Chinois savent travailler à moins cher que nous", observe le spécialiste. En effet, Engie raconte que "le choix s’est porté sur l’entreprise SEPCO III à la suite d’un appel d’offres international, ceci afin de sélectionner un entrepreneur capable d'offrir le meilleur rapport qualité/prix sur un marché international où le nombre d'acteurs qualifiés pour des projets de construction aussi importants est limité". "Ça veut dire qu’on a plus vraiment de compagnie européenne, même pour les centrales au gaz, qui savent rivaliser", regrette Damien Ernst. "Sur ce point-là, c’est dramatique et inquiétant".

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