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Tarek attend d’obtenir le statut de réfugié depuis 7 mois: "Incompréhensible que d’autres demandeurs d'asile arrivés après nous l’ait déjà obtenu"

Arrivé à Bruxelles en septembre 2015, Tarek Alkadah a, comme plusieurs milliers de ses compatriotes, fui la Syrie pour se réfugier en Europe. Son objectif: demander l’asile pour être rejoint par sa femme et ses deux enfants et commencer une nouvelle vie. Reçu d’abord par l’Office des étrangers, son dossier a été envoyé au CGRA (Commissariat Général aux Réfugiés et aux Apatrides). A présent, il attend une convocation depuis sept mois. Avec un sentiment d’injustice grandissant. "Je connais plusieurs personnes arrivées en décembre et qui ont déjà leurs statuts de réfugiés", s'insurge-t-il.

Après un périple de plusieurs jours en empruntant la "route des Balkans", Tarek est arrivé en Belgique le 8 septembre 2015 pour demander l’asile. Si la première étape auprès de l’Office des étrangers s’est déroulée normalement, il estime désormais que son dossier tarde à être pris en charge par le CGRA (Commissariat Général aux Réfugiés et aux Apatrides) qui doit l’analyser avant de se prononcer. Tarek attend fébrilement une convocation, pour s'entendre annoncer que sa requête est acceptée et que sa famille peut le rejoindre à Bruxelles.

"Beaucoup de personnes se trouvent dans ma situation (des Syriens et d’autres) et attendent une audition au CGRA. Je comprends très bien qu’il y ait eu un afflux soudain de réfugiés depuis le mois de septembre, mais c'est incompréhensible que certains d’entre eux arrivés par après, aient déjà leur statut tandis que nous attendons toujours", regrette l’homme de 45 ans qui indique que la situation de son colocataire arrivé en octobre a déjà été résolue. "On éprouve un profond sentiment d’injustice. Imaginez-vous dans un supermarché. Vous attendez votre tour en faisant la queue, et une personne passe devant vous, ça doit vous énerver, non ?"

Désespéré, Tarek espère chaque jour recevoir un courrier du CGRA, sans comprendre les raisons du blocage actuel. Cet ingénieur en informatique, qui s’exprime dans un parfait français, confie avoir hésité entre la Belgique et la France au moment de gagner l’ouest de l’Europe. "Des amis français m’ont dit que la procédure de l’asile était longue chez eux surtout concernant le regroupement familial. Mais, au final, ce n’est pas plus rapide en Belgique. Je pensais qu’en faisant ce choix, mon dossier allait être réglé en un mois ou deux et, pouvoir ainsi retrouver ma famille rapidement."

Sa femme, Fadia, et ses deux enfants, Omar et Ryan, sont eux restés en Turquie où est arrivée la famille, le 11 janvier 2015, après avoir pris la décision de quitter Damas, la capitale syrienne où elle vivait depuis plusieurs années.


Il passe deux jours en prison à Damas

Un départ précipité par le séjour de Tarek en prison en décembre 2014. Originaire de Deraa, une ville de 100.000 habitants, à la frontière jordanienne, il déclare être issu d’une famille connue de l'opposition politique. Il déclare que son père a été membre du Parti du Peuple démocratique syrien (créé en 1924), qui se trouve dans l’opposition depuis 1948: "Au début de la révolution syrienne en 2011, j’y avais quelques activités via mon père surtout au niveau logistique", précise-t-il. "Fin 2014, j’ai passé deux jours dans la prison de la sureté politique. Des gens m’ont appréhendé pour un contrôle de routine et ont trouvé dans mon dossier que je n’avais pas fait le service militaire, ce qui m’a été reproché. Je me suis retrouvé en compagnie de six personnes dans une cellule, trois étages sous la terre. Mes proches ont finalement dû payer une somme de équivalant à 10.000 euros pour pouvoir me libérer."

Un emprisonnement qui reste une énigme pour lui. "J’ai un nom en Syrie. Et dans un pays comme le mien, on ne peut pas comprendre les choses sous le modèle européen. L’opposition n’existe pas pour le régime au pouvoir. En réalité, la sécurité du pays est entre les mains d’instances hors la loi. Quand on a demandé pourquoi j’étais en prison, on ne m'a pas donné de raison exacte. J'aurais été dénoncé."

