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Au milieu des forêts du Morvan, Luzy accueille des réfugiés, sans heurts: pas de menace contre la maire, une pétition d'opposants sans lendemain et une population "sortie des a priori". Mais le Rassemblement national (RN) n'a pas dit son dernier mot.
"Sur le coup, on avait un peu peur": Robert Gauthy se penche à sa fenêtre pour scruter, en contrebas, les Afghans et Africaines binant des légumes dans un jardin partagé. Le retraité vit depuis 19 ans dans la barre HLM Laffond, à l'orée des bocages entourant Luzy (Nièvre).
"Jamais, on n'avait vu autant d'étrangers", dit-il. Alors, à la réunion publique du 2 octobre 2018 où est annoncé aux locataires que 45 demandeurs d'asile vont être leurs nouveaux voisins, le retraité accepte mal: "On s'est demandé: +sur qui on va tomber?+"
"Beaucoup étaient très inquiets", confirme la maire (ex-PS) Jocelyne Guérin. "Les femmes vont être violées, l'école est foutue...", entendait-on dans la petite salle des fêtes où se tenait la réunion. "Un homme s'est levé", raconte la maire. "Moi, j'ai pas de logement et eux oui", a-t-il harangué. "Mais je l'ai reconnu et je lui ai rappelé que je lui avais trouvé un HLM. Il mentait", se souvient Mme Guérin.
Une pétition d'opposition du RN a recueilli quelque 350 signatures et une autre de Debout la France, 450.
"Mais je n'ai eu aucune menace. Et ils n'ont pas réussi à faire échouer le projet", ajoute la maire.
Cinq ans plus tard, les réfugiés sont dorénavant soixante dans le HLM, occupant environ la moitié des 40 appartements. Mais la "peur" de Robert s'est envolée: "En fin de compte, ça se passe bien. On cause à ceux qui parlent français. Et je les aide au jardin".
"On l'appelle +papy+", rit Yolande Samdwidi, venue du Burkina Faso. "Les gens sont très accueillants", se félicite-t-elle, évoquant un repas organisé par des bénévoles où elle a fait découvrir aux Luzycois "un poulet arachide". "Ils ont tout mangé!"
- "C'était miraculeux" -
"Papy", lui, se réjouit que la venue des réfugiés ait sauvé son HLM, promis à la démolition. "La façade va être refaite", dit-il en montrant la laine de verre sortant du mur extérieur.
"On a prouvé que les inquiétudes étaient erronées", résume Anne Petitbois, cheffe du centre d'accueil installé dans le HLM.
"On est sorti des a priori", renchérit la maire, certaine d'avoir "démontré" qu'on peut faire accepter des réfugiés dans un village de 2.000 habitants niché entre des prés à vaches et d'épaisses forêts.
"Ici, rien ne nous a été imposé", rappelle-t-elle. Dès 2014 et sa première élection, la maire avait fait adopter une motion positionnant Luzy comme "volontaire" pour l'accueil des réfugiés.
Aujourd'hui, elle se prévaut de "beaux exemples de réussite" : au lieu de partir, comme c'est souvent le cas une fois leurs papiers obtenus, cinq réfugiés se sont installés à Luzy, comblant des postes vacants depuis longtemps.
"Pour nous, c'était miraculeux", témoigne Christiane Olleval-Chiri, patronne du Bar de l'Église. "On cherchait quelqu'un depuis deux ans. Il aura fallu un Somalien !", dit-elle en souriant à Hassan Omer Hussein, 33 ans, embauché en 2021.
"Plein de gens ne veulent pas travailler. Moi, j'ai envoyé mon CV et j'ai eu plein d'appels", explique Hassan.
"Je paie mon loyer moi-même et je joue dans le club local de foot", affirme-t-il fièrement, revêtu de la veste bleu-blanc-rouge de l'équipe de France.
Cet exemple d'intégration "réussie" ne convainc pas Julien Guibert, délégué RN de la Nièvre. "On reste opposé à l'accueil des réfugiés: cette générosité qu'on nous vend, elle est financée par les contribuables", dénonce-t-il.
Le conseiller régional a été battu d'un cheveu aux législatives de 2022 dans la Nièvre, département qui a placé Marine Le Pen en tête des présidentielles de 2017 et 2022. A Luzy seule, Emmanuel Macron est en revanche arrivé premier les deux fois. Mais le RN y a gagné neuf points.
"Ça prouve qu'il y a des opposants" à l'accueil des réfugiés, affirme M. Guibert, qui envisage une liste aux municipales à Luzy, où Mme Guérin a jusqu'à présent été élue sans aucun adversaire.