Vingt jours après sa libération, Tarek dit avoir emmené les siens clandestinement vers la Turquie. Dans un premier temps, il raconte avoir travaillé par correspondance avec une société irlandaise, dans le domaine de l’informatique. Mais après sept mois à Istanbul, avançant la barrière de la langue qui ne lui a pas permis de trouver un emploi et un statut stable, Tarek relate qu'il a alors envisagé de rallier l’ouest du continent européen. Chose faite donc en septembre 2015, moment où il a rejoint la Belgique car "il s’agit d’un pays francophone". Et le français, Tarek le connait bien. Et pour cause, il a étudié et travaillé durant 16 ans (de 1993 à 2009) en France où il a notamment obtenu un master en mathématiques. 

"Après l’Office des étrangers pour ma demande d’asile, je me suis retrouvé dans un centre pour réfugiés près de La Panne. Il y avait 20 personnes et chacun avait sa chambre. J’ai demandé mon transfert après avoir reçu mon autorisation de travail ce qui a été accepté et j’ai intégré une maison sociale à Lennik", relate-t-il.

À présent, il dispose de tous les autres papiers nécessaires pour son intégration en Belgique et a même signé un CDI dans une entreprise bruxelloise à la fin du mois de janvier 2016. Il nous a d'ailleurs fait parvenir une copie de son contrat de travail. Une situation légale puisque le gouvernement Michel a permis aux demandeurs d’asile de se présenter sur le marché de l'emploi, quatre mois (et non plus six) après leur enregistrement en Belgique. Son autorisation de travail et son nouveau contrat lui permettent ainsi de trouver un appartement. "Mais, je ne suis toujours pas fixé. En cas de refus du CGRA, je devrai tout recommencer", insiste Tarek.


"Une augmentation exceptionnelle du nombre de dossiers"

Pour comprendre les raisons du blocage de sa demande d’asile, nous avons contacté le porte-parole du CGRA, Damien Dermaux, qui estime que dans ce cas-ci, "il n’y a pas d’anomalie en tant que telle."  

"Cela s’explique par le fait que durant la seconde moitié de 2015, il y a eu une augmentation exceptionnelle du nombre de demandeurs d’asile et nous sommes confrontés à un très grand nombre de dossiers (17.569 dossiers sont encore en attente)."

Face à l’afflux de migrants, le CGRA a dû observer une période d’adaptation et également revoir son organisation en interne en formant notamment de nouveaux officiers de protections, chargés de développer une connaissance minutieuse des pays d’origine des demandeurs d’asile (63% de l’ensemble des demandes d’asile, venant de la Syrie, d’Irak et d’Afghanistan).

"L’ensemble des dossiers syriens et cela vaut aussi pour tous les autres, sont dispatchés entre des petites équipes d’officiers de protection sous la coupe d’un superviseur", explique Damien Dermaux. Cent personnes sont ainsi auditionnées tous les jours, chacune pendant environ 3 à 4h, dans les locaux du CGRA, avant une nouvelle analyse.

"La répartition se déroule selon le moment d’arrivée mais, il peut arriver que des dossiers, en fonction de la disponibilité d’un officier de protection ou d’un interprète, mettent plus longtemps à arriver sur le planning. On est bien conscient du problème que ça peut poser pour des gens qui attendent dans une situation de stress et d’incertitude."


Une procédure accélérée après la signature d’un CDI ?

Tarek Alkadah  travaille depuis un mois mais, cet élément n’entre pas en ligne compte pour une éventuelle accélération de son dossier.  "Ces éléments n’ont aucun impact sur le contenu de sa demande d’asile et n’incitent pas le CGRA à le convoquer plus rapidement", souligne Damien Dermaux. 


Le CGRA renforcé accélère l’avancement des dossiers

En octobre 2015, 120 collaborateurs sont venus renforcer l’institution pour auditionner les demandeurs d’asile. "Le mois dernier, cela nous a permis de prendre 1945 décisions et l’objectif pour la mi 2016 est d’arriver à 2500 décisions par mois avec nos effectifs actuels", poursuit le porte-parole.  

Concernant l'issue de la future audition de Tarek, il n’y a pas véritablement de suspens puisque 98% des Syriens obtiennent le statut de réfugié (les 2 % restants sont en majorité des individus qui ont quitté le territoire avant d’obtenir la décision définitive). Une fois convoqué au CGRA, il devra patienter un maximum de trois mois avant d’être fixé et pouvoir enfin commencer sa nouvelle vie accompagné de sa famille. 

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